Assange : au delà de l'extradition, les vrais enjeux

Julian Assange, réfugié à l'ambassade de l'Equateur à Londres a parlé quelques minutes depuis un balcon ce dimanche 19 août 2012. Le co-fondateur de l'organisation Wikileaks, que le gouvernement britannique veut extrader vers la Suède, est un personnage unique qui renvoie aux sociétés modernes leurs propres contradictions, au point de créer à lui seul un évènement diplomatique aux répercussions planétaires. Au delà des accusations et de la médiatisation simpliste dont il fait l'objet, qu'est-ce que le combat d'Assange signifie ? Décryptage.
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Assange : au delà de l'extradition, les vrais enjeux
Julian Assange, sur le balcon de l'ambassade de l'Equateur à Londres, le 19/08/12 (photo AFP)
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"Je suis ici parce que je ne peux pas être plus proche de vous.
Merci d’être là.
Merci pour votre détermination, et votre générosité d’esprit."
C'est par ces quelques mots que Julian Assange, costume-cravate impeccable, debout devant un micro sur son balcon du rez de chaussée de l'ambassade de l'Equateur a débuté son discours. Un discours important à plusieurs niveaux. Le premier souligne qu'il est un réfugié politique, mais dans l'une des plus grandes nations démocratiques du monde, le Royaume-Uni. Le deuxième, est qu'Assange est un cas unique dans l'histoire politique : il a su donner à la planète entière des informations que les dirigeants des nations déclarées les plus "démocratiques" ne voulaient pas voir diffusées. Julian Assange est une sorte de Robin des bois moderne, qui au lieu de dérober de l'argent aux puissants pour le distribuer aux pauvres, a réussi bien plus que cela, à l'échelle d'une planète : offrir les secrets les plus inavouables des Etats à tous ceux qui voulaient les consulter. 
C'est le réseau Internet, invention américaine, qui a permis cette première mondiale. Une première mondiale que le gouvernement des USA aurait bien voulu ne pas voir survenir grâce à son invention. Autre paradoxe de l'affaire : la plus grande démocratie du monde, adepte de la transparence, de la liberté d'expression, garante des droits individuels et actuellement dirigée par un prix Nobel de la paix, Barak Obama, ne décolère pas à l'encontre d'Assange et de son organisation, Wikileaks. Au point d'avoir autorisé le blocage financier des dons à l'organisation par les groupes Visa et Mastercard . Puis exprimé la possibilité d'un jugement pour espionnage aux Etats-Unis. Avec condamnation à mort à la clef.
Quand les masques tombent
Ce qu'Assange révèle aujourd'hui est peut-être encore plus troublant que les "fuites" diffusées mondialement (la vidéo démontrant le meurtre de civils par des soldats américains en Irak - Collateral Murder, vidéo en encadré - les milliers de cables diplomatiques montrant les coulisses de la diplomatie mondiale, les "warlogs" irakiens, les courriers électroniques de "l'agence d'intelligence globale" Stratfor) : l'imposture des grandes démocraties, la vraie nature des puissances publiques des pays censés être les défendeurs des droits de l'homme et de la liberté d'expression. Le gouvernement britannique serait prêt à donner l'assaut contre une ambassade pour s'emparer d'un homme accusé d'un supposé viol et agression sexuelle en Suède ? Alors que les autorités suédoises pourraient facilement interroger l'accusé, présumé innocent, en Angleterre, dans l'ambassade de l'Equateur - le Royaume-Uni préfère menacer un pays souverain et créer une tension diplomatique sans commune mesure ?
"Si le Royaume-Uni n’a pas enfreint la Convention de Vienne cette nuit-là, c’est parce que le monde entier regardait. Et le monde entier regardait parce que vous regardiez.
La prochaine fois que quelqu’un vous dit qu’il est inutile de défendre ces droits que nous considérons chers, rappelez-leur votre veille dans la nuit devant l’ambassade de l’Équateur, et comment, le matin venu, le soleil s’est levé sur un monde différent, et une nation latino-américaine courageuse s’est dressée pour la justice. Et donc, à ce peuple courageux. Je remercie le président Correa pour le courage qu’il a montré en considérant et en acceptant mon asile politique. Et donc je remercie le gouvernement, et le Ministre des Affaires Etrangères Ricardo Patino, qui ont défendu la Constitution équatorienne et sa notion des droits universels, dans leur considération de mon cas. Et au peuple équatorien pour avoir soutenu et défendu cette Constitution."
Que l'on soutienne ou non l'action de Wikileaks, que l'on admire ou déteste Julian Assange, il faut admettre que ce qui lui est reproché, au delà d'une affaire de moeurs en Suède, est d'avoir dévoilé la vérité. Mondialement. Et cette action, que toute démocratie devrait normalement applaudir, est aujourd'hui condamnée par les grandes capitales, au point que la protection d'un petit pays d'Amérique du Sud, l'Equateur, est nécessaire pour empêcher qu'une justice vengeresse - venue de ceux censés défendre la liberté d'expression - ne s'abatte aveuglément sur celui qui a montré les exactions ou manipulations des grandes puissances.
