Sur les trottoirs, la neige qui avait recouvert Reykjavik en une nuit a quasiment disparu. Le ciel est dégagé, les rues sont calmes mais au loin résonne un drôle de tintamarre. Face au Parlement, Stefan a sorti sa casserole trouée et ses banderoles. Ce père de famille de 55 ans est un habitué des lieux. Il manifeste ici régulièrement, le plus souvent en solitaire depuis qu'ont cessé les grands rassemblements de l'hiver 2008/2009. Son obsession ? Icesave ! Depuis qu'une agence en ligne de la banque Landsbanki a fait faillite en octobre 2008 comme le reste du système bancaire du pays, les Islandais doivent rembourser 3,8 milliards d'euros au Royaume-Uni et au Pays-Bas. Pourquoi une telle dette pour une île perdue au milieu de l'Atlantique Nord d'à peine 320 000 habitants ? Parce qu'à l'époque de la banqueroute, l'État islandais s'est contenté d'indemniser les clients islandais d'Icesave laissant sur le carreau les 340 000 épargnants britanniques et néerlandais. Le Royaume-Uni et les Pays-Bas ont alors pris l'initiative d'indemniser leurs propres concitoyens. Mais, depuis, les deux États européens réclament leur dû à l'île.
SECOND REFERENDUM ICESAVE « Pourquoi ce serait au peuple islandais de payer ?, s'écrie Stefan. On n'est pas responsable de la faillite des banques privées. Ce sont ces maudits financiers qui ont fait n'importe quoi, pas nous ! » Comme la plupart des Islandais, Stefan avait rejeté une première proposition de remboursement lors du référendum de mars 2010 et s'apprête à faire de même lors du prochain référendum, organisé ce samedi pour valider un nouvel accord adopté par le parlement. Mais, cette fois-ci, ce jusque-boutiste risque de se retrouver dans le camp des perdants. Selon les derniers sondages, le oui deviendrait majoritaire sur le fil avec 52% des voix. Il faut reconnaître que
cet accord, comme l'explique le collectif des Economistes atterrés, est nettement plus favorable aux Islandais que le précédent et que Britanniques et Néerlandais ont déjà prévenu qu'il n'y en aura pas un énième de plus. Le conflit Icesave pourrait donc enfin se dénouer au moment où l'Islande commence à sortir du marasme dans laquelle elle se trouvait depuis plus de deux ans. « La situation islandaise est aujourd'hui beaucoup plus favorable que celle de la périphérie de la zone euro »,
analyse Jacques Adda dans le magazine Alternatives Economiques, en faisant référence à l'Irlande et à la Grèce, les deux États européens les plus touchés par la crise financière.
NATIONALISATION DES BANQUES L'île est parvenue à restructurer et assainir son secteur financier après avoir nationalisé ses principales banques. Au lieu d'adopter le "too big to fail" (trop grosse pour tomber), défendue par l'Union européenne, elle a pratiqué le "too big to save" (trop grosse pour être sauvée) : la taille surdimensionnée de ses établissements bancaires, avec des actifs équivalents à six fois le PIB national, ne lui permettait sans doute pas d'alternative. Le taux d'inflation est désormais maintenu sous la barre des 2,5 %. Les exportations sont en hausse. La dette des ménages a été renégociée et échelonnée. Le chômage est stabilisé entre 8 et 9% et la croissance est de retour depuis le milieu de l'année 2010. « La situation n'a pas empiré autant qu'on le pensait, indique
l'économiste islandais Gylfi Zoega. On avait cru que le chômage allait grimper jusqu'à 17%. Il est finalement plus faible que dans le reste de l'Europe. » Des facteurs externes ont aussi joué en faveur de l'Islande. Le marché international du poisson s'est bien maintenu et les cours de l'aluminium que l'île volcanique produit en masse en s'appuyant sur une énergie géothermique abondante et peu coûteuse, n'ont cessé d'augmenter.
UN ETAT ENDETTE Malgré tout, l'avenir reste incertain. La croissance pour 2011 a été révisée à la baisse, les estimations passant de 3 à 2%. Le chômage, selon Gylfi Zoega, ne vas se résorber d'ici 5 à 7 ans. L'État islandais qui bénéficie d'un prêt de 2,1 milliards de dollars accordé par le FMI reste fortement endetté. De même que les entreprises, qui n'ont pas toujours tenu des comptes bien réglementaires pendant les années folles de l'avant la crise. « Je redoute une nouvelle récession d'ici 10 à 15 ans quand il faudra renouveler les infrastructures. L'Islande aura-t-elle les moyens d'investir pour se moderniser ? », s'interroge Bertrand Jouanne, un Français qui tient depuis des années une agence de tourisme à Reykjavik. Le pays n'a donc pas encore renoué avec la confiance et une pleine croissance. Le gouvernement de gauche, au pouvoir depuis avril 2009, ne parvient pas à faire des choix clairs en matière de politique industrielle. Son aile écologiste reste réticente à la construction de barrages hydrauliques et à l'implantation de nouvelles usines d'aluminium. «Depuis les années 90, l'économie islandaise reposait sur trois piliers, la pêche, la production d'aluminium et la finance. Avec le crash, elle en a perdu un. Il faudra bien le remplacer si on veut renouer avec le plein emploi, explique l'économiste Gylfi Zoega. Mais par quoi ?» C'est la question clef à laquelle l'Islande n'a pas encore trouvé de réponse.