Arrestation de Michael Flynn : et si Trump était inculpé de haute trahison ?

L'arrestation de Michael Flynn pourrait faire basculer l'enquête sur les soupçons de collusion avec la Russie durant la campagne de 2016 de l'équipe Trump et impliquer directement le président des Etats-Unis. Entretien avec Corentin Sellin, historien spécialiste des Etats-Unis, sur les possibles conséquences au sommet de ce moment clef de l'affaire.
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Trump Mueller
Le 6 octobre 2017 : le président Trump à la Maison Blanche, déjà sous la pression du procureur spécial Mueller. (AP Photo/Evan Vucci)
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La garde à vue de Michael Flynn, l'ancien  conseiller à la Sécurité nationale de Donald Trump fait trembler la maison Blanche. Mais jusqu'à quel point cet ancien général 4 étoiles pourrait-il faire tomber le président américain dans le cadre de l'enquête du Procureur spécial Mueller ? Une procédure de destitution est-elle vraiment envisageable, ou pire ? Entretien avec Corentin Sellin, professeur agrégé d'Histoire, spécialiste des Etats-Unis et intervenant à l'IRFI (Institut français des relations internationales).

Est-ce que l'arrestation de Flynn est un événement majeur depuis le début de l'enquête menée sur la possible collusion de Donald Trump et de son équipe avec la Russie ?
Sellin Corentin
Corentin Sellin, professeur agrégé d'Histoire, spécialiste des Etats-Unis
Corentin Sellin : Oui, tout à fait, c'est l'événement le plus important survenu dans cette affaire, et on peut s'en rendre compte dans la suite d'événements qui se sont succédés à la Maison Blanche hier. Il y a un seuil qui a été franchi. Quand Manafort a été inculpé, il était le premier, la Maison Blanche pouvait dire "oui, mais il a été directeur de campagne seulement pendant 4 mois, il a été remercié, on n'a plus du tout de contact avec lui et il n'a jamais exercé de fonction gouvernementale." Donc, il y avait encore un pare-feu. Là, Michael Flynn, c'est le premier qui a exercé une fonction  au sein du gouvernement à être inculpé, même si ça n'a été que 3 semaines et demie. Mais le plus important, c'est que Flynn était quelqu'un dans la proximité immédiate de Trump pendant la campagne et au début de son administration. Dans la campagne de Trump, totalement foutraque, Flynn était un gage de sérieux, donc un personnage très important : un général 4 étoiles, qui avait été directeur général du renseignement militaire sous Obama, même si ça s'était très mal passé et très mal fini. Il crédibilisait la politique étrangère de Donald Trump. Les deux obsessions de Flynn étaient d'isoler totalement l'Iran en enrayant l'accord sur le nucléaire d'Obama et de se rapprocher de la Russie. On est à peine à un an de présidence Trump, et cette enquête  va très vite, donc l'arrestation de cet homme, Michael Flynn, est effectivement un événement majeur dans cette affaire, c'est même l'événement le plus important, oui. 

Se rapproche-on alors d'une procédure d'impeachment (destitution) ?

C.S : Le problème c'est qu'il faut mettre de côté une bonne fois pour toute cette histoire d'impeachment. Il faut rappeler que l'impeachment c'est une procédure politique, qui est présentée dans la Constitution comme le moyen de retirer sa fonction  au président, donc de le destituer. Mais c'est une procédure très lourde, qui n'a jamais abouti. Les trois fois où des présidents ont été "impeached" c'est à dire que l'acte d'accusation a été voté par la Chambre des représentants, deux présidents furent acquittés (Jonhson en 1868, Clinton en 1998, ndlr), quand le troisième démissionna avant le résultat du vote (Nixon en 1974, ndlr). On voit bien qu'il y a une grande difficulté avec cette procédure, comme dans le cas de Bill Clinton, alors que ses adversaires politiques, les Républicains avaient quand même une courte majorité au Sénat, il a été acquité. Il faut une majorité des deux-tiers pour condamner, donc comment pourrait-on imaginer qu'une Chambre des représentants, largement républicaine, et un Sénat avec, lui aussi, une courte majorité républicaine, pourraient voter l'impeachment de Donald Trump ? C'est impensable. Il ne faut jamais oublier cette phrase que Trump a lancé au début de la campagne des primaires, qui est très impressionnante. C'était quand il commençait à être extrêmement populaire et à devenir le favori : "Vous savez, je suis tellement populaire, que je pourrais tirer sur quelqu'un dans la cinquième avenue à New-York et je m'en tirerais". Et il avait raison, parce qu'en fait, la base républicaine, pour l'instant elle est toujours avec lui. 80% des Républicains, dans tous les sondages, soutiennent Donald Trump.