Assange : au delà de l'extradition, les vrais enjeux
Campagne de soutien à Julian Assange
Les repères bougent
La question des limites de la démocratie occidentale est soulignée de façon particulièrement crûe par le "cas Assange". Qu'il en joue et adopte une posture calculée est très probable. Il n'en reste pas moins que Julian Assange amène une partie non négligeable des populations des pays riches à observer le nouvel équilibre politique avec un autre regard. S'il était jusque là facile d'envisager le monde de façon manichéenne, à l'image d'un Georges Walker Bush dénonçant "les pays de l'axe du mal", avec les "bonnes démocraties" du Nord et les autres, au Sud, le leader de Wikileaks démontre depuis son discours - et les menaces d'attaque de l'ambassade de l'Equateur par la Grande-Bretagne - que les choses ne sont plus aussi simples. 
Les mouvements des indignés espagnols, relayés par le mouvement #Occupy ont entamé depuis plus d'un an cette dénonciation du déni démocratique pratiqué par les dirigeants des pays les plus riches, refusant aux populations tout pouvoir décisionnaire ou même consultatif. Ce qu'Assange dénonce lui aussi dans son discours :
"Et je suis donc reconnaissant envers les peuples et gouvernements d’Argentine, de Bolivie, du Brésil, du Chili, de Colombie, du Salvador, du Honduras, du Mexique, du Nicaragua, du Pérou, du Venezuela et de toutes les nations latino-américaines qui sont venues défendre le droit d’asile. Aux peuples des USA, du Royaume-Uni, de Suède et d’Australie, qui m’ont soutenu avec vigueur, même quand leurs gouvernements ne l’ont pas fait. Ainsi qu’aux membres plus sages de gouvernements qui se battent toujours pour la justice. Votre jour viendra. A l’équipe, aux soutiens et aux sources de WikiLeaks, dont le courage et l’abnégation sont sans égal."
Un nouveau monde apparaît
Julian Assange décrit ce nouveau monde en cours d'apparition, celui où des gouvernements de pays émergents soutenus par leurs populations viennent protéger la liberté d'expression et de publication d'un homme contre la volonté des gouvernements des pays les plus riches. Le constat d'un Etat tout puissant, les Etats-Unis d'Amérique, prêt à renier toutes les valeurs qu'il est censé défendre pour continuer d'exercer sa domination politique, économique et militaire, résonne comme une inquiétante réalité. Même si la "guerre préventive" d'Irak en 2003, basée sur un mensonge d'Etat (celui du gouvernement nord-américain) est encore dans de nombreux esprits, Assange est peut-être en train de créer un basculement des mentalités politiques et diplomatiques important :
"Alors que WikiLeaks est sous la menace, il en est de même pour la liberté d’expression, et de la santé de nos sociétés. 
Tant que Wikileaks sera sous la menace, il en sera de même pour la liberté d’expression et la santé de nos sociétés. 
Nous devons utiliser ce moment pour formuler le choix qui se présente au gouvernement des États-Unis d’Amérique. 
Va-t-il faire machine arrière et réaffirmer les valeurs sur lesquelles il a été fondé ? 
Ou fera-il ce bond dans le précipice, nous faisant tous glisser dans un monde dangereux et oppressif, dans lequel les journalistes se taisent sous peine de poursuites, et les citoyens doivent murmurer dans le noir ?
Je dis qu’il faut revenir en arrière. 
Je demande au président Obama de faire le bon choix.
Les États-Unis doivent renoncer à leur chasse aux sorcières contre Wikileaks.
Les États-Unis doivent dissoudre leur enquête du FBI.
Les États-Unis doivent jurer qu’ils ne chercheront pas à poursuivre notre personnel ou nos partisans. 
Les États-Unis doivent s’engager publiquement qu’ils ne poursuivront pas les journalistes pour avoir fait briller une lumière sur les crimes secrets des puissants.
Il est stupide de vouloir poursuivre tout média, que ce soit Wikileaks ou le New York Times.
La guerre des administrations américaines contre les dénonciateurs doit se terminer
."
Assange : au delà de l'extradition, les vrais enjeux
Manifestation de soutien au soldat Bradley Manning, détenu pour trahison après avoir fourni la video intitulée “Collateral Murder“ à Wikileaks
Ce que démontrera l'avenir d'Assange
L'affaire Assange n'est pas terminée. Les capitales sud-américaines n'entendent pas laisser le gouvernement anglais dicter sa loi et bafouer les conventions internationales au simple prétexte que le "10 downing street" aurait reçu l'ordre de Washington, sans l'avouer, d'extrader à tout prix Assange vers la Suède. Les conventions d'extradition permettraient alors très aisément au gouvernement américain de s'emparer du co-fondateur de Wikileaks afin de le juger et le condamner pour espionnage. Il n'en reste pas moins que le bras de fer diplomatique hallucinant entre Quito et Londres fera date dans les esprits, quel que soit soit son dénouement. Wikileaks et Julian Assange ont véritablement changé quelque chose dans le monde de l'après 11 septembre. Et dans tous les cas de figure, les grandes démocraties ne s'en trouvent pas grandies. Bien au contraire.

