Archives françaises de la guerre d'Algérie : "Il ne faut pas s’attendre à des scoops !"

Mémoire. Roselyne Bachelot, la ministre française de la Culture, également en charge des archives nationales, a annoncé ce vendredi 10 décembre "ouvrir avec quinze ans d'avance" un certain nombre d'archives liées à la guerre d'Algérie. Cette annonce intervient dans le cadre d'une "réconciliation mémorielle" souhaitée par Emmanuel Macron. A défaut de révélations historiques fracassantes, cette ouverture devrait surtout permettre un accès plus facile et plus large à des documents déjà connus.
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Soldats français boulevard Carnot à Alger en avril 1962
Des soldats français, le 1er avril 1962, boulevard Carnot à Alger, quelques jours après la signature des accords d'Evian et à trois mois de l'indépendance de l'Algérie.
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"C’est une très bonne nouvelle du point de vue de la recherche historique, mais il ne faut pas s’attendre à des scoops !" Emmanuel Blanchard est historien, professeur en sciences-politiques, il a travaillé, notamment, sur les relations entre les Algériens et la police française dans les années 50 et 60. Autant dire que l’annonce de Roselyne Bachelot le concerne au premier chef. Et s’il reconnaît l’importance de cet engagement de la ministre française de la Culture, il attend de voir comment elle sera mise en oeuvre concrètement.

Algérie : ouverture des archives françaises pour "regarder la vérité en face"

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C’est sur le plateau de la chaîne privée BFMTV que la ministre a abordé la question ce vendredi 10 décembre.
"J’ouvre avec 15 ans d’avance les archives sur les enquêtes judiciaires et de gendarmerie qui ont rapport avec la guerre d’Algérie", lâche-t-elle devant un journaliste qui voit dans cette annonce la promesse de futures vérités fracassantes sur les années noires de la colonisation française en Algérie et leur summum atteint lors des années de guerre d’indépendance. "On ne doit jamais avoir peur de la vérité", insiste Roselyne Bachelot, considérant qu'"on a des choses à reconstruire avec l’Algérie".

Derrière l’annonce matinale, de quoi parle la ministre de la Culture ? "Il s’agit d’une partie minoritaire, mais néanmoins importante des documents liés à cette période", explique Françoise Banat-Berger.
La cheffe du service interministériel des archives de France précise que si une majorité des archives est d’ores et déjà accessible car elle était protégée par le secret pour une durée de 50 ans, une autre partie -celle dont il est question aujourd’hui- est encore soumise au secret.
En effet, les dossiers impliquant la justice, la police ou la gendarmerie bénéficient du secret pour une durée de 75 ans, au nom du Code du patrimoine. Soixante ans après l’indépendance de l’Algérie, voici donc les quinze années d’avance promises par la ministre.
"Cela représente des centaines de mètres linéaires !", précise Emmanuel Blanchard. Mais pour l’historien, "cela va surtout faciliter le travail de documentaristes, de journalistes, d'historiens, à condition de s'y plonger, car ce sont généralement des archives techniques".

(Re)voir : Algérie : la France va ouvrir ses archives avec "15 ans d'avance"

Un système de dérogations

Car dans les faits, ces documents ont déjà été consultées par les historiens.
Emmanuel Blanchard a lui-même eu l’occasion de s’y plonger : "Quand des archives sont soumises à un délai de 75 ans, cela ne veut pas dire qu'elles ne sont pas du tout visibles. Cela veut dire que pour les consulter, il faut obtenir une dérogation individuelle qui est accordée par les services versant, c'est à dire ministère de la Justice, ministère de l'Intérieur ou au ministère de la Défense pour la gendarmerie".
Françoise Banat-Berger rappelle pour sa part que des travaux sur la torture ont pu être menés depuis vingt ou trente ans, citant les travaux d’historiennes comme Raphaëlle Branche ou Sylvie Thénaut qui ont pu travailler sur la base de ces dérogations.

Alger Casbah soldats français 1960

Des soldats français devant la Casbah d'Alger, le 14 décembre 1960.

© AP Photo

En quoi l’annonce de la ministre de la Culture ouvre-t-elle alors des perspectives ?  "Ces dérogations sont un frein à la recherche, estime Emmanuel Blanchard, dans la mesure où pour obtenir une réponse -éventuellement négative- il faut compter plusieurs mois voire un an. Autant dire que, sur une année universitaire, un étudiant n’est pas incité à se lancer sur le sujet".
Emmanuel Blanchard y voit une autre bonne nouvelle : "Concrètement, les dérogations m’ont toujours été accordées. Mais je n’ai pas envie d’avoir l’impression d’avoir bénéficié d’un privilège. J’ai envie que les archives sur lesquelles je travaille puissent être accessibles à l’ensemble des personnes qui veulent discuter ou évaluer mon travail".

Le cas Maurice Audin

Dans les prochains jours, un arrêté de dérogation ouvrant ces archives sera donc pris. Ce n’est pas une procédure inédite. Elle a déjà été initiée pour un certain nombre d’aspects de la Seconde guerre mondiale et de l’Occupation. Une dérogation générale a également ouvert les archives liées au génocide des Tutsi en 1994 au Rwanda.
Sur la guerre d’Algérie, la démarche est plus rare mais elle a déjà eu lieu notamment à propos de la mort de Maurice Audin, tué en 1957 à Alger. Il avait fallu attendre septembre 2018 pour que le président Emmanuel Macron reconnaisse que le militant communiste avait été tué par l’armée française. Le président français promettant alors à la veuve de Maurice Audin "un large accès aux archives".

Depuis le début de son mandat en 2017, le président français s’est lancé dans une politique de réconciliation des mémoires avec l’Algérie. Cette démarche n’a rien d’une promenade de santé, mais les relations chaotiques entre Paris et Alger montrent à quel point, des deux côtés, la question de la mémoire est centrale 60 ans après l’indépendance. L’annonce de Roselyne Bachelot s’inscrit dans ce mouvement.

Faut-il pour autant y voir une exploitation politique des archives que l’on ouvrirait lorsque la situation l’exige ?
Si Emmanuel Blanchard reconnaît que "le moment de l’annonce a peut-être été choisi selon des considérations politiques", deux jours après une visite-surprise à Alger du chef de la Diplomatie française Jean-Yves Le Drian, Françoise Banat-Berger pour sa part refuse d’y voir une instrumentalisation : "Les archives sont un élément fondamental de bonne santé démocratique. Ouvrir, par exemple, les archives relatives au génocide des Tutsi était loin d’être évident. Mais cela fait des archives le mieux de ce qu'elles sont censées faire : c'est à dire participer à la connaissance historique et du coup, au jeu démocratique du pays".