Fil d'Ariane
La sortie du nucléaire "arrive trop tard et non trop tôt", a de son côté lancé lors d'un rassemblement, le député Jürgen Trittin, figure du parti des Verts.
Le 15 avril est une "date historique", a-t-il assuré. C'est l'aboutissement du combat mené depuis plusieurs décennies par le puissant mouvement antinucléaire allemand contre "une technologie dangereuse, non durable et coûteuse".
Après une première décision de Berlin d'abandonner progressivement l'atome, au début des années 2000, l'ex-chancelière Angela Merkel avait accéléré le processus de sortie du nucléaire en 2011, après la catastrophe de Fukushima. Depuis 2003, l'Allemagne a déjà fermé 16 réacteurs.
En Allemagne, il y avait jusqu’ici un sentiment antinucléaire assez généralisé. Cela est devenu beaucoup moins évident lorsqu’on s’est aperçu que nous ne pourrions plus compter sur le gaz russe
Anna Hubert, journaliste spécialiste des politiques énergétiques européennes
Cette décision aurait toutefois pu être compromise. Initialement fixé au 31 décembre 2022, l’arrêt des trois centrales a obtenu un sursis de quelques mois en raison de la crise énergétique liée à la guerre en Ukraine et à la pénurie de gaz russe. C’est d'ailleurs sur cette question que se portent les premières inquiétudes. Privée du gaz russe, dont Moscou a interrompu l'essentiel des flux, l'Allemagne s'est en effet retrouvée exposée aux scénarios les plus noirs, du risque d'arrêt de ses usines à celui d'être sans chauffage.
L’Allemagne ayant remplacé le gaz russe par d’autres fournisseurs, le scénario catastrophe a finalement été évité mais le consensus autour de la sortie du nucléaire s'est malgré tout effrité. "En Allemagne, il y avait jusqu’ici un sentiment antinucléaire assez généralisé. Cela est devenu beaucoup moins évident lorsqu’on s’est aperçu que nous ne pourrions plus compter sur le gaz russe pour sortir du nucléaire et aller vers le renouvelable", explique Anna Hubert, spécialiste des politiques énergétiques européennes et journaliste pour le média en ligne Contexte.
Selon un récent sondage réalisé pour la chaîne publique ARD, 59% des personnes interrogées estiment en effet que, dans ce contexte, abandonner n'est pas une bonne idée.
"C'est une erreur stratégique, dans un environnement géopolitique toujours tendu", a également affirmé Bijan Djir-Sarai, secrétaire général du parti libéral FDP, pourtant partenaire de la coalition gouvernementale d'Olaf Scholz et des écologistes. L'Allemagne doit "élargir l'offre d'énergie et non la restreindre davantage", estime quant à lui le président des chambres de commerce allemandes, Peter Adrian, dans le quotidien Rheinische Post.
Sur ce point, les ministres de l'Environnement et de l'Économie se sont voulus rassurants. Dans un communiqué publié jeudi 13 avril, ils affirment que "la grande disponibilité de l'approvisionnement énergétique en Allemagne reste assurée". Et pour garantir cette sécurité énergétique, Berlin met d'ailleurs en avant "le niveau de remplissage élevé des réservoirs de gaz du pays" (64,5%), grâce à l'importation massive de gaz naturel liquéfié (LNG).
Parallèlement à cette décision, l'Allemagne s’est mise au défi de se sevrer des énergies fossiles, se fixant pour objectif de couvrir 80% de ses besoins en électricité grâce aux renouvelables dès 2030. Elle entend également atteindre la neutralité carbone d’ici 2045. Mais sans le nucléaire est-ce possible ? "La décision de l’Allemagne de tourner la page du nucléaire, se porte plutôt sur des questions de sécurité globale, plus que climatiques, avec la crainte notamment de l’explosion d’une centrale, comme ce fut le cas avec Fukushima. Pour sortir de cette situation, l’Allemagne parie sur le charbon", convient Anna Hubert.
