Entretien avec le politologue allemand Henrik Uterwedde
Comment expliquez-vous cette défaite sévère de la CDU ? C'est essentiellement un défaite régionale. Il y a deux ans, le Land a été pris par une coalition de gauche minoritaire menée par Mme Kraft, social-démocrate. Une femme très populaire qui a su, pour ces élections anticipées, profiter de son bonus personnel pour conforter sa position. A l'opposé, la CDU a envoyé M. Röttgen, ministre de l'Environnement dans le gouvernement Merkel. Dès le début de la campagne, il n'a pas été très emballé par la tâche et a accumulé les bourdes. Donc, cette véritable claque électorale pour la CDU s'explique d'abord par des facteurs personnels et locaux. Ne faut-il pas y voir une remise en cause de la politique d'austérité menée par Angela Merkel ? Pas vraiment. Si Mme Kraft et les sociaux-démocrates sont très majoritaires dans ce Land, les sondages nous disent qu'au niveau national Mme Merkel a une longueur d'avance. Elle bénéficie d'une cote personnelle très forte. Il ne faut pas oublier que la majorité des Allemands, même ceux qui votent SPD, sont pour une stabilité en Europe. Pourtant, ce n'est pas la première défaite régionale des conservateurs ! Tout à fait. Dans les Länder, le pouvoir de Mme Merkel va en diminuant. Cela reflète une insatisfaction vis-à-vis de la politique intérieure dans le domaine social. Ce qui rend plus difficile ses perspectives pour les législatives de 2013. Mais le SPD, qui gagne toutes les élections dans les Länder, n'a pas été capable de capitaliser ses gains sur la scène nationale. Donc la lutte pour la chancellerie reste ouverte. Angela Merkel sait bien que l'échéance de 2013 est une échéance d'une autre nature que celle de dimanche. Elle garde, pour l'instant, toute ses chances d'être réélue. Et, au pire, si elle perd sa majorité, on s'acheminera vers une grande coalition menée par la CDU qui reste, de loin, la première force politique en Allemagne. Angela Merkel reste encore la femme forte de la CDU ? Oui tout à fait. Elle n'est absolument pas isolée au sein de son parti. Loin de là. A la limite, la défaite de M. Röttgen peut être perçue comme la défaite d'un petit prétendant qui aurait pu briguer le pouvoir au sein de la CDU. Ce qui fait un concurrent potentiel de moins pour Angela Merkel qui a su, au cours de son parcours, éloigner ses amis politiques du pouvoir. La chancelière n'est absolument pas remise en cause. Sa personne garde un capital de confiance et de sympathie très fort au sein de la population allemande, malgré des défaites régionales qui se succèdent. A la Chancellerie depuis 2005, comment parvient-elle à résister à l'usure du pouvoir ? D'abord de 2005 à 2009, elle a dirigé une grande coalition gauche/droite qui a fait en pleine crise financière un travail remarquable. Depuis 2009, en revanche, elle tient une coalition avec les libéraux qui est beaucoup plus controversée. Elle a été forcée à des virages époustouflants comme la sortie du nucléaire après la catastrophe de Fukushima. Politiquement, elle a accumulé pas mal de bourdes mais, en tant que personnalité, elle a un côté rassurant, proche des gens, qui est toujours intacte. Il faut voir aussi la concurrence du SPD. Il y a trois prétendants potentiels mais aucun ne se distingue comme un challenger sérieux à Angela Merkel. Cela peut certes évoluer dans les prochains mois. Mais, même avec un gouvernement assez médiocre, la chancelière réussit à garder son capitale de confiance. Elle est un peu la dame du juste milieux. Elle n'est pas dans la rupture. Elle est, au contraire, graduelle, capable aussi en cas de d'adversité de faire un pas vers l'opposition et de récupérer certains thèmes en vogue. En fait, c'est une étrange alchimie. C'est une personnalité assez forte qui est parvenue à sortir indemne des turbulences que subissent son pays et son parti. Je ne pense pas qu'il y ait vraiment le feu dans la maison Merkel. Dans ce nouveau contexte politique, Angela Merkel serait-elle plus encline à fléchir sa position au niveau européen et revoir le pacte de stabilité ?
Autre grand perdant de ces élections, c'est "die Linke". Le parti d'extrême gauche n'a rassemblé que 2,5% des voix, alors que dans d'autres pays européens, comme la France et la Grèce, la gauche radicale a le vent en poupe. Comment expliquez-vous ce phénomène ? C'est assez bizarre. Les problèmes que nous devons affronter devraient conforter les thèses de die Linke. Mais le parti pâtit d'une mauvaise image en raison de querelle de pouvoir internes et il n'a pas su capitaliser et canaliser les protestations sociales. C'est assez décevant. Pour redresser le parti, on parle d'un retour possible de Oskar Lafontaine, figue emblématique en Allemagne.
En revanche, le parti des pirates a fait une nouvelle percée locale. Remportant 7,7% des voix, il fait son entrée dans le parlement régional. Faut-il prendre ce parti atypique au sérieux ? Oui. Ces pirates piquent des voix à tous les autres partis, même à la CDU et aux libéraux. Certes leur programme n'est pas vraiment prêt. Ils réclament plus de démocratie participative et plus de transparence dans le processus de la politique; ce sont des thèmes protestataire classiques. Autre volet : Internet gratuit et sans contrôle. Pour le reste, c'est la page blanche. Mais quand on écoute les ténors du parti, ils ne s'avèrent ni naïfs ni extrémistes. Ils sont donc assez convoités par la classe politique actuel qui espère pouvoir les ramener vers un jeu politique normal. Pour l'instant, la montée des pirates gêne car elle trouble le jeu des coalitions - cher aux Allemands. Mais ils ne déstabilisent pas réellement l'échiquier politique. Ils ne sont pas perçus comme un danger pour la démocratie, comme l'a été l'entrée de l'extrême droite dans certains parlements régionaux. On est, sur ce point, assez rassuré. Mais je ne pense pas qu'ils progresseront d'avantage.