Alberto Toscano, écrivain, journaliste pour l'agence italienne Aga et président du club de la presse européenne
Comment les syndicats italiens ont-ils accueilli le plan de rigueur de Berlusconi ? En Italie, les trois confédérations syndicales n'ont pas eu la même réaction face au plan d'austérité. La CGT à l'italienne, la CGIL, est très critique en affirmant que ce sont toujours les mêmes, les salariés et les retraités, qui payent. En revanche, la CISL, tendance démocratie chrétienne, et l'UIL, laïque, sont moins remontées et laissent la porte ouverte à des discussions potentielles. Pensez-vous qu'un mouvement social aussi nerveux qu'en Grèce pourrait naitre en Italie ? Il ne faut pas s'attendre à de grandes manifestations comme en Grèce. Les Italiens ont bien conscience de l'énormité de la dette publique de leur pays. Ils sont prêts à faire des sacrifices que je qualifierais de "bio-dégradables" dans la mesure où la société est dans la capacité de les digérer. Les Italiens ont déjà dû faire des sacrifices encore plus importants dans les années 90 pour rentrer dans la zone euro. Même du côté des fonctionnaires qui vont payer un lourd tribu au plan de rigueur, il n'y aura pas de levée de boucliers. Dans le secteur public, les salaires ont été fortement augmentés depuis ces quinze dernières années.
La dette publique italienne a fait un saut de 150 milliards d'euros entre septembre 2008 et mars 2010 pour atteindre 118 % du PIB. Comment l'Etat italien a-t-il pu être aussi laxiste ? La dette publique a explosé dans les années 80 sous les gouvernements de centre gauche menés par la Démocratie chrétienne et le Parti socialiste, des forces politiques qui ont depuis disparu. Entre 1985 et 1986, elle était au même niveau que la dette française actuelle (77% du PIB). Elle a grimpé jusqu'à 125% du PIB au début des années 90. Trois facteurs expliquent ce phénomène. D'une part, des systèmes d'amortisseurs sociaux très généreux. L'Etat italien versait alors quatre fois plus de pensions d'invalidité que la France. Pour une ville de 200 000 habitants, il pouvait distribuer jusqu'à 70 000 pensions. Des sociétés publiques avaient pour seule mission de distribuer de l'argent pour obtenir un consensus politique. D'autre part, la corruption et l'évasion fiscales étaient plus développées. Ce système a fonctionné tant que la croissance était au rendez-vous. Quand la crise est arrivée à la fin des années 80, les revenus de l'Etat ont baissé et la dette a enflé. Le plan de Berlusconi risque-t-il de freiner la croissance du pays ? Cette question doit être posée à l'échelle européenne. Tous les Etats membres de la zone euro ont laissé filer leur déficit public et leur dette, outrepassant les critères de Maastricht qui fondent pourtant la monnaie unique. Pour résorber le problème, il y avait alors deux chemins possibles. Celui du bon sens avec la volonté de réduire les dépenses publiques en prenant le temps de la digestion ou le chemin allemand imposant des sacrifices immédiats pour redresser le plus vite possible la situation financière de l'Europe. L'Allemagne a fait du chantage et a voulu jouer au poker menteur avec beaucoup d'arrogance en affirmant que si le cas grec se répétait, elle quitterait la zone euro. Les partenaires européens n'ont pas pu faire autrement que de suivre la ligne de la Chancelière Angela Merkel. Mais, à terme, cette réduction brutale et forcée des dépenses publiques risque en effet de mettre à mal la croissance européenne.
En imposant la rigueur au pays, le gouvernement de Berlusconi est-il fragilisé voire, à terme, menacé ? Je ne pense pas que ce plan de rigueur soit une raison valable pour que le gouvernement perde la confiance de ses partenaires au parlement. Dans l'état actuel des choses, la crise économique n'est pas un facteur de discorde au sein de la majorité. Je pense que Berlusconi parviendra à terminer son mandat en 2013. Mais au sein du gouvernement, une nouvelle personnalité est entrain de monter : Giulio Tremonti, le ministre de l'Economie et des Finances qui a mis au point ce plan de rigueur. S'il était amené à quitter le gouvernement dans les semaines à venir, c'est claire que les marchés se retournaient contre l'Etat italien. Il a acquis un pouvoir énorme. C'est devenu un concurrent potentiel de Berlusconi. Comment ce plan de rigueur porte-t-il la marque de Giulio Tremonti ? Giulio Tremonti est un personnage politique incroyable. La soixantaine. Ancien socialiste passé à droite pour rejoindre le clan de Berlusconi. Il est à l'origine conseiller fiscal, expert de l'évasion fiscale. C'est le vrai cerveau du gouvernement. Il a eu cette idée bizarre mais très efficace de la "finance créative". Il a notamment permis aux Italiens qui ont placé de manière illicite des capitaux à l'étranger de les rapatrier dans les banques du pays en payant une taxe de 5 % à l'Etat. Il ne faut pas avoir de scrupules. C'est une manière de passer l'éponge tout en regonflant les caisses publiques. Cette mesure a déjà rapporté 100 milliards de capitaux à l'Italie et 5 milliards d'euros à l'Etat. Une mécanisme similaire a été mis en place pour les constructions illicites. Dans le cadre du plan de rigueur, Giulio Tremonti a réussi à obtenir de Berlusconi qu'il baisse jusqu'à 3000 euros la barre au-dessus de laquelle il est impossible de payer en liquide. Un moyen là aussi de lutter contre l'évasion fiscale. Propos recueillis par Camille Sarret 26 mai 2010
Publications d'Alberto Toscano
Installé à Paris depuis 1986, Alberto Toscano a écrit plusieurs ouvrages, dont Critique amoureuse des Français, Hachette, 2008 ; France-Italie coups de tête, coups de cœur, éditions Tallandier, 2006 ; L’ Italie aujourd’hui, situation et perspectives après le séisme des années 1990, œuvre collective, L’Harmattan, Paris, 2004.