Plus gros émetteur de CO2 de l’Union européenne, le pays reste aujourd’hui très dépendant au charbon. En 2022, les trois derniers réacteurs ont par exemple fourni 6% de l’énergie produite dans le pays contre 33% pour le charbon, qui a même connu une hausse de 8% l’an dernier en raison de la crise gazière évoquée plus tôt.Pour l’Allemagne, le charbon n’est qu’un marchepied vers le tout renouvelable.
Anna Hubert, journaliste spécialiste des politiques énergétiques européennes
Plus de nucléaire, davantage de charbon et des ambitions écologiques. À première vue, la situation peut paraître paradoxale mais, comme l'explique la journaliste Anna Hubert, "c’est jouable". Elle s'explique :"Pour l’Allemagne, le charbon n’est qu’un marchepied vers le tout renouvelable. Quoi qu'il arrive, il faut une énergie de transition pour atteindre le tout renouvelable et en Allemagne, le charbon jouerait ce rôle-là. Aucun pays européen ne peut passer au tout renouvelable sans énergie de transition. Et aujourd'hui ces énergies sont malheureusement polluantes".
Le chancelier allemand Olaf Scholz a par ailleurs prévenu qu'il faudra installer "4 à 5 éoliennes chaque jour" au cours des prochaines années pour couvrir les besoins de l'Allemagne.
En 2022, la part des renouvelables dans le "mix" de production en Allemagne a atteint 46%, contre moins de 25% dix ans plus tôt. Des résultats satisfaisants dont se réjouit Simon Müller, directeur Allemagne du centre d'études Agora Energiewende. "Après 20 ans de transition énergétique, les énergies renouvelables produisent aujourd'hui environ une fois et demie plus d'électricité que le nucléaire n'en produisait à son apogée en Allemagne", disait-il à l'AFP.
L’Allemagne ne peut pas faire seule le pari du renouvelable, elle a besoin d’une chaîne de production qui est dépendante du reste de l’Europe.
Anna Hubert, journaliste spécialiste des politiques énergétiques européennes
Mais si les résultats sont certes satisfaisants, sont-ils pour autant pérennes ? C’est la question que se posait ironiquement samedi 15 avril le quotidien Süddeutsche Zeitung."Où et comment l'énergie renouvelable doit-elle être produite ? Tout le monde dans ce pays est au moins d'accord pour dire une chose : pas chez moi."
"Faire le pari du charbon pour atteindre le renouvelable reste un pari", explique Anna Hubert. "En 2030, le développement du solaire et de l’éolien de l'Allemagne devrait compenser l’activité d’une trentaine de réacteurs nucléaires si les constructions sont maintenues". Elle nuance : "Cela reste de la planification. Ces énergies restent très dépendantes des conditions météorologiques et pour l'heure, nous n’avons pas de solutions pour les stocker".
Bien qu'il existe aujourd'hui plusieurs scénarios qui garantissent un positionnement durable de la part de l'Allemagne, la journaliste soulève une autre zone d'ombre : sa dépendance à d’autres pays. " On ne peut pas exclure certains scénarios un peu plus compliqués", explique-t-elle. "L’Allemagne compte beaucoup sur les importations de pays d’Afrique du Nord, notamment pour l'hydrogène. Même chose pour l'importation de gaz et de GNL qui, certes, ne viendront plus de la Russie, mais de pays comme le Qatar ou l'Azerbaïdjan. Nous savons très bien que ces pays ne sont pas toujours les plus stables."
La journaliste reste toutefois convaincue que malgré des promesses réalisables, l'entrée dans le tout renouvelable ne se fera pas sans ses voisins européens. "L’Allemagne ne peut pas faire seule le pari du renouvelable, elle a besoin d’une chaîne de production qui est dépendante du reste de l’Europe", conclut Anna Hubert.
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