Assassinat de Rafic Hariri au Liban : un membre présumé du Hezbollah reconnu coupable, trois autres suspects acquittés

Un membre présumé du Hezbollah a été reconnu coupable dans la mort du premier ministre libanais, Rafic Hariri, en 2005. Il s'agit de Salim Ayyash, le principal suspect dans l'affaire. Trois des quatre suspects ont été acquittés par le Tribunal spécial pour le Liban (TSL), aux Pays-Bas. Saad Hariri accepte la décision du tribunal.

 

Image
Saad-Hariri-tribunal-TSL-Pays-Bas-Liban

 
Partager 8 minutes de lecture

Le Tribunal spécial pour le Liban (TSL) a observé mardi une minute de silence pour les victimes de l'explosion du 4 août qui a ravagé Beyrouth, avant d'ouvrir son audience. Quatre hommes accusés d'avoir participé en 2005 à l'assassinat de l'ancien premier ministre libanais Rafic Hariri sont jugés.

Ce tribunal basé aux Pays-Bas avait reporté la lecture du verdict, initialement prévue le 7 août, "par respect pour les innombrables victimes" de l'explosion dévastatrice trois jours plus tôt au port de la capitale libanaise.

Le juge président David Re a appelé le tribunal à observer une "minute de silence pour rendre hommage aux victimes de cette catastrophe, à ceux qui ont perdu la vie, à ceux qui ont été mutilés ou blessés, à leurs familles, à ceux qui ont perdu leur maison".

Des quatre hommes membres présumés du Hezbollah accusés d'avoir participé à l'assassinat en 2005 de l'ancien Premier ministre libanais Rafic Hariri, trois ont été acquittés mardi par le Tribunal spécial pour le Liban (TSL), sans qu'aucun lien direct n'ait pu être établi avec les dirigeants du mouvement chiite.

Au bout de six ans de procès, le seul à avoir été reconnu coupable a été le principal suspect dans l'affaire, Salim Ayyash, 56 ans, condamné en son absence pour son rôle dans l'attentat-suicide à Beyrouth qui a fait 22 morts, dont le milliardaire sunnite Rafic Hariri, qui briguait un autre mandat à la tête du gouvernement libanais.

L'assassinat de l'ancien Premier ministre a été "un acte politique perpétré par des personnes dont les activités étaient menacées par celles de Hariri", ont déclaré les juges lors de la lecture du verdict, à Leidschendam, près de La Haye, où siège le TSL.

Mais aucune preuve n'a permis d'établir un lien direct entre l'attentat et la Syrie ou le Hezbollah, ont-ils relevé.

"La Syrie et le Hezbollah ont peut-être eu des motifs d'éliminer M. Hariri et ses alliés politiques, mais il n'y a aucune preuve que les dirigeants du Hezbollah aient été impliqués dans le meurtre de M. Hariri et il n'y a aucune preuve directe de l'implication syrienne", a déclaré le juge président, David Re.

Les Etats-Unis ont toutefois "salué" la condamnation de Salim Ayyash qui, selon le secrétaire d'Etat Mike Pompeo, prouve que le Hezbollah est "une organisation terroriste dont l'objectif est de promouvoir les projets sectaires néfastes de l'Iran".

Dans un communiqué fin juillet, Saad Hariri a déclaré espérer que la lecture du jugement "sera un jour de vérité et de justice pour le Liban", affirmant qu'il n'a "jamais perdu espoir dans la justice internationale".

Salim Ayyash, 56 ans, a été condamné en son absence pour son rôle dans l'attentat-suicide à Beyrouth qui a fait 22 morts : 

Chargement du lecteur...

"Haussement d'épaules"

La mort de Rafic Hariri, dans laquelle quatre généraux libanais prosyriens ont été dans un premier temps accusés d'être impliqués, avait déclenché à l'époque une vague de manifestations, entraînant le retrait des troupes syriennes après près de 30 ans de présence au Liban.

Au cours du procès, l'accusation a martelé que l'assassinat de Rafic Hariri "avait un but politique", arguant que le milliardaire sunnite "était perçu comme une grave menace par les prosyriens et pro-Hezbollah".

Le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a affirmé vendredi 14 août au soir qu'il ne se sentira pas concerné par le verdict du Tribunal spécial pour le Liban (TSL).

"Nous ne nous considérons pas concernés par les décisions du TSL", a déclaré le secrétaire du parti libanais pro-iranien dans un discours télévisé. "Pour nous, ce sera comme si la décision n'avait pas été annoncée", a-t-il ajouté. "Si nos frères sont condamnés injustement, comme nous nous y attendons, nous resterons attachés à leur innocence", a poursuivi Hassan Nasrallah, rappelant qu'il avait déjà par le passé rejeté à l'avance les décisions du TSL.

Mis en place suite à une résolution du Conseil de sécurité de l'ONU, le tribunal "a été très largement contesté", les Libanais restant "profondément divisés" à son sujet, selon Karim Bitar, professeur en relations internationales à Paris et Beyrouth.

Mais ils "ont tellement d'autres problèmes qu'ils ont tendance à regarder ça avec un haussement d'épaules, à l'exception de ceux qui sont directement concernés", avait-il expliqué quelques jours avant la double déflagration sur le port de Beyrouth. 

Des milliers d'habitants ont manifesté leur colère contre les autorités après cette explosion, entraînant entraîné la démission du gouvernement libanais, alors que le pays est plongé depuis des mois dans une très grave crise économique.

Au Liban, le verdict du procès laisse beaucoup d'indifférents : 

Chargement du lecteur...

