Fil d'Ariane
Ils se sont rencontrés il y a 15 ans, en Afghanistan, raconte Ali Nazary. Comme Ahmad Massoud, le fils du héros national afghan, il a étudié à l'étranger, de longues années.
Ali Nazary est aujourd'hui l'un des porte-paroles du mouvement de résistance aux talibans qui s'est ancré dans la vallée du Panchir, au nord de Kaboul, alors que les combattants insurgés entraient dans la capitale au terme d'une guerre éclair qui stupéfiait le monde entier. Les Afghans, eux, ont eu le temps de les voir venir. Parties prenantes et victimes d'une reconquête territoriale qui a duré des mois.
La victoire des talibans ouvre une nouvelle page pour l'Afghanistan et renvoie toute une société, diverse, complexe, au souvenir de ce que furent leurs quatre années de pouvoir de 1996 à 2001. La perspective d'un recul sur les droits humains et sur les libertés après 20 années d'ouverture liée à la présence internationale est un cauchemar pour de nombreux Afghans, notamment les jeunes, éduqués et diplômés.
Mais combien de temps ce Front national de résistance peut-il tenir ?
Les talibans ont lancé une offensive militaire sur le Panchir, seule région qui échappe encore à leur contrôle. Lundi 23 août, un de leurs porte-paroles affirmait que la vallée était "encerclée" sur trois côtés.
Ali Nazary, qui affirme "se tenir informé heure par heure de la situation sur place", écarte la possibilité d'une capture de l'enclave naturelle, maintes fois assiégée mais jamais tombée. Les Soviétiques l'ont tenté neuf fois dans les années 1980, rappelle-t-il. "Tous les hommes du Panchir en capacité de combattre sont prêts à défendre la vallée", enchaine le porte-parole qui chiffre les "combattants formés" à "plus de 10 000."
Même s'ils se disent "bien mieux équipés que dans les années 1980", les anti-talibans ont besoin de soutien militaire face aux combattants fondamentalistes qui ont fait main basse sur l'équipement et les armes modernes fournies par les forces américaines à l'armée afghane.
Un objectif prioritaire pour le FNR, le soutien des Etats-Unis.
L'appel a été lancé, en direction de Washington comme de la France et du Royaume-Uni . "Nous n'avons pas reçu de réponse négative", insiste le représentant du Front national de résistance, contredisant les propos rapportés d'Ahmad Massoud par Paris Match, dans son édition du 24 août, au sujet d'un appui militaire des Etats-Unis.
"Des discussions informelles ont débuté avec les talibans", déclare par ailleurs Ali Nazary qui ajoute n'avoir aucune confiance en l'état actuel envers les talibans. "Nous avons besoin de garanties et de garants en vue d'un accord de paix qui créerait un Afghanistan pour tous".
Le FNR serait-il prêt à prendre part à un "gouvernement inclusif" tel que les talibans disent vouloir le constituer ? "A la seule condition d'une décentralisation du pouvoir, de la mise en place d'une fédération et du partage des ressources. Voila l'inclusion à laquelle nous croyons. Pour l'instant, les talibans croient en leur victoire et ne cherchent pas à mettre en place un gouvernement inclusif".
La menace pesant sur les droits humains constitue "une autre raison pour la communauté internationale de soutenir la résistance afghane qui prône l'égalité entre tous les Aghans et un islam modéré et rationnel", affirme Ali Nazary.
Lors de la première conférence de presse des talibans mi-août, le ton s'est voulu rassurant au sujet des femmes, sans pour autant rassurer : la charia, la loi islamique, était présentée à la fois comme "cadre et limite" aux droits des Afghanes. Il y a quelques jours, s'y est ajouté un appel aux femmes à "rester à la maison dans l'intérêt de leur sécurité". La mesure serait "temporaire".
"Les femmes en sont revenues au point où elles étaient en 2001", résume Ali Nazary.
La peur des violences et des représailles a conduit des dizaines de milliers d'Afghans à tenter de fuir le pays depuis le 15 août. Plus de candidats au départ que d'élus à l'aéroport de Kaboul. Des dizaines de milliers de personnes ont pu être évacuées à la faveur d'un pont aérien historique qui doit prendre fin le 31 août officiellement, date limite de retrait des forces américaines selon l'accord de paix signé entre Washington et les talibans en février 2020.
C'est une "fuite des cerveaux", et elle est dramatique pour l'Afghanistan, convient Ali Nazary, qui dit toutefois comprendre ces Afghans qui fuient "parce qu'ils n'entrevoient pas d'avenir dans le contexte chaotique actuel, politique et économique".
Dans le bouleversement en cours en Afghanistan et dans la région, les grandes puissances rêvent de combler le vide laissé par les Etats-Unis en Asie centrale, avec de considérables intérêts économiques à la clé. Les voisins sont dans une prudente expectative.
Pakistan, Chine, Iran, Turquie mais aussi Russie n'ont pas écarté à ce jour de reconnaître le nouveau régime qui tente de son côté de donner des gages sur le périmètre géographique de ses ambitions et de son influence.
Mais la stabilité politique promise n'est qu'illusoire, alerte Ali Nazary. "Si le régime taliban est consolidé, ce ne sera pas un régime ami de la plupart d'entre ces pays". Le risque d'un regain d'activité terroriste est réel dans le monde, "un nouveau 11 septembre" n'est pas à écarter, selon lui.
Les raisons d'être optimistes sont maigres, admet Ali Nazary.
L'ambassadeur du jeune Front national de résistance espère que la diplomatie internationale saura "faire entendre raison aux talibans en vue d'un partage équitable du pouvoir". Mais le rationaliste ne croit pas aux miracles. "Nous nous préparons au pire". "Si ça continue, la perspective d'aboutir à une paix durable en Afghanistan ne tiendra plus à rien".
Voir aussi : Afghanistan : "La propagande de Daech dépeint les talibans comme “des suppôts de l’occupation américaine”"