La Chine, voisine du Kirghizstan, pourrait-elle jouer un rôle dans cette crise ? Il existe d’intenses échanges économiques entre les deux pays. Mais pour l’instant, la Chine n’a pas les moyens d’intervenir dans cette crise. Toutefois, c’est une question qu’elle doit suivre de près puisque de nombreux exilés Ouighours habitent cette région. Il faut se rappeler qu’en juillet 2009, la province chinoise du Xinjiang avait été également secouée
par de violents affrontements entre Ouighours et Hans. Comment analysez-vous les violences interethniques qui ont fait près de 200 morts dans la région d’Och ? Les spécialistes savaient que la situation communautaire était tendue dans le sud du pays. Mais, personnellement, je suis très étonné par le degré de violence. Après l’écroulement de l’Union soviétique, le Kirghizstan était parvenu à mener des réformes économiques et à intégrer ses minorités. Mais depuis la fin des années 90, plus aucune réforme n’a été lancée et le pays s’enlise dans la pauvreté et la corruption. Ces derniers pogroms dans le sud sont révélateurs des tensions sociales qui traversent le Kirghizstan. C’est la conséquence de migrations internes. Implantés à l’origine dans les zones rurales, les Kirghizs sont poussés à s’installer dans les villes pour trouver du travail. Ce qui provoque des incompréhensions et des tensions avec les Ouzbeks. Par ailleurs, il ne faut pas négliger la dimension mafieuse de cette crise. Dans ce pays pauvre, l’économie locale est détenue par des réseaux mafieux qui entretiennent des relations étroites avec le pouvoir politique. Donc, quand il y a un changement à la tête de l’Etat, il faut retrouver un nouvel équilibre avec la mafia locale.
Faut-il craindre une contagion de ces violences ? C’est un des risques de cette crise. Dans le sud du Kirghizstan, les Kirghizs sont amplement majoritaires face aux 200 000 Ouzbeks. Mais cette zone s’insère dans un espace géographique plus large, la vallée fertile de Ferghana qui, elle, est dominée par les 8 à 9 millions d’Ouzbeks. Ces pogroms vont certainement renforcer le nationalisme ouzbek. Aussi, à terme, la région pourrait connaitre de graves affrontements comme cela s’est produit dans les Balkans dans les années 90. Propos recueillis par Camillle Sarret 16 juin 2010