Arménie : l'opposant Nikol Pachinian n'est finalement pas nommé Premier ministre
L'opposant Nikol Pachinian, seul candidat au poste de Premier ministre, a vu mardi 1er mai sa candidature rejetée par le Parlement, le parti au pouvoir ayant voté contre lui, ce qui devrait aggraver la crise qui agite l'Arménie depuis deux semaines.
Sur les 100 députés ayant voté, 55 se sont exprimés contre et 45 pour la candidature du chef de la contestation antigouvernementale.
Sentant le vent tourner, M. Pachinian, un ancien journaliste de 42 ans, a appelé les Arméniens à ne pas quitter la place de la République, au centre d'Erevan, où étaient rassemblés plusieurs dizaines de milliers de ses partisans qui ont suivi les débats du Parlement sur des écrans géants.
"J'appelle tout le monde à descendre dans la rue car ils veulent une nouvelle fois voler la victoire du peuple", a-t-il lancé quelques heures avant le vote, promettant un "tsunami politique" si le parti au pouvoir s'opposait à son élection.
Le Parti républicain dispose de la majorité au Parlement où les députés étaient réunis en session extraordinaire depuis 08H00 GMT pour élire un nouveau Premier ministre.
Avant le vote, plusieurs députés du Parti républicain ont dénoncé le manque de cohérence du programme politique de l'opposant. "Monsieur Pachinian, je ne vous vois pas au poste de Premier ministre, je ne vous vois pas comme commandant en chef", a martelé Edouard Charmazanov, porte-parole du Parti républicain et vice-président du Parlement."Nous devons choisir une personne qui n'est pas imprévisible (...) On ne peut pas être un peu socialiste et un peu libéral", a-t-il déclaré.
L'opposant, qui avait besoin de 53 voix pour être élu, a subi la défection de deux députés au sein des trois groupes parlementaires qui le soutenaient et devaient lui assurer 47 voix.
"Puisqu'il n'est pas élu, alors la lutte va continuer, elle va devenir quatre fois plus forte, et peut-être que ce sera le chaos à Erevan", prévoyait avant le vote Karine Melkoumian, une manifestante.
Depuis le 13 avril, l'Arménie est plongée dans une crise politique sans précédent: des manifestations de plusieurs dizaines de milliers d'opposants ont provoqué le 23 avril la démission de Serge Sarkissian, qui venait d'être élu Premier ministre six jours auparavant par les députés, après avoir été le chef de l'Etat pendant dix ans.
"Héros" des Arméniens
Souvent habillé en treillis, connu pour son franc-parler, Nikol Pachinian a été dès les premiers jours le chef de la fronde contre le gouvernement. Dès l'annonce de sa candidature au poste de Premier ministre, il a multiplié les démonstrations de force, en réunissant dimanche et lundi soirs ses partisans sur une place de la République noire de monde.
L'homme n'est "pas un nouveau venu dans la politique arménienne", a-t-il rappelé lundi dans des déclarations à l'AFP.
Beaucoup d'Arméniens ont en mémoire la mort de 10 manifestants en 2008 dans des affrontements entre ses partisans et la police, alors que Serge Sarkissian venait de remporter son premier mandat présidentiel.
M. Pachinian faisait alors déjà partie des meneurs de la contestation et il était passé dans la clandestinité pendant plusieurs mois avant de se rendre. Incarcéré, il avait été libéré en 2011, bénéficiant d'une amnistie.
Son rôle de meneur au cours des dernières semaines de manifestations l'a transformé en "héros" aux yeux de nombreux Arméniens, assure l'expert indépendant Ervand Bozoïan.
"Depuis les années 1990, les gens n'espéraient plus de changement dans ce pays. Maintenant, ils voient que c'est possible. Les gens sont surpris", souligne-t-il. "Pour moi, il était clair que le peuple arménien attendait le moment adéquat pour s'exprimer", a expliqué lundi l'opposant dans des déclarations à l'AFP.
Président de l'Arménie de 2008 à 2018, Serge Sarkissian, 63 ans, et son Parti républicain sont critiqués par les partisans de M. Pachinian pour n'avoir pas su faire reculer la pauvreté et la corruption, et avoir laissé aux oligarques le contrôle de l'économie de ce pays de 2,9 millions d'habitants.
La Russie, qui voit d'un très mauvais oeil toute contestation populaire susceptible d'amener au pouvoir dans une république d'ex-URSS des dirigeants hostiles au Kremlin, comme cela a été le cas en Géorgie et en Ukraine, a adopté une attitude neutre face à la crise en Arménie.
Après avoir souligné pendant plusieurs jours qu'il s'agissait d'une affaire intérieure arménienne, la Russie a semblé vouloir jouer les médiateurs: Vladimir Poutine a appelé le Premier ministre par intérim Karen Karapetian et plusieurs contacts ont eu lieu entre les autorités russes, des représentants du pouvoir arménien et Nikol Pachinian.