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La Chine et les États-Unis sont engagés dans un bras de fer diplomatique autour de l’épineuse question de Taïwan. Cette île aux 24 millions d’habitants vit depuis des décennies sous la menace d’une annexion par la Chine, qui renforce chaque jour un peu plus la pression. Mais une annexion est-elle vraiment à craindre ? Éléments de réponse avec Jean-Vincent Brisset, chercheur associé à l’IRIS.
Depuis quelques jours, la Chine et les États-Unis s’écharpent au sujet de Taïwan. L’île est convoitée par Pékin, qui la considère comme une “province rebelle”, destinée à réintégrer le giron du parti communiste chinois. Mais Taïwan, sans avoir jamais proclamé son indépendance, jouit d’un statut hybride. La République de Chine (ROC), nom officiel de l’île, est née en 1949, lorsque les communistes menés par Mao Zedong prennent le pouvoir en Chine. Ils instaurent la République Populaire de Chine (RPC) et chassent les nationalistes du Kuomintang, qui trouvent refuge à Taïwan.
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Pendant plus de 20 ans, la ROC, dirigée par Tchang Kaï-chek et soutenue par les Américains qui la considèrent comme une alliée dans la lutte contre le communisme, parvient à conserver la main - et un siège en tant que représentante de la Chine aux Nations Unies. “Beaucoup de pays gardent leurs relations diplomatiques avec Taïwan pendant des années, tant que Taïwan n’est pas chassée des Nations Unies (en 1971 ndlr) par l’administration Nixon en particulier, et remplacée par la Chine de Pékin” explique Jean-Vincent Brisset, chercheur associé à l’IRIS, spécialiste de la Chine et des questions stratégiques en Asie.
Depuis, Taïwan existe dans un statu quo fragile. Reconnue par seulement 15 pays, l’île a pourtant toutes les caractéristiques d’un État : gouvernement élu démocratiquement, monnaie propre, représentation internationale et des relations diplomatiques et commerciales avec de nombreux pays. Une existence sur la scène internationale, mais toujours dans l’ombre de Pékin, qui ne démord pas de son objectif de “ réunification ”.
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La réunification chère à Xi Jinping est loin d’être acquise. L’île, qui jouit d’une belle croissance économique (6% en 2021), n’a aucune envie de devenir une province chinoise, et préfère maintenir le statu quo, profitant notamment de la protection américaine apportée par le Taïwan Relations Act. Ce traité qui régit les relations entre les États-Unis, l’île de Taïwan et la “ Chine continentale ”, stipule que Washington apportera une aide militaire à Taïwan contre toute tentative non-pacifique de Pékin de “résoudre” la situation.
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C’est en vigueur de ce traité que les États-Unis ont récemment signé un contrat avec Taipei pour plus de 120 millions de dollars d’équipement naval, destiné à renforcer la "préparation au combat" de l'île. Un contrat qui n’a pas été du goût de Pékin, surtout après les déclarations du président Joe Biden qui, en visite au Japon le mois dernier, a semblé s'écarter de décennies de politiques américaines en assurant que son pays défendrait Taïwan militairement, si l'île était attaquée par la Chine. Une menace à peine voilée, alors que la Chine multiplie les incursions dans la zone d'identification de défense aérienne (AZID) de Taïwan, et qui n’a pas été du goût de Pékin, qui a encore renforcé ses incursions aériennes autour de l’île.
Une attitude qualifiée de "provocatrice et déstabilisante" par le chef du Pentagone, Lloyd Austin, qui a immédiatement reçu une réponse cinglante de Pékin. "Si quiconque osait séparer Taïwan de la Chine, l'armée chinoise n'hésiterait pas un instant à déclencher une guerre, quel qu'en soit le prix", a averti le ministre chinois de la Défense, Wei Fenghe, exhortant Washington à "cesser de dénigrer et de contenir la Chine (...) à cesser de s'ingérer dans les affaires intérieures de la Chine et à cesser de nuire aux intérêts de la Chine".
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Les tensions entre Pékin et Washington autour de la République n’ont rien de nouveau, mais de nombreux observateurs s’inquiètent de l’influence de la guerre en Ukraine sur les ambitions chinoises. Xi Jinping prendra-t-il exemple sur Vladimir Poutine ? La dernière passe d’armes entre les deux superpuissances présage-t-elle d’une véritable crise diplomatique ? Pour Jean-Vincent Brisset, "c’est l’épisode numéro 255 de quelque chose qui dure depuis des années”.
Du côté de Pékin, “Xi Jinping est en difficulté sur le plan politique depuis des années, et le pays est bâti sur du sable. Il ne supporterait pas du tout le type de sanctions que la Russie arrive à supporter”. En cas d’annexion de Taïwan par la Chine, les États-Unis seraient selon lui obligés d’intervenir beaucoup plus frontalement qu’ils ne le font en Ukraine. Mais cette éventualité reste pour le moment peu probable.
D’une part, Pékin se réserve l’usage de la force comme une solution de dernier recours et mise encore sur un processus pacifique de réunification. D’autre part, une invasion serait logistiquement compliquée d’après Jean-Vincent Brisset : “Attaquer une île robustement défendue est beaucoup plus compliqué” que d’annexer un territoire comme le Donbass, explique le chercheur. “Pour monter une agression sur Taïwan, la Chine populaire serait obligée de passer des zones que la Corée du sud et le Japon estiment être des eaux territoriales. Une agression de la Chine contre Taïwan serait donc aussi une agression contre ces deux pays.”
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Pour Jean-Vincent Brisset, “une déclaration d’indépendance pourrait amener les Chinois à réagir brutalement” mais “il n’en est pas question pour le moment”, la dirigeante taïwanaise Tsang Ing-wen étant bien consciente des implications géopolitiques. Le statu quo devrait donc prévaloir, à moins d’un incident grave estime le chercheur. “Le manque de professionnalisme des militaires chinois risque de provoquer une collision qui pourrait entraîner des morts, côté canadien, australien, japonais… À ce moment-là, il est possible que la réaction des Occidentaux soit extrêmement forte.”