Collateral Murder : la vidéo qui embarrasse Washington

Le 5 avril 2010, Wikileaks diffuse mondialement cette vidéo qui montre des militaires américains assassinant des civils irakiens depuis un hélicoptère. Wikileaks devient mondialement célèbre.

Interview de Robert Meeropol à propos de Julian Assange

Le 19 juin 1953, Ethel et Julius Rosenberg moururent sur la chaise électrique du pénitencier de Sing Sing a l'issue d'un procès pour espionnage qui restera dans les annales comme l'un des sommets de l'injustice et de l'hystérie maccarthiste. On sait peu que les époux Rosenberg avaient 2 fils (ils furent adoptés par Abel Meeropol, auteur pour Billie Holliday). L'un d'eux se bat aujourd'hui pour Julian Assange car il pressent qu'il  peut être un nouveau Rosenberg. Interview de Robert Meeropol, invité du journal de TV5Monde le 25 janvier 2011.

WikiLeaks: Londres menace de lancer l'assaut

24.10.2010Par AFP
Julian Assange, le fondateur de Wikileaks âgé de 41 ans, est accusé par la justice suédoise de viol et d'agression sexuelle. Depuis le 19 juin, il est réfugié à l'ambassade d'Equateur à Londres, où il a déposé une demande d'asile politique, pour éviter son extradition vers la Suède. Le fondateur de WikiLeaks affirme que ces accusations sont fausses et ne sont qu'un prétexte permettant à la justice américaine de la transférer aux États-Unis pour y répondre d'espionnage après la divulgation par son site de 250.000 télégrammes diplomatiques américains. Jeudi soir, Washington a démenti toute pression sur Londres à ce sujet. Selon le chef de la diplomatie équatorienne, "la position qu'a adoptée le gouvernement de Grande-Bretagne est inadmissible, tant du point de vue politique que du point de vue juridique". "Une entrée non autorisée dans l'ambassade d'Equateur serait une violation flagrante de la Convention de Vienne" sur les missions diplomatiques, a déclaré Ricardo Patino. L'Australie a de son côté implicitement "lâché" Julian Assange jeudi. "Finalement (...) c'est une affaire entre Julian Assange et l'Equateur" et "de plus en plus, il semble que ce soit une affaire entre l'Equateur et la Grande-Bretagne", a déclaré la ministre de la Justice, Nicola Roxon, à la radio ABC. Londres pourrait justifier une telle intervention par une loi de 1987 sur les statuts des locaux consulaires et diplomatiques qui permet de lever l'immunité d'une ambassade sur le sol britannique. Selon le Guardian, un document britannique précise que le secrétaire des Affaires étrangères a le pouvoir de demander au tribunal le droit pour la police d'entrer dans l'ambassade de l'Équateur. Il faudrait alors prouver que des lois internationales ont été enfreintes et que l'Équateur était en violation de la Convention de Vienne en hébergeant Julian Assange.