Dans un revirement invraisemblable, cet ancien soldat russe devenu reporter de guerre, exilé à Kiev où il se disait régulièrement menacé, est apparu devant les caméras et a expliqué avoir participé lui-même à une mise en scène dans le cadre d'une "opération spéciale" préparée depuis deux mois.
Son apparition a été accueillie par des applaudissements et des exclamations incrédules de ses confrères.
"Je voudrais vraiment remercier les Services de sécurité ukrainiens pour m'avoir sauvé la vie", a-t-il déclaré.
"Je voudrais présenter mes excuses à ma femme pour l'enfer qu'elle a vécu pendant deux jours".
Les forces de sécurité ukrainiennes ont cependant assuré que sa famille était au courant de l'opération, qui visait à déjouer une tentative d'assassinat pour laquelle un homme présenté comme l'"organisateur" a été arrêté.
"Grâce à cette opération, nous avons réussi à déjouer une provocation cynique et à documenter les préparatifs de ce crime par les services spéciaux russes", a déclaré le chef des services ukrainiens de sécurité (SBU) Vassyl Grytsak, aux côtés du journaliste.
Invité de TV5MONDE en 2010, (re)voir l'entretien avec Arkadi Babtchenko
- Comment fait-on pour vivre, revivre normalement après ce chaos ?
Arkadi Babtchenko : On n'a pas le choix, on doit survivre. J'ai écrit ce livre ("La couleur de la guerre", Éditions Gallimard, 2009) car en Russie, il n'y a pas de système d'indemnisation des anciens combattants (...) Comme dit un ami, il ne faut pas traîner son passé dans son sac à dos. C'est pour cela qu'il faut se débarrasser de ce passé. Je l'ai écrit sur un papier et je me sens mieux.
- Dans "La couleur de la guerre", vous décrivez l'atrocité des combats. Vous y êtes allé une première fois comme appelé, et la deuxième fois comme volontaire. Pourquoi y êtes-vous retourné ?
Arkadi Babtchenko : C'est une question très difficile. Je ne peux pas donner une réponse rationnelle, je ne peux que donner une réponse irrationnelle. Je pense que si vous avez fait la guerre une seule fois, vous ne pouvez pas revenir. Même si vous êtes revenu dans la vie civile, votre âme est restée dans la guerre.
La deuxième fois, ce c'était pas la guerre en Tchétchénie, c'était la guerre pour moi tout court. Cela aurait été la guerre à Paris, c'était pareil. Je revenais vers moi même, vers le monde que j'ai connu. A cette époque-là, je n'ai pas pu revenir à la vie normale.
- La décomposition de l'armée russe ?
Arkadi Babtchenko : L'armée russe était très démoralisée. Elle est cependant très combative. Elle a une autre approche, une approche médiévale, c'est pour cela qu'elle est forte. La vie humaine ne coûte rien. C'est de la chair à canon.
- Vous décrivez notamment les brutalités des uns envers les autres, comme une institution ?
Arkadi Babtchenko : C'est le bizutage mais pas à la française. C'est le bizutage très très dur. En Russie tout le monde le connaît, l'armée est comme ça.
- A 18 ans vous faisiez des études de droits. Depuis la fin des guerres, vous écrivez, vous êtes journaliste à Novaïa Gazeta, le journal d'opposition d'Anna Politkovskaïa. "Anna Politkovskaïa non-rééducable", c'est le titre de la pièce de théâtre qui lui est consacrée. Pourquoi avez-vous choisi le métier de journaliste ?
Arkadi Babtchenko : Je n'ai pas choisi, c'est lui qui m'a choisi. A la télévision, dans la presse, la guerre en Tchétchénie a été montrée d'une manière fausse. Je voulais dire ce que j'ai vu en Tchétchénie. Depuis, je travaille sur ce sujet, sur les gens qui ont péri en Tchétchénie. Il y a deux ans, nous avons vécu une nouvelle guerre en Géorgie, j'ai participé à cette guerre en tant que journaliste. Je veux être au premier rang de ces événements. Je voudrais vivre dans un pays où les gens sont libres de dire ce qu'ils pensent. C'est ma participation, je ne peux pas faire autre chose. Je fais ce que je sais faire.
Il y a encore de la presse libre en Russie, même si on peut compter ces éditions sur les doigts de la main. Il y a encore des journalistes en Tchétchénie, même si les gens ne parlent plus. La situation est très très dure en Tchétchénie.
- Pourquoi l'Europe de l'Ouest ne semble-t-elle pas pouvoir faire pression sur Dmitri Medvedev (chef du gouvernement depuis 2012 et ancien président) et Vladimir Poutine pour stopper ces violences ?
Arkadi Babtchenko : Parce que nous avons du gaz et du pétrole (...)
- Vous dîtes que la mentalité d'esclave fait partie de la mentalité russe, pourquoi ?
Arkadi Babtchenko : La mentalité russe, c'est la mentalité de quelqu'un qui a vécu dans un empire. On a quitté l'empire depuis 15 ans et depuis 15 ans nous n'avons vécu que des guerres, que des problèmes (...) On veut revenir dans l'empire. Mais c'est une fausse mémoire en quelque sorte (...)
- Le Kremlin a-t-il d'autre choix que la fermeté pour garder l'unité d'un pays si immense qu'est la Russie ?
Arkadi Babtchenko : Ces gens-là ne veulent pas de confédération.
A l'annonce de sa mort, Anna Colin Lebedev, chercheuse d'origine ukrainienne et amie d'Arkadi Babtchenko lui avait rendu hommage sur Facebook :