Fil d'Ariane
Sur la Grande Île, l’inégal accès à Internet créé une « fracture numérique » pénalisant les étudiants qui peinent à faire leurs recherches ou à suivre des cours en ligne… faute de place en faculté. Dans la capitale malgache, des solutions s’organisent.
Entre les bâtiments du campus universitaire, le calme règne en milieu de semaine. La faute peut-être aux transports perturbés par la tenue du Sommet de la Francophonie en cette fin novembre. Quelques étudiants discutent à l’ombre des édifices aux façades rouges, d’autres s’entraînent aux danses de salon dans le gymnase, pendant que quelques-uns se pressent dans le campus numérique francophone.
Cette enclave de l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF) un peu excentrée dans le campus Ankatso, l’université d’Antananarivo, fête ses 25 ans. C’était le deuxième campus de ce type créé par l’AUF après celui de Dakar (Sénégal) qui accueillait en 2014 le Sommet de la Francophonie.
A l’intérieur de l’édifice en briques, l’ambiance est studieuse. Les étudiants chuchotent pour ne pas déranger les autres, tous rivés, agglutinés, à leurs écrans d’ordinateurs.
« Le service le plus simple que l’on offre, c’est aussi le plus connu des étudiants : l’accès à internet », raconte sa responsable, Ange Rakotomalala qui accueille chacun avec un grand sourire. Cette femme, la quarantaine, met toute son énergie dans cet espace dédié au numérique et ouvert à tous les étudiants. Juriste de formation, elle a failli devenir journaliste avant de découvrir les TIC (Technologies de l’information et de la communication) et d’y consacrer sa carrière.
« Mais les étudiants viennent d’abord ici pour suivre des formations gratuites sur la recherche documentaire par exemple, ou pour la rédaction de CV. Mais on leur donne aussi accès à la documentation scientifique en français alors que le gouvernement malgache a souscrit à des bases de données anglophones. Ils peuvent également lire des ouvrages en ligne, gratuitement. »
Ce panel de services numériques qui, ailleurs, peut paraître basique, revêt ici, à Madagascar, une plus grande importance. Une vraie nécessité et une aubaine pour les étudiants qui ont très difficilement accès à Internet.
En 2015, l’Autorité de Régulation des Technologies de Communication (ARTEC) répertoriait 1 252 477 abonnés à un service internet dans le pays, soit un peu plus de 5% de la population. Près de 98% de ces abonnements internet sont souscrits pour les téléphones portables.
Pas très adapté pour faire ses recherches universitaires comme le souligne Sandra Felaniaina, 21 ans. Elle est en 3e année de licence de Géographie du tourisme.
Pour elle, le CNF est une chance, « Je n’ai pas d’ordinateur personnel donc j’ai besoin de venir ici. J’ai bien mon téléphone qui se connecte à Internet mas ce n’est pas pratique et ça reste trop cher pour moi. »
Rares sont ceux qui possèdent leur propre matériel informatique pour travailler. D’où la nécessite d’un tel lieu qui offre connexion et conseils. Mais le service internet n’est pas gratuit.
« Ici le prix reste correct : 500 Ariarys par jour. C’est moins cher que sur le reste du campus ! », souligne Sandra Felaniaina. « Au cybercafé, c’est cher et en temps limité, il faut aller vite », appuie une autre étudiante présente dans le CNF Francia Oeliarihoasa, 27 ans. Elle vient de finir son master 2 d’Informatique.
Même si le campus numérique accueille entre 40 à 80 étudiants par jour, impossible de répondre aux besoins de tous les étudiants. « En théorie il y a du wifi partout dans le campus. Mais la plupart des associations d’étudiants ont maintenant leur propre cybercafé. Je me demande si l’université ne s’abstient pas plus ou moins volontairement de mettre en place de telles installations pour permettre aux cafés des étudiants de fonctionner parce que ce sont des services payants », suppute Ange Rakotomalala.
Et parfois ça coûte cher ! Vahatriniaina Andriamanantena, 25 ans, est en master 2 de Tourisme et vice-président de l’association des étudiants de la faculté de Lettres et Sciences humaines qui a son propre cybercafé mais aujourd’hui il a choisi celui de l’UFR de Gestion qui affiche un « haut débit et fibre optique».
L’endroit est moins propice au travail studieux. Seul rempart au bruit de la vieille photocopieuse qui trône au milieu de la pièce, un paravent en jonc. Pas facile de se concentrer à moins d’y être pendant les heures creuses.
Ici, le temps passé sur Internet coûte cher. « Pour envoyer un mail à un enseignant, ça va me coûter 500 Ariarys, car c’est 20 Ariarys la minute, explique Vahatriniaina Andriamanantena. Il faut faire vite même juste pour envoyer un mail. » Alors quant à faire des recherches…. « Ca revient cher à la fin du mois », estime-t-il. « Cela créée de grands écarts entre les étudiants. Tout le monde ne peut pas se rendre au cybercafé et c’est encore rare d’avoir Internet à la maison. Pourtant, l’accès à Internet est primordial pour les étudiants en études supérieures pendant lesquelles il faut mener beaucoup de recherches personnelles hors des heures de cours. »
Même avec ces solutions de rechange, le compte n’y est pas selon Ange Rakotomalala : « Avec tout ça on n’arrive toujours pas à donner accès à un maximum d’étudiants. »
Et pourtant, si Internet se fait encore trop rare dans le pays, c’est aussi la solution privilégiée pour donner davantage accès aux étudiants aux études supérieures.
« ça peut paraître paradoxal compte tenu des problèmes de connectivité, explique Ange Rakotomalala. Mais l’internet, c’est la solution la plus évidente à nos problèmes d’accessibilité à l’enseignement supérieur grâce au cours en ligne.
« A la faculté de gestion, ils ont lancé un projet pilote depuis deux ans sur 1 000 puis 3000 étudiants. C’est une formation à distance. Ce projet a été lancé pour une bonne raison. Au niveau national, sur les 40 000 bacheliers qui ont leur diplôme, seulement 20 000 pourront intégrer les universités malgaches, publiques ou privées parce qu’on a un problème d’infrastructure d’accueil. Il n’y a pas assez de places dans les universités. Ce projet pilote va d’ailleurs être généralisé à toutes les sections de l’université. »
Si cette initiative peut pallier une défaillance du système éducatif malgache, elle peut aussi générer de nouvelles inégalités comme le souligne Ange Rakotomalala. « S’ils n’ont pa accès à Internet chez eux, ça occasionne un surcoût important pour ceux qui déjà n’ont pas accès aux études ici qui ne sont pas gratuites mais payantes. En s’inscrivant à distance, ils ne payent pas autant que dans le privé mais se rajoute à ça le coût de la connexion qu’ils doivent prendre quelque part. Cela créée des inégalités, c’est certain !»