Vivre sa foi musulmane après les attentats du 11 septembre 2001
Après les attentats du 11 septembre, dans les pays occidentaux, les musulmans ont souvent été stigmatisés, rassemblés dans une même sphère globale et ennemie. Certains dirigeants de pays islamiques ou des chefs religieux n'ont pas aidé, avec leurs diatribes parfois enflammées, à dépasser les antagonismes culturels. Pourtant, les jeunes musulmans sont nombreux, eux aussi, à s'interroger depuis ce jour qui changea le monde, comme Sabrina Bakir.
« J’essaye d’être une antithèse à la théorie du choc des civilisations »
Entretien avec Sabrina Bakir, ancienne professeure et journaliste à Rennes TV
Votre livre paru récemment est intitulé « French Kiss : comment je devins musulmane en free style ». Pourquoi ce sous-titre ? C’est un choix qui me permet de donner une image au public, celle d’une musulmane libre et moderne. Trois ans après les attentats du 11 septembre, j’ai entendu un Américain à la télévision lors des commémorations dire : « nous avons à présent besoin d’un 12 septembre ». Je voulais donc répondre à ce New-yorkais et symboliser ce lendemain à l’horreur. C'est-à-dire, montrer le monde sous un nouveau jour, un monde où des musulmans tendraient la main à ces Américains meurtris par les attentats. Il s’agit de prouver qu’il existe des musulmans pacifistes. En quoi le 11 septembre 2001 a-t-il influencé votre vie de musulmane ? J’ai très mal vécu ces événements en tant que musulmane. Le fait que des terroristes tuent des personnes innocentes au nom de l’islam, n’a pas de sens à mes yeux. J’ai donc pris ma plume dès septembre 2006 pour dire stop à l’amalgame. Je ne supportais plus qu’on associe l’islam au terrorisme. Je ne voulais plus que l’islam soit associé à cette violence. Ma famille m’a transmise l’idée d’un islam porteur de paix. Je sais qu’il ya dans le Coran des versets qui appellent aux combats. Ce sont des passages avec des aspects militaires et guerriers, mais je souhaite comme de nombreux intellectuels musulmans modernes et modérés, que nous puissions avoir du recul et même critiquer par rapport à ce livre sacré. Nous sommes au 21ième siècle et on ne peut plus combattre au nom de l’islam aujourd’hui comme on le faisait au 7ième siècle. Comment faites-vous personnellement pour combattre ces stéréotypes liés à l’islam ? Je me suis un peu affranchie des points qui me pesaient dans ma culture d’origine, à savoir le statut de la femme, l’antisémitisme et puis la violence. Je revendique parfaitement le fait d’être une musulmane, mais j’ai un mode de vie libre au quotidien. Je ne veux pas laisser la place aux islamistes. J’ai grandi dans une famille pratiquante, mais je ne le suis pas moi-même, pourtant je défends cette religion. J’ai été élevée dans une double culture (française et marocaine), j’ai la chance de vivre dans une société démocrate et laïque et je me sens médiatrice entre l’orient et l’occident. Je tiens à ce que la religion soit séparée de la vie civile. J’ai été choquée et meurtrie lorsque les avions se sont écrasés sur le World Trade Center, je le suis tout autant lorsque les bombes tombent sur Gaza. Par cette double culture, je me sens interpellée par ce qu’on a appelé «la théorie du choc des civilisations » ; j’essaye d’être un antichoc, une antithèse de cet affrontement. Les événements tragiques du 11 septembre ont-t-ils changé le regard de la société sur l’Islam en France ? Je ne veux pas faire de généralités, mais j’imagine que pour les gens qui ne connaissent pas du tout de musulmans, c’est très facile d’associer musulmans à terroristes. Mais nous vivons dans une société où la mixité n’est pas un vain mot. Les gens en vivant et en côtoyant des musulmans, se rendent bien compte qu’ils n’ont rien à voir avec les agents de la terreur. Comment les musulmans vivent–ils leur foi depuis le 11 septembre 2001 en France? De manière personnelle, j’estime que la foi est quelque chose d’intime, je la vit dans la sphère privée, comme tous les musulmans je suppose. Être musulman est une identité lourde à porter dans la société française aujourd’hui ? Je me pose moi-même la question. Je pense qu’en France on a beaucoup de chance. On vit dans un pays ouvert. C’est sûr qu’il y a toujours des ambigüités sur la question de l’islam, mais je suis optimiste et je pense que ce regard va changer. On arrive à vivre ensemble malgré nos religions, nos origines et nos cultures. Propos recueillis par Christelle Magnout 10 septembre 2009