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Olivier Da Lage : Il y a plusieurs raisons qui s’ajoutent les unes aux autres. La première, c’est que sur les 47 personnes exécutées, la presque totalité sont des djihadistes sunnites d’Al-Qaïda, et probablement de l’Etat islamique. Les dirigeants saoudiens ont choisi d’exécuter aussi 4 opposants chiites dont cheikh al-Nimr, pour montrer notamment à l’établissement religieux wahhabite, qu’ils ne les laissent pas tomber, que c’étaient des extrémistes qui étaient visés, que les Saoudiens ne devenaient pas faibles avec les chiites en se tournant contre les sunnites. Mais ce n’est pas la seule raison : les dirigeants saoudiens savaient très bien quelles réactions cela allait provoquer, et dans la population chiite du royaume, et en Iran, et d’une manière générale dans le monde chiite.
Il y aurait donc une grande part de provocation dans l’exécution de cheikh al-Nimr ?
O.D-L : Les dirigeants saoudiens l’ont fait délibérément, dans la lignée de la politique qui est suivie aussi par Bahreïn, de radicalisation selon des lignes confessionnelles, depuis le printemps arabe, pour rejeter les chiites avec les chiites et les sunnites avec les sunnites, et éviter ainsi qu’il y ait collusion possible entre les opposants de ces deux confessions. Mais c’est aussi pour provoquer des réactions d’indignation fortes et violentes, comme en Iran, ce qui permet à l’Arabie saoudite de ramener l’Iran de son statut de nouvel acteur international, admis par les occidentaux, à ce qu’il était il y a 20 ou 30 ans, à l’époque de Khomeny avec des saccages d'ambassades, des prises d'otages, etc.
Est-il envisageable que la situation dégénère, au delà de la rupture diplomatique, entre l’Iran et l’Irak ?
O.D-L : De la même manière que pour les Etats-Unis et l’Union soviétique, je ne pense pas qu’un affrontement militaire soit à l’ordre du jour. En revanche, les deux pays peuvent s’affronter par le biais d’au moins deux conflits : celui du Yémen et surtout celui de la Syrie. Il y avait quelques perspectives de pourparlers pour trouver une solution politique. C’est particulièrement vrai avec la réunion de Genève du 25 janvier, qui pouvait laisser espérer une amorce de processus de transition. Là, je crois qu’il ne faut plus y penser.
Le conflit syrien pourrait-il se modifier avec cette escalade entre l'Arabie saoudite et l’Iran ?
O.D-L : Il y a un axiome pour l’Arabie saoudite en diplomatie, qui est qu’il n’y a que des jeux à sommes nulles. Si l’Iran gagne des points, c’’est forcément au détriment de l’Arabie saoudite, et vice et versa. L’idée que les deux puissent améliorer leur situation ensemble ça ne leur vient pas à l’esprit. Dernièrement, l’Iran est accepté à l’international comme un acteur du processus de règlement du conflit syrien. Il est clair que sur le terrain chacun va intensifier ses soutiens à ses protégés. Il y a un axe qui est train de se créer, entre les pays du Golfe, la Turquie et Israël. Netanyahou a déjà fait des déclarations allant dans ce sens.
La détente, avec les accords entre l’Iran de l’administration américaine sur le nucléaire sont-ils en lien avec cette exécution ?
O.D-L : Si on se met dans la tête des Saoudiens, ils ont le sentiment d’avoir été lâchés par Obama quand Moubarak est tombé, quand l’administration américaine a encouragé la démocratisation au moment printemps arabes, et a fortiori, quand les Etats-Unis ont choisi de ne pas intervenir en 2013 en Syrie alors qu’ils s’apprêtaient à le faire.
Les Saoudiens sont remontés à fond contre l’administration Obama, et ils le démontrent avec leur coalition de 34 pays au Yémen, avec les exécutions. Ils démontrent ainsi qu’ils ne prennent pas leurs ordres auprès des Etats-Unis, que ça ne les gêne pas de les fâcher, qu’ils ont une autonomie de décision stratégique et qu’ils entendent bien mener les choses à leur façon.
C’est une fuite en avant, où les Saoudiens pensent que tout peut leur réussir s’ils sont déterminés. Les deux princes héritiers montrent ainsi qu’ils sont des hommes forts, l’un au Yémen et l’autre en s’attaquant à l’opposition, notamment à Al-Qaïda.
>> Décryptage de notre éditorialiste Slimane Zeghidour