Ce qui est reproché à Flynn peut donc avoir des conséquences lourdes dans l'enquête du procureur Mueller ? 

Sur le fond, Flynn va être intéressant sur deux points essentiels. Le premier point est ce qu'il a dit exactement à l'Ambassadeur russe le 29 décembre, alors que cette conversation a été écoutée par la NSA ce qui a permis de l'accuser d'avoir menti au FBI le 24 janvier. Les pro-Trump disent "et alors, et alors, il a le droit, il prenait contact, etc", mais il faut bien prendre la mesure de ce qui lui est reproché : c'était durant la période de transition. C'est une zone grise, et même si le président peut avoir des contacts avec des chancelleries étrangères, là, que Flynn contredise une décision majeure du seul président encore en fonction à l'époque, c'est-à-dire Obama qui défendait alors des sanctions face à une attaque massive contre la démocratie de la part de la Russie, c'est quelque chose qui est d'une intensité toute autre. Ce qu'il est important de savoir est aussi depuis quand Flynn était piloté par Trump pour prendre contact avec la Russie, puisqu'on sait qu'au tout début de la transition il a rencontré l'ambassadeur de Russie avec Jared Kushner, le gendre de Donald Trump. Sachant que si l'on apprend que Flynn ou un autre a été piloté par Trump durant la campagne pour parler avec la Russie on se rapprocherait là de ce qu'on appelle une conspiration. Mais là, même sur la transition, l'argument du "c'est légal", ne tient pas. 

Mais si l'impeachment est impensable, à quoi peut donc servir l'enquête du procureur spécial Mueller, même si elle aboutit à démontrer la collusion de Trump avec la Russie ?

Et bien la question qui se pose est : est-ce qu'un président américain peut être poursuivi pour des crimes ? Ce qui est fascinant aux Etats-Unis, c'est qu'il n'y a pas d'immunité constitutionnelle comme chez nous en France. Le président est protégé. Mais cette question a été déjà posée deux fois, au moment de Nixon et pour Clinton. Le seul guide juridique qu'on connaisse, tiré de ces deux affaires ce sont deux mémos de 1973 et de 1999 qui ont été rédigés au sein du ministère de la Justice sur "est-ce qu'un président peut-être inculpé dans une enquête criminelle, alors qu'il est en fonction ?" Ces deux mémos ont conclu que non, il ne pouvait pas, parce que constitutionnellement ça l'empêcherait d'accomplir ce qui est écrit dans les articles 1 et 2 de la Constitution, qui disent qu'il doit exercer pleinement ses obligations constitutionnelles. Donc une inculpation constituerait une entrave au bon déroulement de la présidence et donc de la Constitution. N'oublions pas non plus que Mueller est un procureur spécial mandaté par le département de la Justice, qui théoriquement doit suivre cette jurisprudence, mais qui n'est qu'une jurisprudence interne. Donc, à cause de ces deux mémos, la plupar des observateurs disent "non, Trump ne sera pas inculpé", mais je précise la plupart. Mais il y a des juristes, et pas des moindres, qui écrivent depuis 30 ans des articles retentissants pour dire que rien n'empêche d'inculper un président, puisque rien ne l'empêche dans la Constitution. Et là, n'oublions pas que l'on est face un cas potentiel, surtout avec ce qu'apporte Flynn dans la corbeille, de haute trahison ! De plus, cette possible haute trahison peut  avopir aussi été une conspiration pour fausser le résultat électoral. Ca n'a rien à voir avec les affaires Nixon ou Clinton. C'est beaucoup plus grave, d'une bien plus grande ampleur. 
 

Ce qui nous mène à la fin de l'enquête : comment peut-elle se conclure ? 

Il faut concevoir que pour l'heure, il n'y a encore rien. Ce que Trump a encore répété hier. Et il peut ne rien y avoir, puisque Flynn est connu pour être très instable, c'est peut-être d'ailleurs pour ça que les Russes sont allés vers lui. Michael Flynn a pu s'avancer avec l'ambassadeur et dire des choses qu'il n'aurait pas dû dire, et vouloir se couvrir ensuite de sa propre bêtise. Reste quand même la question que Trump et son équipe savent qu'il a menti au FBI et qu'ils le gardent en poste pendant trois semaines. Mais s'il y a des éléments qui démontrent la haute trahison de Trump, avec entre autres l'implication de Jared Kushner, le gendre, et que Mueller est devant le fait accompli de la réalité de cette haute trahison, il est obligé de le faire savoir. Dans ce cas là, le procureur spécial aurait deux solutions : ou il franchit le Rubicon et il inculpe le président Donald Trump, et ce dernier demanderait au département de la Justice de le sortir, ou bien il fait un rapport qu'il transmet au Congrès, avec les éléments de haute trahison.