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Antoine Deltour - Luxleaks : "Les multinationales parviennent encore à échapper à l'impôt"

Coupable de vol de documents, le lanceur d'alerte français Antoine Deltour a été dispensé, ce 15 mai, de payer une amende par la Cour d'appel de Luxembourg dans l'affaire Luxleaks. Il avait permis la révélation d'accords fiscaux entre le fisc luxembourgeois et des multinationales. Pour lui, le combat n'est pas terminé.

Dès 2014, Antoine Deltour, ancien salarié du cabinet d'audit PricewaterhouseCoopers - ainsi que son ancien collègue Raphaël Halet - avait copié et transmis des documents internes aux médias qui ont permis de mettre au jour des accords fiscaux conclus entre des multinationales et le fisc luxembourgeois. Des pratiques dites d'optimisation fiscale légales mais qui ont provoqué le scandale des Luxleaks. 

Antoine Deltour a été condamné en première instance, puis en appel, à 6 mois de prison avec sursis et une amende de 1500 euros. Mais le 11 janvier 2018, cette condamnation avait été cassée par la Cour de cassation, reconnaissant de ce fait son statut de lanceur d'alerte.  

La Cour d'appel de Luxembourg a rendu ce 15 mai 2018 son verdict dans le 2e procès en appel. Antoine Deltour est finalement reconnu coupable de vol de documents, mais aucune sanction n'est prononcée. Il doit verser un euro symbolique à PriceWaterhouseCoopers et bénéficie d'une mise à l'épreuve de 3 ans.

TV5MONDE : Ce jugement, c’est une victoire ?

Antoine Deltour : Oui c’est une victoire parce que je suis définitivement acquitté pour l’ensemble des faits relatifs aux documents [fiscaux de grandes entreprises transmis aux médias] à l'origine de l’affaire Luxleaks.
La suspension du prononcé [par la Cour d'appel de Luxembourg], c'est à dire l’absence de condamnation pénale, concerne le vol de documents internes [de PricewaterhouseCoopers, le cabinet d'audit pour lequel il travaillait] qui étaient des faits secondaires par rapport à l’affaire Luxleaks. C’était ce que l’on avait plaidé, le maximum que l’on puisse obtenir, l’ensemble de nos arguments ont été retenus par la Cour d’appel.

L’infraction de vol est, elle, maintenue ?

A.D : Il s’agit de vol de documents de formation interne qui ne font pas partie des Luxleaks et en fait ils n’avaient pas fait l’objet d’une cassation en janvier dernier. Du coup, la Cour d’appel ne pouvait pas prononcer d’acquittement. L’enjeu de cet appel c’était uniquement d’obtenir la suspension du prononcé.

Cela met-il un terme à toute la procédure judiciaire ?

A.D : En ce qui me concerne ce jugement est définitif ou, du moins, il le deviendra après extinction d’un délai d’un mois au cours duquel les autres parties pourraient se pourvoir en cassation. Mais cela paraît extrêmement improbable.

Je vais faire tout mon possible pour faciliter le sort d’autres lanceurs d’alerte à l’avenir​
Est-ce que vous allez poursuivre une action de sensibilisation pour la reconnaissance du statut de lanceur d’alerte ?

A.D : Je vais faire tout mon possible pour faciliter le sort d’autres lanceurs d’alerte à l’avenir. [Je] pense notamment à Raphaël Halet, l’autre lanceur d’alerte de l’affaire Luxleaks. Lui n’a pas gagné devant la Cour de cassation et pourrait donc maintenant se retourner vers la Cour européenne des droits de l’homme.
Son combat judiciaire a été aussi long que le mien et n’est pas terminé. L’enjeu c’est d’éviter des parcours aussi longs aux futurs lanceurs d’alerte. En France nous avons la loi Sapin 2 - sur la transparence, la lutte contre la corruption et la modernisation de la vie économique. Ce qui serait encore mieux : obtenir une directive européenne pour harmoniser la protection accordée aux lanceurs d’alerte en Europe. Une proposition a été soumise par la Commission européenne. Il faut maintenant espérer un soutien franc de l’ensemble des Etats membres pour obtenir un accord unanime et voir cette directive adoptée.

C’est le fonctionnement normal de la démocratie de soumettre des dysfonctionnements graves au débat, à l’opinion

L’affaire Luxleaks a-t-elle fait évoluer les choses durablement ? 

A.D : Comme d’autres affaires, elle a joué un rôle pour montrer l’utilité que peuvent représenter les lanceurs d’alerte pour alimenter un débat public d’intérêt démocratique. C’est le fonctionnement normal de la démocratie de soumettre des dysfonctionnements graves au débat, à l’opinion. Cela alimente une pression sur les politiques pour y mettre fin. On a vu des répercussions concrètes notamment une plus grande transparence des rescrits fiscaux qui étaient mis en cause dans l’affaire Luxleaks.

J’ai eu la chance de bénéficier de soutiens dont certains très hauts placés au niveau de l’Etat. Cela a beaucoup joué et m’a permis d’être moins vulnérable face à des intérêts économiques très puissants
Avez-vous eu des messages ou soutiens officiels dans votre combat ?

A.D : J’ai eu la chance de bénéficier de soutiens dont certains très hauts placés au niveau de l’Etat. Cela a beaucoup joué et m’a permis d’être moins vulnérable face à des intérêts économiques très puissants. C’est une chance quand je pense au combat d’autres lanceurs d’alertes, moins visible. Ils sont beaucoup plus vulnérables et exposés.

Ces soutiens ont-ils été publics ?

A.D : Le ministre des Finances et des Comptes publics Michel Sapin, qui était le ministre de tutelle de l'administration dans laquelle je travaille désormais, m’avait adressé un message public de soutien pendant le 1er procès en 2016. Récemment l’ancien président François Hollande a salué mon action dans son dernier livre. Mais il a commis une maladresse en disant qu'il a participé à ma reconversion dans la fonction publique, ce qui est faux. J’ai passé un concours. Peu importe il y a quand même une reconnaissance officielle de mon action.

Aujourd’hui, avec le recul, y a-t-il quelque chose que vous regrettez particulièrement ?

A.D : Ce que je regrette ne concerne pas mon action, mais l’insuffisance des réactions politiques. Malheureusement, les grandes multinationales parviennent encore aujourd'hui à échapper à l’impôt sur les sociétés. Il y a même des partisans de la disparition totale de l’impôt sur les sociétés en Europe. De toute façon, en maintenant un statu quo, ce vers quoi on se dirige, il y a une course vers le bas de chaque Etat membre pour être plus attractif que le voisin. Tout le monde y perd. Des milliards sont en jeu. Et c’est une charge fiscale qui est reportée sur les particuliers ou sur les PME. C’est un vrai enjeu et malheureusement, on n’a pas encore trouvé de solution à ce problème.