AstraZeneca : des espoirs aux déceptions, chronique d'un vaccin controversé

L'Agence européenne des médicaments (AEM) vient de rendre ses conclusions sur le lien potentiel entre le vaccin AstraZeneca et des cas de thromboses. Retour sur les polémiques autour d’un vaccin un temps populaire et boudé depuis.  
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Une soignante tient une dose de vaccin AstraZeneca lors d'une campagne de vaccination de masse à l'hôpital San Pedro, à Logrono, dans le nord de l'Espagne, le 24 mars 2021 (AP Photo/Alvaro Barrientos, File)
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Le verdict était très attendu. Il est tombé. L’Agence européenne des médicaments (AEM) a estimé ce mercredi 7 avril qu’« une explication plausible de ces effets secondaires rares est une réponse immunitaire au vaccin ». La directrice exécutive de l’agence, Emer Cooke, a précisé que « des facteurs de risque spécifiques tels que l'âge, le sexe ou les antécédents médicaux n'ont pas pu être confirmés car les événements rares sont observés à tous les âges », avant de souligner que que le vaccin est « très efficace » et « sauve des vies ». Ces explications vont-elles rassurer les populations ? Rien n’est moins sûr. 

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Le Premier ministre britannique, Boris Johnson, visite une infrastructure de production de vaccin AstraZeneca à Macclesfield, en Angleterre, le 6 avril 2021 (Dave Thompson/Pool via AP).

AstraZeneca : des promesses aux retards de livraisons

AstraZeneca a d’abord été synonyme d’espoir, celui d’être le premier auquel l’Union Européenne aurait accès. Le contrat passé avec le laboratoire britannique porte sur l’acquisition de 300 millions de doses, avec éventuellement 100 millions supplémentaires. Le vaccin présente à première vue plusieurs avantages. Il est peu cher et a une logistique simple, pas besoin de « supercongélateurs » pour les conserver, à l’instar du Pfizer. C'est ce que souligne la Docteure Anne Sénéquier, chercheuse à l’IRIS et co-directrice de l’Observatoire de la santé mondiale : «AstraZeneca a accepté de vendre ses vaccins au prix coûtant, c’est-à-dire qu’ils jouaient le jeu du « bien commun de l’humanité ». Un atout de plus, par ailleurs, pour le transport dans les pays les moins développés.

Rapidement, cependant, l’annonce des retards de livraison à la Commission européenne entraîne la première déception. Moins d’un quart des doses promises au premier trimestre de 2021, prévient AstraZeneca. Dans le même temps, fin janvier, l’Allemagne, en l’absence de données cliniques suffisantes, limite la vaccination des personnes au-dessus de 65 ans. Une décision prise avant que l’AEM n’ait rendu ses conclusions et suivie dans la foulée par plusieurs pays européens. 

A partir de là, « chaque nouveau raté s’est basé sur celui d’avant, et n’a fait que réduire la confiance des populations européennes en AstraZeneca » affirme Anne Sénéquier. Bruxelles, pour maintenir les doses sur le sol européen, entame un bras de fer avec le laboratoire. Elle établit un système de contrôle des exportations hors pays de l’U.E. Début mars, l’Italie annule l’envoi de 250 000 doses à l’Australie. La réputation d’AstraZeneca continue d’être entachée.

(Re)voir : Livraisons de vaccins : l'UE hausse le ton face à AstraZeneca

De l’autre côté de la planète, l’Inde, premier producteur de vaccins au monde et qui s'est imposée comme l’un des principaux fabricants d'AstraZeneca, est dépassée par l’ampleur d’une seconde vague de coronavirus sur son sol. Fin mars, le pays bloque alors ses exportations de doses afin de les réserver pour son marché intérieur. Une décision controversée, notamment parce qu’une partie de ces vaccins était destinée au système COVAX, le dispositif international pour l’approvisionnement en vaccin des pays les plus pauvres. Deux mois de retard minimum sont à craindre pour la livraison. S'il était encore rallongé, ce délai pourrait avoir des conséquences "catastrophiques" en Afrique, selon John Nkengasong, le directeur de l'agence de santé publique de l'Union Africaine (Africa CDC). 

La polémique sur les effets secondaires

La polémique autour de potentiels effets secondaires du vaccin ne tarde pas à éclater. Tout commence en Autriche où une infirmière meurt d’une thrombose, puis une deuxième personne au Danemark, quelques jours plus tard. Plusieurs Etats membres de l’UE décident alors de freiner la vaccination avec AstraZeneca.

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Les déclarations de l’Agence européenne des médicaments  puis de la Société internationale de thrombose et d’hémostase (ISTH) selon lesquelles la vaccination pouvait se poursuivre en toute sécurité ne suffisent pas à rassurer les pays : en quelques heures, entre le 15 et le 16 mars, l’Allemagne la première, suivie par l’Italie et la France, et enfin l’Espagne, réduisent la voilure AstraZeneca. « Ces évènement montrent que l’on est dans une situation où il y a une forte pression entre Etats » affirme Gaël Coron, enseignant-chercheur à l’École des hautes études en santé publique (EHESP) et directeur de l'ouvrage L’Europe de la santé (Hygée éditions, 2018) : « on est théoriquement autonome sur un certain nombre de choses, mais on peut difficilement être à rebours de nos voisins : on l’a vu lors du premier confinement ». A la suite de suspensions dans plusieurs pays, l'AEM affirme à nouveau que le vaccin AstraZeneca est « sûr et efficace » et que les bénéfices l’emportent sur les risques. Une affirmation soutenue par l’OMS, aujourd’hui encore. 

Début avril, Marco Cavaleri, responsable de la stratégie sur les vaccins de l’Agence européenne des médicaments , confirme l'existence d'un "lien" entre le vaccin AstraZeneca et les cas de thrombose observés après son administration, dans une interview au quotidien italien Il Messaggero. La polémique est relancée. Auparavant, l’Allemagne et la France avaient déjà déconseillé l’usage du produit pour les plus jeunes. Ces dernières heures, la région espagnole de Castille-et-Léon (nord-ouest) a suspendu à nouveau la vaccination avec AstraZeneca.  

Les dernières conclusions sur le nombre de personnes qui pourraient être atteintes de thromboses à la suite d’une vaccination avec AstraZeneca reste faible. En effet, début avril, les chiffres étaient de 79 cas de caillots sanguins identifiés sur 20 millions de doses administrées. Pourtant, « est-ce que les gens ont envie d’avoir une dose qui, dans leur esprit, correspond à prendre un risque, si minime soit-il ? Je ne crois pas » affirme la Docteure Anne Sénéquier. Et de conclure : « on voit bien que c’est déjà un vaccin qui est boudé ».