Arrestation du maire d'Istanbul, principal opposant et bête noire du président d’Erdogan

Le maire d'Istanbul et principal opposant du président Recep Tayyip Erdogan, Ekrem Imamoglu, a été interpellé, mercredi 19 mars. Son arrestation a provoqué une chute immédiate de la livre turque.

Image
Le maire d'Istanbul, Ekrem Imamoglu

Le maire d'Istanbul, Ekrem Imamoglu, s'adresse à ses partisans devant le palais de justice d'Istanbul, à Istanbul (Turquie), le vendredi 31 janvier 2025. 

AP Photo/Emrah Gurel, file
Partager 2 minutes de lecture

Le maire d'Istanbul Ekrem Imamoglu, principal opposant au président turc Recep Tayyip Erdogan, a été interpellé, mercredi 19 mars. Plus d'une centaine de ses collaborateurs, d'élus et membres de son parti a aussi été arrêtée et dénonce "un coup d'État" contre l'opposition.

Populaire et charismatique, le maire qui croule sous les procédures judiciaires à son encontre, est accusé cette fois de "corruption" et, selon l'agence officielle Anadolu, de "terrorisme".

Son arrestation a provoqué une chute immédiate de la livre turque qui a atteint le record de 40 livres pour un dollar et de 42 livres pour un euro (après avoir plongé jusqu'à 44,7 pour un euro).

L'hôtel de ville après l'arrestation du maire d'Istanbul

Des cordons de sécurité entourent l'hôtel de ville après l'arrestation du maire d'Istanbul, Ekrem Imamoglu, à Istanbul (Turquie), le mercredi 19 mars 2025.

AP Photo/Francisco Seco

La bourse d'Istanbul, dont le site est inaccessible, a également dû suspendre temporairement ses opérations après une chute de 6,87 % de son indice, selon les médias turcs, avant de rouvrir à 10H30 (7H30 GMT).

Selon un de ses proches collaborateurs, le maire, pressenti par son parti pour être son candidat à la prochaine élection présidentielle, a été emmené dans les locaux de la police.

Dans une vidéo postée sur X, l'édile de 53 ans, en train de s'habiller et de nouer sa cravate, dénonce la fouille de son domicile : "Des centaines de policiers sont arrivés à ma porte. La police fait irruption chez moi et frappe à ma porte. Je m'en remets à ma nation", indique-t-il.

Avant l'aube

"Les policiers sont arrivés juste après le sahur (le repas avant le lever du jour en cette période de ramadan, ndlr). Ekrem Bey a commencé à se préparer. (...) Ils ont quitté la maison vers 7h30" a témoigné l'épouse du maire, Dilek Imamoglu, sur la chaine privée NTV. 

(Re)lire Turquie : nouvel obstacle pour une candidature à la présidence du maire d'opposition d'Istanbul

Selon le communiqué du bureau du procureur d'Istanbul, M. Imamoglu est accusé de corruption et d'extorsion, le désignant comme le chef d'une "organisation criminelle à but lucratif".

L'agence étatique Anadolu évoque également des accusations de "terrorisme" et "d'aide au PKK", le Parti des Travailleurs du Kurdistan (interdit), à l'encontre de sept suspects dont le maire.

Tous les rassemblements et manifestations ont été interdits jusqu'à dimanche par le gouverneur d'Istanbul mais de nombreux partisans du maire, qui avait initialement prévu de les rassembler mercredi, convergeaient vers la municipalité cernée de barrières, selon un photographe de l'AFP.

L'emblématique place Taksim, au centre d'Istanbul, haut lieu traditionnel des manifestations, a été également complètement fermée et les passants sont réticents à s'exprimer ont constaté les correspondants de l'AFP.

Ce qui s'est passé ce matin n'est rien d'autre qu'un coup d'État contre le principal parti d'opposition, avec des conséquences considérables pour l'avenir politique du pays.

Berk Esen, politiste de l'université Sabanci d'Istanbul

"On est dans une dictature", lâche un commerçant identifié par son seul prénom, Kuzey. "Ce gars et sa sale bande nous haïssent. Dès qu'il ont affaire à quelqu'un de fort ils font quelque chose d'illégal, ils paniquent" crache-t-il à propos du chef de l'État. "Ce sont des diables, mais des amateurs, on va les battre."

Le président du parti CHP (Parti républicain du peuple, social-démocrate) de M. Imamoglu, Özgur Özel, a dénoncé "un coup de force pour entraver la volonté du peuple" et "contre le prochain président" de la Turquie.

Harcèlement judiciaire

"Ce qui s'est passé ce matin n'est rien d'autre qu'un coup d'État contre le principal parti d'opposition, avec des conséquences considérables pour l'avenir politique du pays" a estimé Berk Esen, politiste de l'université Sabanci d'Istanbul, joint par l'AFP. "Cette décision pousse la Turquie plus loin sur la voie de l'autocratie, à l'instar du Venezuela, de la Russie et de la Biélorussie".

M. Imamoglu est seul en lice pour représenter son parti à la prochaine présidentielle prévue en 2028 et devait être officiellement désigné, dimanche, au cours d'une primaire au sein du CHP.

(Re)lire Turquie : l'appel historique d'Abdullah Ocalan

L'université d'Istanbul avait annulé, mardi, son diplôme, ajoutant un obstacle supplémentaire à son éventuelle candidature : la Constitution exige un diplôme de l'enseignement supérieur pour toute candidature aux fonctions de chef de l'État.

L'édile avait dénoncé une décision "illégale" et annoncé son intention de la contester en justice, estimant que le conseil d'administration de l'université stambouliote n'était pas habilité à agir ainsi.

"Les droits acquis de chacun dans ce pays sont menacés", avait-il accusé.

(re)lire Imamoglu, maire d'Istanbul et bête noire du président Erdogan

Figure du CHP, principal parti d'opposition parlementaire, Ekrem Imamoglu est visé par cinq autres procédures judiciaires, dont deux ont été ouvertes en janvier.

En 2023, M. Imamoglu avait déjà été empêché de facto de se présenter à la présidence, en raison d'une condamnation en suspens pour "insulte" à des responsables du comité électoral turc.

Opposant véhément au président Erdogan, M. Imamoglu a dénoncé fin janvier le "harcèlement" de la justice à son encontre. Il sortait alors d'un tribunal d'Istanbul où il était entendu dans le cadre d'une enquête ouverte après des critiques contre le procureur général de cette ville.