Fil d'Ariane
Tirs sur des civils en fuite, contrôles des couloirs humanitaires, bombardements d’hôpitaux, diffusion de fausses informations... Les méthodes des militaires russes en Ukraine rappellent celles employées en Syrie. Raed Al Saleh, à la tête des Casques blancs (Défense civile syrienne), livre des recommandations aux Ukrainiens pour faire face à l'armée russe. Entretien.
Un membre des Casques blancs (Défense civile syrienne) sauve un enfant des débris d'un immeuble effondré à la périphérie sud de la ville d'Idlib, jeudi 10 février 2022.
TV5MONDE : Vous lancez un cri d’alerte aux Ukrainiens pour les mettre en garde sur les méthodes des militaires russes. Comment les civils des villes assiégées doivent se rationner, se soigner et tenir sur le long-terme ?
Raed Al Saleh, responsable des Casques blancs (Défense civile syrienne) : Il ne fait aucun doute que les Russes vont utiliser d'autres moyens d’actions encore plus extrêmes en Ukraine qu'ils n'utilisent aujourd'hui. Ils vont essayer d'assiéger des villes en suivant la même approche qu’en Syrie.
En tenant compte de ces prédictions, les civils doivent garder à l'esprit la nécessité d’avoir suffisamment de provisions alimentaires pour tenir pendant le siège.
Les recommandations que je détaille ensuite concernent des sièges de court-terme. Les hôpitaux vont continuer à être ciblés par les bombes, comme ils l’ont été en Syrie. Les civils et les associations qui travaillent sur le terrain doivent installer des centres de soins périphériques pour réduire la pression sur les hôpitaux. Les centres de soins peuvent être utilisés comme point d’entrée pour des soins de premiers secours. Les blessés graves peuvent ensuite être transférés dans les hôpitaux.
Il faut former de petites équipes, de cinq à sept volontaires, pour faciliter leurs déplacements et les rendre moins susceptibles d'être pris pour cibles par les Russes.
Raed Al Saleh est responsable des Casques blancs (Défense civile syrienne)
Les civils doivent aussi mettre en place des équipes chargées de repérer les munitions explosives non explosés ainsi que les matériaux explosif abandonnés (UXO). Ces équipes informeront ensuite les civils pour qu’ils ne s’approchent pas de ces zones.
La Défense civile syrienne (ou Casques blancs) est une organisation humanitaire de protection civile formée pendant la guerre civile syrienne. L’une des tâches principales de ses membres est de porter secours aux civils après les bombardements. Ils sont couramment désignés sous le nom des "Casques blancs" en échos à ceux qu’ils portent pendant leurs interventions.
L’organisation émerge de manière spontanée en 2013 à l’initiative de jeunes organisés en petites unités de quartier dans la région de Idleb, en Syrie, lourdement touchée par les bombardements. Elle devient officielle l'année suivante après le rassemblement de différents comités locaux.
La démarche est saluée dans le monde entier. Ces héros nationaux sont rassemblés autour d'une devise qui provient du Coran : "celui qui sauve une vie, sauve l’humanité entière". Pourtant, ils sont ciblés en 2017 par une campagne de désinformation visant à discréditer les preuves de crimes qu'ils récoltent. Ils sont accusés par les Russes d’être liés à des mouvements pro-djihadistes.
Les Casques blancs affirment à ce jour avoir sauvé plus de 100 000 vies civiles et qu'au moins 252 de ses membres ont été tués.
TV5MONDE : Comment évacuer les civils avec le plus de précautions possibles à la suite d’un bombardement russe ?
Raed Al Saleh : Il faut former de petites équipes afin de pouvoir s'occuper des personnes légèrement blessées et transférer des personnes dans une situation plus grave. Ces équipes ne doivent pas circuler à plus de cinq à sept volontaires. Le but est de faciliter leurs déplacements et de les rendre moins susceptibles d'être pris pour cibles par les Russes.
Les avions de chasses russes pratiquent les doubles frappes aériennes. Généralement, les secours n'ont que sept à neuf minutes pour réagir entre deux frappes.
Raed Al Saleh, responsable des Casques blancs (Défense civile syrienne)
Les avions de chasses russes pratiquent les doubles frappes aériennes (ndlr. qui visent à frapper une deuxième fois le même site dans un intervalle très court) pour cibler les premiers intervenants et secouristes. Généralement, ces derniers n'ont que sept à neuf minutes pour réagir. La fenêtre de tir est très courte. Sept à neuf minutes, c’est assez de temps pour s’assurer qu’il y a assez de civils et d'équipes de secours sur place et faire autant de victimes que possibles. C’est aussi le temps nécessaire pour l’avion de chasse d’effectuer une manœuvre pour revenir sur le même site.
Un membre des Casques blancs (Défense civile syrienne) sauve un enfant des débris d'un immeuble effondré à la périphérie sud de la ville d'Idlib, jeudi 10 février 2022.
Mais ces techniques ne sont pas utilisées à chaque fois. C’est pour cela que d’autres personnes doivent également surveiller l'espace aérien. Ils peuvent ainsi vérifier si les avions font demi-tour et risquent de bombarder un site déjà ciblé.
TV5MONDE : Une fois ces petites équipes formées, comment peuvent-elles échanger si tous les canaux de communications sont coupés ?
Raed Al Saleh : Ces petites équipes devraient utiliser des équipements radios à basse fréquence (comme des talkie-walkies). Utiliser Internet peut être problématique pour eux. Les Russes sont en mesure de pirater ou d’intercepter les moyens de communication pour les prendre pour cibles.
À (re)voir : Ukraine : la Russie accusée de crimes de guerre
TV5MONDE : Avez-vous des contacts réguliers avec l’armée et des organisations civiles ukrainiennes ? Que comptez-vous faire pour les aider ?
Raed Al Saleh : Nous sommes toujours dans une phase de planification. Nous essayons de structurer notre organisation pour voir comment nous allons les aider.
Nous avons du matériel physique mais aussi des vidéos de formations qui pourraient être utiles aux Ukrainiens. Nous sommes actuellement en train de les traduire en ukrainien. Une fois que tout sera prêt, nous les publierons sur notre site web et ils seront disponibles.
Si la communauté internationale avait tenu Poutine pour responsable des crimes qu'il a commis en Syrie, en Crimée, en Géorgie, il n'aurait jamais osé aller en Ukraine.Raed Al Saleh est responsable des Casques blancs (Défense civile syrienne)
TV5MONDE : Votre organisation est composée de près de trois mille anciens boulangers, enseignants, électriciens. Les Ukrainiens peuvent-ils organiser une assistance similaire aux Casques blancs à l’échelle du pays ?
Raed Al Saleh : Le modèle des Casques blancs peut être reproduit dans n'importe quel pays en conflit. Nous allons redoubler d’efforts pour transmettre notre savoir et former les équipes de premiers secours. Il est aussi important qu’ils apprennent à combattre les campagnes de désinformations, contre lesquelles nous avons dû nous battre pendant les sept dernières années. (ndlr. Les Casques blancs étaient accusés par les Russes d’être affiliés à Al Qaïda.)
La vision des Casques blancs, c’est d'aider les civils à gérer les urgences pendant les conflits et d’être les témoins des crimes de guerre. Nous pensons que si la communauté internationale avait tenu Poutine pour responsable des crimes qu'il a commis en Syrie, en Crimée, en Géorgie, il n'aurait jamais osé aller en Ukraine.
À suivre : DIRECT-Ukraine : après de nouvelles frappes russes en Ukraine, le président Zelensky veut négocier avec la Russie