Un gratte-ciel au cœur de Riyad, la capitale saoudienne. (Photo : swisshippo/Thinkstock-GettyImages)
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La pétromonarchie saoudienne prend des mesures d'austérité budgétaire pour contrecarrer les déficits causés par la baisse de 60% du prix du baril de pétrole. Les aides de l'Etat diminuent, les prix augmentent : pourrait-on voir une grogne populaire apparaître en Arabie Saoudite ?
L'Arabie saoudite n'est pas encore sur la paille, c'est certain. Mais la plus riche monarchie du golfe Persique commence à prendre des mesures de restrictions budgétaires directement liées à la chute du prix de l'or noir. Le baril de pétrole est en effet passé de 106 à 37 dollars en l'espace de 18 mois, et les recettes de la pétromonarchie — à 90% dépendantes des ventes à l'exportation de cette ressource — s'en ressentent.
Dette inexistante mais déficit public qui explose
La chute du prix du pétrole est largement reliée au refus de l'Arabie saoudite de réduire sa production : plus la quantité mondiale de "brut" est importante (avec une demande stable ou en baisse), plus les cours du pétrole s'effondrent. Ce choix de l'Arabie saoudite, selon Djilali Benchabane, expert des pays du Golfe et du Moyen-Orient et doctorant en sciences politiques à l'EHESS (École des hautes études en sciences sociales de Paris), est lié à une volonté de la monarchie d'améliorer ses parts de marché, quitte à voir ses recettes publiques diminuer : "Les Saoudiens sont entrés dans une logique de prix du pétrole à bas prix pour préserver leurs parts de marché, à cause de la concurrence avec les huiles de schiste des Etats-Unis et du Canada. Derrière la stratégie de maintenir les parts de marché coûte que coûte il y aussi un bras de fer, puisque plus les prix sont bas, plus l’extraction des huiles de schiste perd de sa rentabilité. L’Arabie saoudite est dans une logique qu’on pourrait résumer à 'qui sera en capacité de maintenir sa capacité de production à moyen terme' ".
Par cette baisse des prix pétroliers, l'Arabie saoudite se voit privée de rentrées financières conséquentes : les avoirs extérieurs nets ont baissé d’environ 82 milliards de dollars en 2015, et le budget 2016 voté ce 28 décembre prévoit un déficit de 87 milliards de dollars, soit… 19% du PIB (Produit intérieur brut), quand la France, déclarée mauvaise élève de l'Union européenne, était à 3,8% de déficit public.
Dans ces conditions, les prix de l'eau, de l'électricité, et des carburants à base de pétrole — largement subventionnés dans le royaume — "vont être revus à la hausse", selon le ministère des Finances saoudien. Une levée d'émission de dette de 82 milliards de dollars a été effectuée par la monarchie, une opération financière sans grand risque : l'Arabie saoudite est endettée à hauteur de 2% de son PIB, autant dire rien, surtout lorsqu'on effectue la comparaison avec la dette des Etats-Unis, établie en 2015 à 110% du PIB ou à celle de la France, à 97%.
Une population sous perfusion de la rente pétrolière
61 milliards de dollars : c'est la somme consacrée en 2015 par l'Arabie saoudite aux subventions du secteur de l'énergie, dont la moitié pour l'essence et le diesel (respectivement 9,5 milliards de dollars pour l'essence et 23 milliards de dollars pour le diesel). La conséquence directe du manque à gagner de la rente pétrolière en 2016 va se traduire par une diminution des dépenses publiques du royaume. Cette réduction budgétaire a été établie à -14%. Les budgets préservés sont — sans surprise — ceux de l'armée et des aides sociales, tandis que les subventions aux carburants, à l'électricité ou à l'eau seront largement diminuées.
Pour Djilali Benchabane, les raisons du maintien des budgets militaires sont "parfaitement logiques dans le contexte régional", et quant aux aides sociales, "il faut se souvenir des printemps arabes il y a 4 ans qui ont été une secousse importante pour l’Arabie saoudite et toutes les pétromonarchies de la région. Il y avait eu un maintien et même un renforcement de l’aide sociale pendant cette période : l’Arabie saoudite a déversé pas loin de 100 à 150 milliards d’aides et de subventions afin de pouvoir maintenir et garantir la paix sociale et éviter les troubles des printemps arabes", affirme le chercheur.
Ces coupes dans les budgets vont directement augmenter le prix des biens, et la population saoudienne risque fort de voir son pouvoir d'achat diminuer de façon conséquente.
Quelles conséquences sociales et politiques ?
La population saoudienne, habitué à payer son énergie à très bas prix, voit déjà les conséquences de la chute du prix du baril de pétrole se répercuter : l'essence sans plomb a augmenté de 50% de 16 centimes de dollar le litre à 24 centimes de dollar.
Les prix de l'électricité, de l'eau vont suivre, et ces changements pourraient avoir des répercussions négatives au sein de la population. Djilali Benchabane estime que "ce sont les classes moyennes basses et les classes populaires qui vont être touchées par les augmentations de prix causées par l’austérité budgétaire."
Pour autant, le pouvoir saoudien ne compte pas laisser la population se débrouiller avec ces augmentations sans se préoccuper des réactions qu'elles peuvent engendrer, selon le chercheur : "Avec la réduction de ces aides, comme celles pour le prix à la pompe, le royaume va rester dans un logique de surveillance, à mon sens. Ce n’est pas la première fois que l’Arabie saoudite a une volonté de réformes structurelles, et à chaque fois le pouvoir a été extrêmement attentif à la réaction de la population. L’Arabie saoudite ne veut pas se retrouver avec des tensions sociales causées par ses réductions budgétaires".
S'il y a obligation pour le régime saoudien à réduire les dépenses de l'Etat, la population saoudienne ne sera visiblement pas abandonnée à son sort. La monarchie est attentive aux mouvements populaires, particulièrement pour des raisons démographiques, que Djilali Benchabane résume ainsi : "La différence fondamentale entre les autres pétromonarchies et l’Arabie saoudite c’est la contrainte démographique. Il y a 30 millions d’habitants en Arabie saoudite. Dans les autres monarchies du Golfe , le ratio entre les ressources et la population est bien plus faible. Les marges de manœuvre sont donc bien moins grandes en Arabie saoudite, et 60% des saoudiens ont moins de 30 ans, 47% moins de 25 ans, donc on est face à une population extrêmement jeune. Cela représente 300 à 400 000 personnes qui entrent sur le marché du travail."
L'Arabie saoudite tente une nouvelle approche économique et politiqueen maintenant le prix du pétrole au plus bas. Des risques politiques et sociaux peuvent en découler, mais la plus puissante monarchie du golfe Persique n'a pas l'intention de se laisser entraîner sur une pente glissante. Ce que le chercheur de l'EHESS, Djilali Benchabane, souligne ainsi : "Si la conjoncture économique venait à dévisser, il pourrait y avoir un certain nombre de mécontentements, et on ne sait pas ce qu’ils pourraient engendrer. Il faut garder à l’esprit que les revendications des printemps arabes pour un meilleur partage des richesses, un exercice plus large du pouvoir, sont arrivées jusqu'en Arabie saoudite. La proximité de l’Etat islamique pourrait aussi créer une certaine porosité idéologique si l’économie allait mal. D’où la nécessité pour le régime saoudien de bien gérer son économie, pour éviter qu'elle ne mène à trop de mécontentement."