L’artiste italien Maurizio Cattelan a encore fait parler de lui. Un goût affiché pour la provocation : une banane scotchée au mur par un simple ruban adhésif, une œuvre d’art vendue 120 000 dollars à la foire Art Basel de Miami Beach. Que l’on apprécie ou pas, l’œuvre intitulée The Comedian (Le Comédien), interpelle et ne laisse pas indifférent. Une oeuvre éphémère puisqu'un autre artiste a croqué et avalé le fruit défendu.
C’est sans doute la banane la plus chère du monde. Elle est signée Maurizio Cattelan, et trône effrontément sur un mur du stand de la galerie parisienne Perrotin, dans les allées de la foire de Miami. L’acquéreuse serait française, selon le journal américain le New York Times. Il s’agirait de Sarah Andelman, la fondatrice des magasins Colette, qui aurait déboursé 120 000 dollars pour décrocher la fameuse banane. Plusieurs exemplaires de l'oeuvre existent, un second a déjà été vendu.
L’artiste italien Maurizio Cattelan travaille sur l’idée depuis un an, selon le site spécialisé Artnet News. Il aurait d’abord confectionné des versions en bronze et en résine, sans y trouver une totale satisfaction.
« Où que j’aille, j’avais en tête cette banane sur un mur. Je n’arrivais pas à trouver comment l’achever », confie l'artiste à la journaliste du site spécialisé.
Finalement, je me suis levé un matin et j’ai dit : la banane doit être une banane
Maurizio Cattelan, artiste
A 59 ans, Cattelan n’en est pas à son coup d’essai. Volontiers provocateur, il manie l’art de la transgression avec humour. En 2016, il présente deux œuvres controversées à la Monnaie de Paris. La première est une sculpture grandeur nature du pape Jean-Paul II, terrassé au sol par une météorite et baptisée La Nona Ora. La seconde sobrement nommée Him, représente Adolf Hitler priant agenouillé. Cette dernière sera vendue aux enchères la même année chez Christie’s plus de 15 millions d’euros. En septembre dernier, c’est son œuvre intitulée « America », qui détonne. Des toilettes en or massif de 18 carats volés au palais de Blenheim, dans le sud de l’Angleterre.
Est-ce de l’art ? Ridicule, consternant, ou chef d'oeuvre de créativité ?
"Le Comédien" interroge et dérange. Bousculer l’ordre établi, l'une des bases de l'art contemporain. Une oeuvre n'est plus évaluée par des normes académiques.
« L’art contemporain a besoin d’un contexte, la notion de beau est dépassée. On est dans d’autres critères, plus subjectifs, plus sociologiques » souligne Nathalie Obadia, galeriste française spécialisée dans l'art contemporain et enseignante à Sciences Po Paris, lors de son passage dans le journal de 64 minutes de TV5MONDE du 13 octobre dernier.
L’art contemporain peut avoir l’air facile, décalé ou même bâclé. L’œuvre en elle-même ne fait plus foi, c’est le message qui se cache derrière qui est important. C’est un art qui donne à penser. Il est là pour interpeller, critiquer, bouleverser. Une œuvre d’art contemporain est
"subversive", comme le rappelle Nathalie Obadia.
« C’est son originalité, c’est le fait qu’elle transcende son époque, elle peut être contemporaine à ce moment-là, mais le fait de la revoir dans quelques décennies, c’est bien qu’elle a apporté quelque chose. On parle de « l’Urinoir » de Marcel Duchamp, si on en parle encore aujourd’hui, c’est qu’il a une pertinence », précise la galeriste parisienne Nathalie Obadia.
La galeriste spécialisée en art contemporain Nathalie Obadia sur le plateau du 64 minutes de TV5MONDE, le 13 octobre 2019.
L’art contemporain, un business comme les autres ?Le marché de l’art contemporain pèse lourd. C’est le marché le plus puissant après le cinéma.
« On est entre 70 et 100 milliards par an, si on ajoute les galeries du monde entier et les ventes aux enchères », rappelle Nathalie Obadia, qui enseigne également le marché de l'art contemporain, à Sciences Po Paris.
Le marché de l'art contemporain est un marché à part entière
Nathalie Obadia, galeriste parisienne.
Pour la spécialiste du secteur, il ne faut pas caricaturer le marché de l’art contemporain aux seuls enjeux financiers.
« On aime retenir de l’art contemporain que cet aspect spéculatif, qui n’intéresse que peut être 1% du marché. Tout le reste ce sont des artistes, des collectionneurs, des musées qui sont très intéressés par l’art de leur époque, et qui se bousculent intellectuellement pour comprendre ce qui se passe dans la tête de ces artistes qui nous révèlent certains sens que l’on n’avait pas ».La pérennité de l’œuvre ? Il semblerait que Maurizio Cattelan ait enfin trouvé un adversaire à sa taille. Un confrère a clos le débat, en mangeant l’œuvre d’art. Un moment choisi, qui devient une performance artistique, intitulée "Hungry artist" ou "Artiste affamé", en direct de la foire d’art contemporain de Miami. Orchestrée ou authentique, elle a provoqué un véritable buzz. Samedi 7 décembre, la banane n'a pas résisté à l'appétit de l’artiste David Datuna. Après s'être introduit sur le stand Perrotin, il a tout naturellement décroché, pelé et mangé le fruit défendu.
« J’aime les œuvres de Maurizio Cattelan et j’aime vraiment cette installation. Elle est délicieuse… », a t-il commenté sur son compte Instagram.
En quelques bouchées, une banane et 120 000 dollars sont avalés. L'homme a été sorti par les agents de sécurité et la galerie n’a pas porté plainte. Les employés ont changé le fruit, l'oeuvre est à nouveau entière.