Un agent d'entretien d'origine érythréenne a été pris pour un terroriste lors de l'attentat de la gare routière de Beer Sheva. Blessé par balle puis frappé par une partie de la foule, l'homme a succombé à ses blessures à l'hôpital. La vague d'attentats en Israël crée-t-elle une spirale de violence confinant à l'hystérie ?
Un homme armé de couteaux et d'un pistolet, a vidé son chargeur sur la foule, dimanche 18 septembre, dans la galerie commerciale de la gare routière de Beer Sheva, en Israël. Dix personnes ont été blessées, et trois autres tuées : un militaire israélien, un agent d'entretien érythréen de 29 ans, ainsi que le terroriste.
C'est un agent de sécurité qui a pris l'agent d'entretien africain pour un terroriste et l'a blessé par balle aux jambes.
L'homme, baignant dans son sang, s'effondre puis il est frappé par une une partie des personnes présentes, croyant visiblement avoir affaire à un terroriste.
Les images de la scène sont très dures et peuvent choquer :
La vague d'attentats - le plus souvent à l'arme blanche - qui sévit à l'encontre de civils ou de militaires juifs depuis début octobre, semble créer un climat de tension hors du commun en Israël. Il y a eu des précédents de foules en colère tentant de se faire justice dans ce pays, mais c'est la première fois que quelqu'un, d'origine africaine, est tué d'une telle manière depuis la flambée des violences de ce mois d'octobre. Les auteurs des attentats ont toujours été soit des Palestiniens ou des Arabes israéliens. La police israélienne déclare vouloir retrouver les auteurs de ce lynchage, considéré comme "extrêmement grave", et souligne que l'agent d'entretien ne représentait "aucun danger".
La spirale de violence semble s'accentuer en Israël, et l'hystérie gagner les esprits. Entretien avec Joav Toker, journaliste israélien, au sujet de ces événements, et de leur signification.
Pourquoi s'en prendre à un homme agonisant au sol et sans défense ? Ce type d'explosion de violences collectives est-il courant en Israël, particulièrement lorsque la situation est tendue dans le pays ?
Joav Toker : Il n’y a jamais eu à ma connaissance de lynchage publique en Israël, sous aucun prétexte. Il y a eu des scènes de foules déchaînées, qui perd sa raison, mais à ma connaissance il n’y a jamais eu mort d’homme dans ce type de circonstances. Mais ce type de violences, à l’arme blanche, avec une fréquence telle, et dispersées, sans organisation centralisée, est quelque chose de nouveau. Ce qu’il s’est passé dans la gare de routière de Beer Sheva, dimanche, c’est une scène de panique aiguë.
En cela, Israël est un pays, malheureusement, qui est plus ou moins rodé pour faire face à des situations d’attentats, de guerre, mais n’a pas d’expérience en termes de scènes de panique avec de telles fréquences. Et donc, là, ça a dérapé gravement.
La couleur de peau de l'homme lynché a-t-elle selon vous une importance ? Les terroristes sont pourtant tous arabes, il est difficile de voir un rapport entre un homme noir et les terroristes arabes...Y.T : Il y a eu des problèmes, mais complètement différents, en termes de cohabitation avec des immigrants légaux et illégaux en large partie effectivement d’Ethyopie et d’Erythrée. Il y a même eu une période où il y avait des émeutes quasi quotidiennes, il y a deux ou trois ans, dans le sud de Tel-Aviv. Il y a eu des foules déchaînées, des actes de haine, mais il n’y a jamais eu de mort d’homme. A ce moment là, la couleur de la peau a joué.
Le plus horrible à dire c’est que vous trouvez beaucoup d’Arabes, Palestiniens ou certains Israéliens, qui ont la peau plus foncée que celle des européens, et cet homme érythréen avait une peau "couleur cacao", pas excessivement noire. Il est possible que ce soit une confusion parmi tant d’autres dans ce qu’il s’est passé. C’est un agent de sécurité qui a tiré en premier sur cet homme, et qui a probablement associé ce pauvre érythréen à l’Arabe qui venait de tirer dans la foule. Ensuite, j’imagine que la foule a suivi.
Quel est la demande de la population israélienne auprès du gouvernement , aujourd'hui, face à ce types d'attaques terroristes aveugles ?Y.T : C’est relativement simple : les gens demandent au gouvernement de la sécurité. Mais si vous rentrez dans des bistrots, vous aurez autant d’opinions et de recommandations parallèles au nombre de ceux qui consomment dans le bistrot. Mais derrière, avec cette demande de sécurité, le gouvernement essaye de faire des choses de différente nature, plus ou moins conventionnelles. Il va y avoir une augmentation du nombre de services d’ordre, de policiers, de groupes militaires et para-militaires, et dans un certain quartier de Jérusalem, un mur doit être construit, on parle d’un projet allant jusqu’à 700 kilomètres de mur pour séparer tout le monde de tout le monde.
Mais le sentiment dominant de ces dix derniers jours, illustré de la façon la plus dramatique et la plus pathétique par ce qu’il s’est passé à Beer Sheva, c’est celui d’une situation grave de semi-panique généralisée. Tout le monde prend le bus ou est susceptible de le prendre, de rentrer tôt ou tard dans un magasin, de prendre un café dans un bar. A priori des gens qui ont positionnement politique plus dur doivent comprendre que ce n’est pas avec mille ou quinze mille policiers de plus qu’on règlera ça.
La solution est politique. Mais il y a un problème très nouveau et difficile à encadrer, c’est celui des réseaux sociaux, des images qui circulent avec les commentaires qui les accompagnent, dans leur rôle d’incitation et qui peuvent créer des émotions encore plus fortes. Ce type de phénomène se développe et la force des images, leur accessibilité, leur aspect viral, amplifient l’émotion et aggravent les tensions, l’incompréhension entre les Palestiniens et les Israéliens. C’est un vrai problème qui n’existait pas lors de la dernière Intifada, il y a maintenant 12 ans…