Amorcé au début de la semaine, un mouvement de grève s'amplifie dans la métallurgie allemande, réclamant de fortes augmentations salariales et la réduction possible du temps de travail à 28 heures par semaine. Des négociations s'ouvrent ce jeudi 11 janvier, inhabituellement tendues. Le patronat campe sur ses positions mais la conjoncture économique et politique pèse en faveur des revendications du toujours puissant syndicat IG Metall.
C'est un mouvement qui détonne et étonne dans un pays généralement décrit comme modèle à la fois de libéralisme, d'ordre et de paix sociale. Jour après jour, des dizaines de milliers de travailleurs allemands rejoignent le mouvement de grève national entamé cette semaine à l'appel du syndicat de la métallurgie
IG Metall.
Les grèves - tournantes - demeurent dans un cadre très légal et soigneusement encadrées mais elles n'en affectent pas moins des entreprises emblématiques de l'industrie allemande : Volkswagen, Siemens, Porsche, Daimler… Près de 100 000 grévistes estimés depuis lundi 8 janvier. Plus de 700 000 annoncés dans les jours prochains.
Hausses de salaire et semaine de 28 heures
Première revendication, classique, d'ordre salarial. Logique, dans une économie florissante marquée à la fois par la croissance, le plein emploi et des salaires très contenus dans la dernière décennie.
Moins ordinaire, en revanche, l'ampleur de l'augmentation réclamée : 6 %, pour près de quatre millions de salariés de l'industrie. Un bond, dans un contexte de quasi-absence d'inflation. Le patronat ne propose que 2 %, assorti d'une prime de 200 €.
Plus iconoclaste et significative encore, la seconde revendication des métallurgistes : une réduction du temps de travail à 28 heures par semaine (contre 35 actuellement) pour ceux qui le souhaitent, avec compensation partielle de la perte de salaire par l'employeur.
La formule serait valable deux ans au maximum et l'entreprise devrait garantir un retour à un poste à plein temps. «
Nous luttons pour une flexibilité du temps de travail, une première depuis la lutte pour les 35 heures », rappelle une syndicaliste manifestante berlinoise Claudia König.
Les travailleurs ne sont pas que des travailleurs. Ils ont des vies personnelles, des enfants, des parents âgés. Tout ceci doit être pris en compte.Olivier Höbel, responsable berlinois d'IG Metall
Mené en 1984 par une
IG metall alors au faîte de sa puissance, ce combat syndical historique s'était achevé par un succès retentissant. Il avait indirectement ouvert la voie aux fameuses « 35 heures » généralisées en France bien des années plus tard (en 1998) par le gouvernement socialiste de Lionel Jospin, aujourd'hui mises à mal par les réformes successives d'Emmanuel Macron.
Plus d'une décennie de crises financières et de climat austéritaire dans l'Union européenne ont affaibli ou fait sembler moins d'actualité ce type de revendications. Leur réapparition, à cet égard, peut sembler signe des temps. «
Les travailleurs ne sont pas que des travailleurs. Ils ont des vies personnelles, des enfants, des parents âgés. Tout ceci doit être pris en compte », résume à une tribune Olivier Höbel, responsable berlinois d'
IG Metall.
Des revendications qualifiées d'irréalistes et … injustes
Le patronat, sans surprise, juge de telles prétentions inadmissibles et impraticables. Plus que son coût additionnel – de l'ordre de 1 % selon le calcul du syndicat, ce qui reste modique en période de vaches grasses -, il préfère mettre en avant la désorganisation qui pourrait résulter d'une baisse – même limitée dans la durée – du temps de travail.
Il faudra, en effet, la compenser par des embauches à temps partiel de salariés de compétence équivalente. Une difficulté dans un contexte de faible chômage : «
où suis-je censé les trouver en pleine pénurie de main d’œuvre qualifiée », demande sur la radio allemande
NDR info Nicko Fickinger, président de la fédération patronale
Nordmetall.
Plus d'argent pour ne rien faire, pas avec nous Rainer Dulger, fédération patronale de la métallurgie
Autre argument paradoxalement avancé par les employeurs ... la justice sociale. La mise en place de ce nouveau régime induirait une discrimination en défaveur des employés déjà à temps partiel pour, dans leur cas, un salaire réduit d'autant. «
Plus d'argent pour ne rien faire, pas avec nous », scande vertueusement Rainer Dulger, chef de la fédération patronale de la metallurgie.
Son adversaire
IG Metall semble plutôt pourtant, cette fois, en position de force. Malgré un certain effritement de ses effectifs par rapport à son apogée des années 1980-1990, le syndicat compte encore près de 2,5 millions de membres – sans rapport avec les faibles syndicats français – dans la branche la plus florissante et stratégique d'Allemagne qui compte près de 4 millions de salariés. La conjoncture nationale – emploi (moins de 6% de taux de chômage) , exportations, inflation – donne du crédit à ses appétits.
Des astres favorables
Elle lui est également favorable au plan politique, même si, dans la tradition allemande, les gouvernements se mêlent peu des négociations de branches. Après son revers aux dernières élections, Angela Merkel tente actuellement de reformer une majorité avec le
SPD (gauche sociale-démocrate) dont
IG Metall est un traditionnel soutien.
Si les employeurs n'abandonnent pas leur posture de blocage pour parler avec nous du temps de travail, nous devrons prendre des mesures plus drastiques Jörg Hofman, président d'IG Metall
Dans cette conjoncture, la thématique du temps libre contribue à la fois à redonner une certaine verdeur à un syndicat vieillissant et un peu de contenu social à un éventuel retour des sociaux-démocrates au gouvernement.
« Si les employeurs n'abandonnent pas leur posture de blocage pour parler avec nous du temps de travail, nous devrons prendre des mesures plus drastiques », a prévenu ce 11 janvier le président d'IG Metall Jörg Hofman.
« Nous verrons alors s'il y a lieu de continuer de négocier, si nous continuons les arrêts de travail, ou si nous organisons le vote de grèves dures », a-t-il déclaré dans la presse.
Le combat reste incertain. En tout état de cause, dans une économie allemande très disparate économiquement et socialement, une partie seulement des travailleurs allemands – ceux des grandes entreprises métallurgiques – profiteraient à ce stade de l'éventuelle avancée sociale.
Sa seule mise en avant par le plus puissant syndicat d'Europe, pourtant, n'en est pas moins significative. Contre l'air du temps, elle semble venir ranimer des idées comme surgies d'un autre âge : que le profit soit à partager ; qu'il revient aussi à l'employeur de financer les contraintes modernes du travailleur. Notions fort démodées dans les dernières décennies d'une Union européenne dominée, ironie de l'histoire, par ... la rigueur allemande.