Difficile de croire, à la lecture d'un tel récit, qu'un recul aussi grave des conditions de travail soit possible sans que les autorités françaises n'interviennent. L'enquête de Jean-Baptiste Malet décrit avec précision les entorses au droit du travail du géant américain de la vente par Internet : vigiles qui scannent les employés aléatoirement en les forçant à passer par des portiques de détecteurs de métaux sous prétexte de prévenir des vols (avec pour certains des fouilles corporelles) ; salles de repos situées si loin des postes de travail que les 20 minutes de pause sont réduites à 5 minutes ; un temps de pause sur deux non payé ; interdiction de parler de son travail, même à ses proches, sous peine de licenciement ; licenciement pour ceux qui ne remplissent pas les objectifs d'augmentation des cadences. L'Etat, pourtant, à commencer par son ministre du Redressement productif, Arnaud Montebourg, continue à plébisciter la firme américaine. L'
entrepôt de Chalon-sur-Saône a bénéficié d'une subvention publique de 1,125 million d’euros pour 250 emplois, soit 3400 euros par emploi créé. Un tiers des 1000 emplois est stable, le reste est de l'emploi précaire intérimaire, comme dans l'entrepôt de Montélimar. A ce sujet, le ministre répliquait en juin 2012, lors de l'ouverture du site de Chalon : "Il y aura des emplois saisonniers, oui, comme il en a toujours existé, avec les vendanges par exemple". Et d'ajouter qu'"en cette période d’urgence, un emploi gagné a beaucoup de valeur". "Amazon est suivie depuis le départ" L'urgence est-elle si forte que la création d'un millier d'emplois, en majorité précaires, pourvus par des salariés intérimaires exploités et maltraités par une entreprise aux pratiques managériales et sociales contestables, ne pourrait qu'être applaudie par le ministre du Redressement productif ? Contactés par la rédaction de TV5Monde, les services du ministère d'Arnaud Montebourg n'ont pas souhaité répondre à nos questions. Ceux du ministère du Travail expriment que le ministère de Michel Sapin "est attentif à ce genre de problématiques, mais ne peut anticiper au sujet du nouvel entrepôt de Douai". Alors que le détail des abus d'Amazon décrits par l'enquête de Jean-Baptiste Malet leur était transmis par téléphone, la responsable du ministère du Travail indiquait qu'"Amazon est contrôlé, comme toutes les entreprises, et le sera aussi à Douai. L'inspection du travail fait son travail". L'inspection du travail de Montélimar, jointe par téléphone, nous a confirmé avoir "bien reçu et communiqué le règlement intérieur d'Amazon à l'inspection dont dépend le siège de la firme américaine. Il a été validé. la société Amazon est suivie depuis le départ, nous participons à améliorer les locaux, à la prévention des risques. Il y a un contact avec les représentants syndicaux, ceux du personnel, comme ceux de la direction. Amazon a sa propre culture et elle est très contraignante, l'entreprise essaye de s'adapter, de s'améliorer, mais c'est difficile. Comme une autre société - Ikéa - ce sont des entreprises qui pratiquent une logique de la qualité maximale, de la satisfaction du client et de très forte productivité. Le problème est d'arriver à déterminer ce qui est admissible ou pas. Le choix, ici, est de rappeler les règles et de faire progresser les choses plutôt qu'une approche agressive. Il faut savoir qu'il y a de nombreux procès-verbaux qui ne donnent rien, et puis les moyens de ces multinationales par rapport à l'autorité judiciaire sont disproportionnés, surtout qu'Amazon a été soutenue publiquement par un ministre".