Assassinat

Le 14 février 2005, Rafic Hariri, qui incarnait l'ère de la reconstruction au sortir de la guerre civile (1975-1990) est tué dans un attentat à Beyrouth, qui fait au total 22 morts et plus de 220 blessés. Un kamikaze a fait sauter une camionnette piégée au passage de son convoi blindé.

Dans l'élégant quartier des hôtels du centre-ville de Beyrouth, la déflagration a provoqué des flammes hautes de plusieurs mètres, soufflant les vitres des bâtiments dans un rayon d'un demi-kilomètre.

Au volant d'une fourgonnette blanche chargée de deux tonnes d'explosifs, le kamikaze s'était stratégiquement garé pour attendre le convoi, qui venait de quitter le Parlement pour se rendre à la résidence des Hariri.

A 12H55, le détonateur est déclenché, une seconde après le passage du troisième véhicule, une Mercedes S600 que Rafic Hariri conduisait lui-même.

Nombreux sont ceux qui ont cru à un tremblement de terre. Tout Beyrouth a entendu ou ressenti l'explosion, qui a laissé un cratère d'au moins dix mètres de diamètre et de deux mètres de profondeur. L'ancien Premier ministre, passé dans l'opposition en 2004, fait partie des 22 morts. 226 personnes ont été blessées.

L'indignation fut planétaire. Grand ami de Rafic Hariri, le président français Jacques Chirac et son épouse Bernadette se sont rendus à Beyrouth deux jours plus tard pour présenter leurs condoléances à la famille. Le chef de l'Etat français dénoncera un "crime abominable, que l'on aurait pu croire d'un autre temps".

Même s'il n'était plus en poste, Rafic Hariri jouait un rôle politique incontournable. Soutenu par l'Arabie saoudite, il était pressenti pour retrouver sa place de premier ministre.

L'attentat n'était pas une surprise, les avertissements s'étaient multipliés. Déjà en octobre 2004, l'ancien ministre libanais Marwan Hamadé, proche de Hariri, avait échappé de peu à un attentat similaire.

Car l'ancien premier ministre avait durci le ton contre l'occupation syrienne du Liban, prenant la tête du camp politique réclamant le départ des troupes de Damas, après trois décennies d'occupation.

Le 26 avril 2005, les derniers soldats syriens quittaient le Liban après 29 ans de présence sous la pression de la rue, de l'opposition et de la communauté internationale. L'opposition a fait assumer aux "pouvoirs libanais et syrien la responsabilité" de l'attentat et a appelé au retrait des troupes syriennes du Liban, alors que Damas dénonçait un "acte criminel".

Une commission d'enquête onusienne a conclu dans deux rapports d'étape en octobre et décembre à des "preuves convergentes" sur l'implication des services de renseignements syriens et libanais.

Possible appel

S'ils sont reconnus coupables, les quatre accusés dans l'assassinat de Rafic Hariri risquent la prison à perpétuité. Les peines devraient être prononcées à une date ultérieure. L'accusation et la défense peuvent toutes deux faire appel du jugement.

Le principal suspect dans l'affaire, Salim Ayyash, 56 ans, était accusé d'"homicide intentionnel" et d'avoir été à la tête de l'équipe qui a mené l'attaque. Les accusations portées contre Salim Ayyash incluaient également "la commission d'un acte de terrorisme". Il est également accusé de "tentative d'homicide intentionnel" des 226 blessés, selon le site du TSL.

Dans une autre affaire, le tribunal l'avait déjà accusé en 2019 de "terrorisme" et de meurtre pour trois attaques meurtrières perpétrées contre des politiciens libanais en 2004 et 2005.

Deux autres hommes, Hussein Oneissi, 46 ans, et Assad Sabra, 43 ans, étaient notamment poursuivis pour avoir enregistré et fait parvenir à la chaîne d'information Al Jazeera une fausse cassette vidéo qui revendiquait le crime au nom d'un groupe fictif.

Ils étaient notamment accusés par le TSL de "complicité de commission d'un acte de terrorisme" mais aussi de "complicité d'homicide intentionnel". M. Oneissi était aussi soupçonné d'avoir recruté un islamiste libanais, Ahmed Abu Adass, et de l'avoir aidé à enregistrer la fausse vidéo de revendication.

Le tribunal a rejeté en 2018 une requête de la défense pour un acquittement de Hussein Oneissi, estimant que l'accusation avait "fourni suffisamment de preuves" pouvant justifier en théorie sa condamnation. La plupart des éléments recueillis à l'encontre de M. Oneissi étaient basés sur des enregistrements de téléphonie mobile ou des cartes SIM utilisées pendant l'attentat.

Pour la défense, il s'agissait de preuves "théoriques" et les accusés n'avaient "aucun mobile" pour participer à l'assassinat.

Le dernier suspect, Hassan Habib Merhi, 54 ans, faisait également face à plusieurs chefs d'accusation, tels que “complicité de perpétration d'un acte de terrorisme” et "complicité d'homicide intentionnel".

Moustafa Badreddine, le principal suspect décrit comme le "cerveau" de l'attentat par les enquêteurs, est mort depuis et n'a donc pas été jugé. Ancien chef militaire du Hezbollah, il a été tué en mai 2016, dans un attentat près de l'aéroport de Damas, selon son organisation.

A l'époque, le mouvement chiite, militairement impliqué dans le conflit syrien au côté du régime, avait accusé des islamistes extrémistes "takfiris" d'avoir mené l'attaque, qui n'a jamais été revendiquée et dont les circonstances restent mystérieuses à ce jour.

La même année, le TSL avait annoncé qu'il ne poursuivrait pas le procès de Badreddine, estimant avoir des "preuves suffisantes" confirmant son décès.