Allemagne : que savons-nous des agressions sexuelles de la Saint-Sylvestre ?

Deux viols et des centaines d'agressions sexuelles ont été commis sur trois places publiques allemandes lors de la nuit du nouvel an. Les migrants sont accusés et les polémiques enflent.
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Place de la Gare à Cologne, le 31 décembre 2015
La place de la Gare de Cologne, le soir des événements. Des dizaines d'hommes, par petits groupes, ont encerclé et agressé sexuellement des centaines de femmes (Photo : Markus Boehm/dpa via AP)
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Plusieurs polémiques s'entremêlent dans l'affaire des agressions sexuelles du nouvel an en Allemagne. Les différents scandales se nouent autour de la gravité des faits, de leur ampleur, ainsi que sur l'identité des agresseurs — supposés être des migrants — mais aussi à cause du mutisme de la presse durant plusieurs jours sur le sujet, ainsi que des réactions politiques, plus ou moins décalées. Reprise des faits et analyse d'un événement qui électrise la société allemande.

Des groupes d'hommes ivres

Un extrait de rapport de la police allemande publié par le quotidien Bild le 7 janvier détaille les violences commises par une centaine d'hommes sur la place de la gare de Cologne. Selon les policiers, les fauteurs de troubles — passablement ivres — auraient commencé à agresser la foule en début de soirée avec des bouteilles, des pétards et des feux d'artifice. Les policiers stipulent dans leur rapport que ces hommes étaient essentiellement "issus de l'immigration".

Extrait d'un sujet du 9 janvier 2016 sur les événement du 31 décembre, où l'on voit les jets de bouteilles et de feux d'artifice par des groupes de jeunes hommes, à Cologne, sur la Place de la gare :

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Des passants font état d'agressions sexuelles par attouchements à l'encontre des femmes présentes, de bagarres, et de vols ayant débuté avant l'intervention de la police. Des actes qui continueront jusqu'à l'évacuation de la place à 23h30 par les forces de l'ordre. A l'issue de cette évacuation, plus de 120 plaintes sont enregistrées en Allemagne pour cette soirée du 31 décembre — et ce, à partir du lundi 4 janvier — dont 2 pour viol, et les trois quarts restantes pour agressions sexuelles.

Un étrange vide d'images

Si la gravité des agressions perpétrées à Cologne, plus importantes en nombre, mais similaires à celles des villes de Hambourg et de Stuttgart, fait — à juste titre — réagir la société allemande, le traitement de cet événement par les médias allemands est, lui, plutôt incompréhensible : aucune information à propos de ces événements n'a filtré juqu'au… 4 janvier.

Au delà du délai étrangement long pour traiter cette affaire, les preuves en image de ces événements ne sont sorties quasiment nulle part. La vidéo extraite du reportage plus haut est l'une des rares qui montre les groupes d'individus jetant des bouteilles et des feux d'artifice sur la foule. La police locale enquête et affirme avoir identifié 31 suspects sur la centaine qui aurait participé aux agressions sexuelles. Il y aurait dans cette liste des Algériens, Marocains, Syriens, Irakiens, Iraniens, 1 Américain, 1 Allemand et un Serbe. Des propos tenus en français par des lanceurs de pétards ont aussi été rapportés par des passants.

Réaction politique décalée

La maire de Cologne, Henriette Reker, a donné  un conseil aux femmes le mercredi 6 janvier, en réaction aux agressions du 31 décembre : "respectez une certaine distance, plus longue que le bras, avec les inconnus, pour vous protéger d'éventuels assauts". Cette déclaration a été très mal prise et donne lieu à de nombreuses réactions d'indignations, particulièrement sur les réseaux sociaux (lire notre article : "Le "bras de distance" désarmant de Henriette Reker après les agressions sexuelles de Cologne". Un mot-dièse (hashtag) circule depuis sur Twitter pour résumer l'état d'esprit des "twittos" envers ce conseil, qui laisserait penser que les femmes pourraient être en partie responsables des agressions : "Armlänge Abstand" (distance de plus d'un bras). Certaines femmes ironisent sur la taille de leurs bras qui pourraient ne pas être "assez longs". 

La maire de Cologne ne s'est pourtant pas contentée de ce conseil aux femmes quelque peu décalé, puisqu'elle a aussi condamné "le comportement intolérable de ceux qui ont commis ces actes, qui seront sanctionnés", et a souligné vouloir "mettre l'accent sur la prévention, en indiquant aux visiteurs de culture étrangère, que pour le carnaval, il ne faut pas confondre la fête et les comportements festifs avec une invitation aux violences sexuelles". Mais le mal est fait, et l'opinion allemande semble désormais très vindicative à l'égard des migrants, soupçonnés d'avoir commis ces actes , comme envers la maire de Cologne.

Explications divergentes

Les groupes d'extrême droite, dont le mouvement xénophobe Pegida en tête, manifestent pour demander l'expulsion des réfugiés, accusés d'être les seuls coupables. Si de tels événements ne se sont jamais produits en Allemagne, et que ce pays est celui qui a accueilli plus d'un million de migrants fuyant les conflits du Moyen-Orient, il n'est pas certain que l'explication d'un dérapage sous l'emprise de l'alcool d'une centaine de réfugiés, soit la bonne. Selon le JDD (Le Journal du dimanche), les attaques auraient été coordonnées et "les enquêteurs y voient la main de la mafia marocaine, de plus en plus puissante dans la région. Une commission spéciale (Sonderkommission) dite "Soko Casablanca" a surveillé plus de 2.000 suspects l'an passé et a alerté en décembre sur l'infiltration de ce gang de trafiquants et de pickpockets dans les foyers de réfugiés."
Manifestation
Des manifestants de gauche et d'extrême droite prêts à s'affronter et sous haute surveillance de la police, à Cologne ce samedi 9 janvier. (Oliver Berg/dpa via AP)

L'ampleur de ces agressions, dans plusieurs villes, avec des procédés similaires de la part des agresseurs peut laisser penser que cette affaire aurait été potentiellement "planifiée". Les enquêteurs allemands, toujours selon les sources du JDD, expliquent qu'"il pourrait s'agir d'une démonstration de force, un fait d'armes pour lequel ils [les membres de la mafia marocaine, ndlr] sont allés chercher du renfort parmi les réfugiés arabophones et désœuvrés de la ville". Les migrants ont-ils improvisé leurs assauts ou bien ont-ils été incités à le faire ? La possibilité que ces groupes d'hommes soient en réalité des "frustrés sexuels", ayant agi d'une manière similaire à ceux de la place Tahrir — lors des printemps arabes — est tout à fait envisageable. C'est cette théorie qui est retenue par la journaliste belge Laurence D'hondt. Au final, l'enquête en cours en Allemagne devrait permettre d'y voir plus clair dans les jours qui viennent.

Décryptage politique de l'affaire par Slimane Zeghidour, éditorialiste de TV5 Monde :

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