Fil d'Ariane
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Condamné à 35 ans de prison par la justice française pour le meurtre d’un Franco-chilien, le colonel José Osvaldo Riveiro va devoir quitter l’hôpital où il est soigné à Buenos Aires et purger sa peine de 35 ans de réclusion en France. Il était un des artisans du plan Condor, ce stratagème meurtrier des dictatures sud-américaines pour éliminer l’opposition.
José Osvaldo, “Petite balle”, Riveiro aurait pu échapper à la prison (voir encadré). Mais sa santé lui a joué un mauvais tour. Le jeudi 4 mai, il est conduit d’urgence à l’hôpital militaire de Buenos Aires. Lorsque son nom est enregistré sur le système informatique, le personnel médical se rend compte qu’il est recherché par la justice argentine pour crimes contre l’humanité et qu’un ordre d’arrêt a été émis contre lui par la justice française. “L'hôpital appelle donc la police qui se met immédiatement en relation avec les autorités françaises”, explique Clarín, le quotidien le plus lu en Argentine.
Souffrant de démence sénile, il reste hospitalisé sous surveillance policière le temps que la procédure d’extradition soit complétée. Une fois en territoire français, il devra purger une peine de 35 ans. A 84 ans, il est très peu probable qu’il aille jusqu’au bout.
Le tortionnaire de la dictature argentine avait été condamné en 2010 pour
l’enlèvement et la disparition de Jean-Yves Claudet. Cadre du mouvement révolutionnaire au Chili, ce Franco-chilien avait été arrêté deux fois après le coup d’Etat militaire (1976-1983), puis expulsé vers la France. Il est revenu l’année suivante en Argentine, où les militants de gauche s'organisaient pour faire face aux dictatures d’extrême droite en Amérique latine.
A cette époque, José Osvaldo Riveiro sévit déjà, il est nommé numéro 2 du bataillon d’intelligence 601. C’est l’unité de l’armée responsable de réprimer l’opposition en Argentine. Le jour de son retour, le 31 octobre 1976, “Jean-Yves Claudet est intercepté par les hommes de Riveiro”, raconte Jac Forton, spécialiste du Chili. Il ne pourra pas livrer la mallette d’argent qu’il amenait de la France pour financer le mouvement de résistance dans tout le Cône Sud. Une fois arrêté, il est livré à la redoutable Direction des renseignements chilienne (la DINA). On ne l’a plus jamais revu. Le plan Condor était déjà en marche.
En pleine guerre froide, en 1975, les hauts représentants des six dictatures latino américaines (l'Argentine, la Bolivie, le Brésil, le Chili, le Paraguay et l’Uruguay) reçoivent une invitation à participer à une « réunion de travail » qui aura lieu au Chili.
Ce sera la réunion fondatrice de ce système de répression et de mort : « La subversion a développé des organisations de défense intercontinentales, régionales, subrégionales… […] En revanche, les pays qui sont agressés politiquement, économiquement et militairement depuis l’intérieur se battent seuls. […] C’est pour faire face à cette guerre psycho-politique que nous devons compter sur une organisation internationale qui nous permette d’échanger des informations et des expériences ».
Dans les statuts du Plan Condor, les militaires ont écrit noir sur blanc qu’ils menaient une guerre de civilisations contre une idéologie contraire à « l’histoire, la philosophie, la religion et contraire aux us et coutumes de notre hémisphère ».
Resté secret pendant des décennies, ce document était le manuel du répresseur latino américain et de l’internationale de la terreur. Car dans le cadre de ce plan, un opposant -surtout s’il était communiste- pouvait être capturé dans un pays et exécuté dans un autre sans qu'on puisse suivre sa trace.
Comme Jean-Yves Claudet, des milliers de personnes ont été victimes des agissements de José Riveiro. Pendant les années de la dictature, il a pu déployer tout son art. Le zélé militaire avait commencé sa carrière dans l’artillerie, il s’est ensuite spécialisé dans les techniques de reconnaissance en haute montagne, un peu plus tard, au sein du bataillon 601, il a perfectionné ses méthodes d’intimidation des journalistes. Il devait également gérer toute l’information livrée par les détenus sous la torture.
Cette figure de la dictature a également eu une carrière internationale. Le colonel “Petite balle” était à la tête du groupe de militaires argentins responsables de l’entraînement “des contras”. C'est-à-dire les mercenaires devant combattre depuis le Honduras voisin, le gouvernement sandiniste au Nicaragua.
Le Front sandiniste de libération nationale, organisation politico-militaire socialiste, a mené à partir de 1962 la révolution sandiniste contre la dictature de la famille Somosa. Une opération clandestine orchestrée par la CIA des années Reagan afin de mener “la lutte antisubversive”.
En qualité de chef de l’appareil politique et des opérations contre les sandinistes, José Riveiro apprenait aux “contras” comment enlever, torturer et faire disparaître “leurs ennemis”, fait savoir le journal argentin Página 12 qui a reproduit le manuel du parfait petit “contra” : Efrón, un ancien militaire hondurien, a raconté qu’ils enlevaient leurs cibles, les tuaient, mettaient les corps dans un hélicoptère et les jetaient dans une rivière.
C’est mot pour mot la description des vols de la mort se pratiquant exactement au même moment en Amérique du Sud.
Plus de trente ans après, ce tortionnaire va allonger la liste de militaires condamnés pour les crimes pendant la dictature. Depuis 2003, année d’abrogation des lois d’amnistie par le président de gauche nestor Kirchner, l’Argentine a condamné un millier de militaires.
Mais rien n’est gagné. La Cour suprême de justice argentine a décidé qu’il est possible d’appliquer uniquement la peine la plus clémente de toutes si un justiciable est condamné pour plusieurs chefs d’accusation.
Ce qui réduit automatiquement les peines, même de ceux qui sont en prison pour avoir commis des crimes contre l’humanité. Un ex paramilitaire accusé de torture et de disparitions forcées vient d’en bénéficier. “C’est la porte ouverte à l’impunité”, se désolent de nombreuses organisations des droits humains tout comme les grand-mères de la Place de mai qui viennent de fêter quarante ans de lutte acharnée.
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