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©A. Delpierre, F. Garnier / TV5MONDE
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Armée française : quel malaise cache la démission du chef d'état-major des armées ?

En désaccord avec le président de la République Emmanuel Macron sur les coupes budgétaires imputées à l'armée, le chef d'état-major des armées françaises Pierre de Villiers a démissionné ce mercredi 19 juillet. La discorde entre l'armée et l'exécutif révèle une crise plus profonde. 

"Dans les circonstances actuelles, je considère ne plus être en mesure d'assurer la pérennité du modèle d'armée auquel je crois pour garantir la protection de la France et des Français, aujourd'hui et demain, et soutenir les ambitions de notre pays. Par conséquent, j'ai pris mes responsabilités en présentant, ce jour, ma démission au Président de la République, qui l'a acceptée". Ce sont les mots du général Pierre de Villiers dans un communiqué publié ce mercredi 19 juillet après sa réunion avec le chef de l'Etat.

Sa déclaration signe l'épilogue d'un feuilleton qui dure depuis plusieurs jours entre le président et le général 5 étoiles. A l'origine du différend : l'économie de 850 millions d'euros que l'Etat réclame aux armées dans le cadre d'un effort budgétaire plus global de 4.5 milliards d'euros sur les dépenses de l'Etat en 2017. 

A cette annonce, le général avait commenté le 12 juillet 2017 devant les députés de la commission de la défense lors d'une réunion à huis clos à l'Assemblée nationale : "Je ne me laisserai pas baiser comme ça !" ajoutant que la situation n'était "pas tenable".  

Le lendemain, le président français lui répondait sans nommer le général qu'il ne trouvait pas "digne d’étaler certains débats sur la place publique."

Qui est le chef d'état-major démissionnaire ?

Le général Pierre Le Jolis de Villiers de Saintignon, 60 ans, a été nommé en 2014 afin de mettre en oeuvre la Loi de Programmation Militaire (LPM) qui devait réorganiser le ministère de la Défense et supprimer 34 000 postes. Né en 1956 dans une famille d'aristocrates vendéens, ses deux grands-pères étaient militaires. Formé à Saint-Cyr, cet officier de l'armée de terre a servi notamment au Kosovo en 1999 et en Afghanistan en 2005. Considéré comme l'un des officiers de sa génération au parcours brillant, il est devenu le plus jeune général cinq étoiles de l'armée. A son poste de chef d'état-major des armées, il n'a cessé d'en défendre le budget  pour "couvrir tout le spectre des menaces".  

Nouveau rappel à l'ordre d'Emmanuel Macron dans le Journal du dimanche le 15 juillet : "Si quelque chose oppose le chef d'état-major des armées au président de la République, le chef d'état-major des armées change." Comme attendu, c'est donc le général qui a cédé, annonçant sa démission dans un communiqué. 

"J’ai toujours veillé, depuis ma nomination, à maintenir un modèle d’armée qui garantisse la cohérence entre les menaces qui pèsent sur la France et sur l’Europe, les missions de nos armées qui ne cessent d’augmenter et les moyens capacitaires et budgétaires nécessairespour les remplir", a-t-il écrit. 

Pour Emmanuel Macron qui a réagi plus tard dans la journée, "ce n'est pas le rôle du chef d'état-major" de défendre le budget des armées mais plutôt celui de la ministre de la Défense, Florence Parly. 

Le général Pierre de Villiers a été remplacé, ce mercredi 19 juillet, par le général François Lecointre. A 55 ans, il était depuis le mois de septembre le chef du cabinet militaire du Premier ministre Edouard Philippe. Egalement Saint-Cyrien, il est issu de l'infanterie de la marine. Il a notamment servi en Irak (1991, Guerre du Golfe), en Somalie (1992), mais aussi lors du génocide au Rwanda en 1994 dans le cadre de l'opération Turquoise. 

Déception de l'armée

Le président semble avoir déçu les attentes des armées en dépit de signaux envoyés : premier déplacement à l'étranger au Sahel auprès de l'opération antiterroriste Barkhane (voir interview ci-dessous), visite des blessés de guerre lors de son investiture, visite du sous-marin nucléaire lanceur d'engins Le Terrible. 


Le président s'est engagé dans sa campagne à consacrer 2% du PIB à la défense d'ici à 2025 et a promis d'augmenter en 2018 le budget défense à 34.2 milliards d'euros (contre 32 milliards d'euros en 2016). 

Le budget de l'armée est d'autant plus un enjeu que la France a multiplié ces dernières années les opérations extérieures au Sahel (opération Barkhane) et au Moyen-Orient (Chammal et Daman) notamment. 
 

carte opex france
Cartes des opérations extérieures de l'armée française. 
©Etat-major des armées

Des équipements dépassés

 

Il y a surtout un besoin de renouvellement de matériel.

Julien Muntzer, journaliste à TV5MONDE


Sur le terrain, le travail des troupes se complique à cause d'équipements vieillissants et inadaptés parfois aux terrains d'opération. C'est ce que confirme notre journaliste Julien Muntzer parti en mission avec Florence Lozhac pour suivre l'opération française Barkhane au Sahel. "Les conditions sont très difficiles avec la poussière et la chaleur. Les équipements s'usent très vite. Il y a surtout un besoin de renouvellement de matériel. Or la coupe de 850 millions d'euros dans le budget de l'armée va poser des problèmes. Le programme Scorpion devait permettre de renouveler ces équipements. Il est fort à parier qu'avec ces nouvelles mesures ce ne sera pas possible."

Des opérations extérieures menacées ? 

Le budget amputé de la défense pourrait remettre en cause les opérations extérieures de l'armée française dont le budget s'élève à 450 millions d'euros. "Or il est dépassé chaque année, explique l'éditorialiste de TV5MONDE Slimane Zeghidour. On arrive au triple de cette somme. Jusqu'ici les dépassements étaient épongés par tous les ministères. Mais à partir de cette année, ils ne veulent plus payer ce qui sort de leurs prérogatives. Donc l'armée n'a plus la dotation suffisante pour payer les dépassements de frais de mission. D'où la question du chef d'état-major qui, s'il n'a pas cette somme pour les dépassements, ne pourra pas assumer les missions extérieures."  

Quid de ses opérations extérieures déployées par la France ? "Il faut trouver l'argent pour maintenir le même rythme d'opérations ou se recroqueviller sur l'Hexagone, souligne Slimane Zeghidour. L'enjeu ? La défense des intérêts français serait tributaire d'autres puissances. La France perdrait un de ses leviers qui fait qu'on tienne compte de ses intérêts, qu'on la craint, qu'on la respecte.

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