Fil d'Ariane
Aucune route, aucune voiture, aucune émission… Le projet de mégalopole futuriste The Line Neom du prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane se veut prometteur. Plus de 9 millions de personnes doivent vivre dans une même structure urbaine. Est-ce un projet sérieux et réalisable ? Réponses avec l’ancien urbaniste en chef de Vancouver, Brent Toderian.
La hauteur de cette structure urbaine doit atteindre les 500 mètres, une hauteur une fois et demie supérieure à celle de la Tour Eiffel. Il ne s’agit pas simplement de grands immeubles. Logements, parcs publics et zones piétonnes, écoles ou lieux de travail,… À Chaque étage de la structure, les habitants pourront accéder à tous leurs besoins quotidiens en cinq minutes.
Un train à grande vitesse doit relier les deux extrémités de cette structure, The Line (la ligne en français), longue de 170 km. Le trajet ne devrait durer que 20 minutes. The Line ne fait que 200 mètres de large. Cette structure urbaine est délimitée par deux façades extérieures en miroir. Elles doivent ainsi fondre l'ensemble dans le désert.
C’est l’un des projets de la vision saoudienne 2030, The Line Neom, dont les caractéristiques précédentes ont été détaillées ce 25 juillet. L’objectif pour le prince saoudien : accueillir 9 millions d’habitants sur seulement 34 kilomètres carrés.
Le projet de mégalopole futuriste se veut écologique et réalisable d'ici à 2030. Brent Toderian, conseiller en urbanisme et ancien urbaniste en chef de Vancouver s'interroge sur la viabilité d'un tel projet.
Ces villes sont conçues pour l'attention plutôt que pour la construction.
Brent Toderian, conseiller en urbanisme et ancien urbaniste en chef de Vancouver
TV5MONDE : Vous avez travaillé en tant qu’urbaniste en chef pour la ville de Vancouver. Ce projet urbain vous semble-t-il réalisable ?
Brent Toderian : Quand je vois des propositions comme cela, je conclus généralement qu'elles sont conçues pour l'attention plutôt que pour la construction.
Je ne sous-estime jamais la volonté des gens riches essayant de construire quelque chose de nouveau. Il s'agit de savoir ensuite si c'est une bonne idée ou pas.
Les villes ne sont pas des bâtiments, ce sont des villes. Et elles doivent être traitées comme telles.
Brent Toderian, ancien urbaniste en chef de Vancouver.
Mais je serais surpris qu’elle soit réalisable dans cette conception spécifique. C'est un exemple de ce que je vois souvent. Lorsque les villes sont conçues par des architectes plutôt que par des urbanistes et des concepteurs urbains, elles ont tendance à être conçues comme des bâtiments plutôt que comme des villes. Et les villes ne sont pas des bâtiments, ce sont des villes. Et elles doivent être traitées comme telles.
Par le passé, les villes conçues comme des unités complètes par des architectes n'ont pas montré leur succès, si tenté que les projets aient même abouti.
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TV5MONDE : Le prince Mohammed ben Salmane défend le caractère écologique du projet. Qu’en pensez-vous ?
Pour répondre précisément à cette question, je devrais entrer dans les détails de la conception, de la technologie et de la construction de la ville.
Mais je suis sceptique. Un objet massif construit au milieu du désert peut-il prétendre être durable ? C'est plus Blade Runner (film de science-fiction, ndlr) qu'une ville durable ou verte. Et on en revient toujours à la question de base : "Devrait-il y avoir une ville au milieu du désert pour autant de personnes ?"
Ils parlent de mettre des villes vertes dans un environnement fondamentalement non vert.
Et c’est dommageable. Même lorsque les porteurs de projets parlent des bons sujets comme la densité des villes, la mixité des usages, de quartiers, ils vont souvent trop loin.
Nous devons changer l'organisation des villes aujourd'hui, c'est indéniable. Elles sont aujourd'hui trop dépendantes de la voiture, pas assez denses et pas assez mixtes en termes d’usage. Mais elle n’a pas besoin d'être si haute ou si linéaire pour être écologique.
La verticalité crée des communautés complètes et une forte orientation vers les transports en commun. Mais elle n’a pas besoin de l’être à ce point.Brent Toderian, ancien urbaniste en chef de Vancouver.
Écoles, logements, lieux de travail,... L’idée est de superposer verticalement les différentes fonctions de la ville et de donner aux gens la possibilité de se déplacer de manière fluide dans les trois dimensions.
Il remet en question le concept des villes plates et horizontales traditionnelles, qui demandent à ses habitants d'utiliser beaucoup de transport. Il permet aussi de lutter contre l'artificialisation des sols et l’étalement urbain.
Mais ce type d’infrastructures demande également beaucoup d’énergie pour être conçu. C’est le cas notamment des fermes verticales, consistant à faire produire des légumes en hauteur. Ce modèle permet de rapprocher les lieux de production des lieux de consommation, certes. N’étant pas connectées à la terre, les fermes nécessitent beaucoup de lumière articifielles pour faire pousser leurs cultures.
TV5MONDE : Le projet remet en question l’organisation des villes plates et horizontales traditionnelles. Penser les villes de façon verticale est-elle quand même une bonne chose ?
Bien sûr, je pense que la verticalité, la mixité et l'orientation vers les transports en commun sont de bonnes choses. Elles sont la base des meilleures villes. La verticalité crée des communautés complètes et une forte orientation vers les transports en commun. Mais elle n’a pas besoin de l’être à ce point.
Lorsque vous pensez au concept de verticalité comme solution écologique, vous devez aussi vous demander comment les gens vont accéder à la ville. Et je pense que les gens devront prendre l'avion pour venir au milieu du désert.
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