Fil d'Ariane
Des "kamikazes" au Stade de France à Saint-Denis, près de Paris, des terrasses de bars et la salle de spectacle du Bataclan, mitraillées dans la capitale : la France, déjà secouée par les attentats au mois de janvier précédent contre le journal satirique Charlie Hebdo et un magasin Hyper Cacher, a connu le soir du 13 novembre 2015, ses plus sanglantes attaques depuis la Seconde Guerre mondiale.
Sous sécurité maximale, la cour d'assises spéciale de Paris, compétente pour statuer sur les crimes commis en matière de terrorisme, va juger 20 accusés, dont Salah Abdeslam, seul survivant des commandos téléguidés par le groupe Etat islamique (EI).
Ce procès, hors norme par le nombre de parties civiles (près de 1.800), sa charge émotionnelle et sa durée, a nécessité deux ans de préparation et la construction d'une salle d'audience spéciale au sein du palais de justice de la capitale. Des associations de victimes, comme "Life for Paris", mais aussi "13onze15 Fraternité-Vérité" font partie des parties civiles présentes à ce procès.
Tenir un procès de cette ampleur jusqu'à son terme - prévu le 25 mai 2022 - constitue un défi inédit pour l'institution judiciaire, particulièrement en temps de pandémie et de menace terroriste toujours élevée.
Seule une partie - environ 300 - des proches de victimes et rescapés des attaques témoignera, entre fin septembre et fin octobre.
"S'il est essentiel que tous les acteurs de ce procès puissent s'exprimer, les victimes ayant besoin que leur douleur soit entendue, il ne faut pas perdre de vue que c'est avant tout le procès des accusés, qui devront être jugés à la hauteur de leur implication respective et au regard de leur parcours et personnalité propres", déclarait une avocate de la défense, Léa Dordilly.
Quatre années d'investigations ont permis de reconstituer une grande partie de la logistique des attentats, du parcours à travers l'Europe des membres des commandos, revenus de Syrie par la route des migrants, à leurs planques louées en Belgique et près de Paris.
L'enquête a mis au jour une cellule djihadiste bien plus importante derrière ces attaques, celle qui a également frappé l'aéroport et le métro de Bruxelles le 22 mars 2016, faisant 32 morts.
En l'absence du donneur d'ordres, le vétéran du djihad Oussama Atar, et d'autres hauts gradés de l'EI dont les frères Fabien et Jean-Michel Clain, présumés morts et jugés par défaut, tous les regards seront tournés vers Salah Abdeslam et Mohamed Abrini, "l'homme au chapeau" des attentats de Bruxelles.
La cour, qui ne les interrogera pas avant 2022, arrivera-t-elle à lever les dernières zones d'ombre, à commencer par le rôle exact joué par Salah Abdeslam, 31 ans ?
Ce dernier est resté mutique pendant l'instruction et les parties civiles se préparent déjà à un mur de silence.
Salah Abdeslam est l'unique survivant des commandos des attentats du 13 novembre 2015 en France. C'est vers lui que tous les regards se tourneront au procès des attentats qui s'ouvre ce 8 septembre à Paris. Abdeslam est un ancien petit délinquant et gros fêtard devenu djihadiste sur le tard.
Dans la soirée du 13 novembre, il dépose trois "kamikazes" au Stade de France. Avant cela, il avait fait des allers-retours en Europe pour aller chercher les commandos de jihadistes, acheté du matériel pour les explosifs, loué des planques et les voitures du "convoi de la mort" - son expression - qui prendra la route pour Paris.
Sa mission exacte reste une énigme. Il n'en a parlé qu'une fois, juste après son arrestation, à une magisgtrate belge, avouant : "Je voulais me faire exploser au Stade de France", "j'ai fait marche arrière". Depuis cinq ans, il oppose aux juges français un silence obstiné.
(Re)voir Vidéo - procès de Salah Abdeslam : le silence et la défianceLes enquêteurs estiment plutôt qu'il n'a pas réussi. En effet, les expertises ont montré que sa ceinture explosive était défectueuse. Dans une lettre exhumée pendant l'enquête qui lui est attribuée, il écrira: "j'aurais voulu être parmi les martyrs (...) J'aimerais juste pour l'avenir être mieux équipé", assurant être prêt à "finir le travail".
Pour les juges d'instruction, Salah Abdeslam a pris le métro pour y commettre un attentat mais sa ceinture explosive, défectueuse, n'a pas fonctionné.
Après la soirée sanglante du 13 novembre, Abdeslam fuit en Belgique, dans la commune de Molenbeek, à Bruxelles, où il sera arrêté quelques mois plus tard.
L'apparition d'Abaaoud, sur les caméras de vidéosurveillance d'une station de métro de l'est parisien, baskets orange aux pieds et accompagné d'un complice, après avoir mitraillé les terrasses, estomaque les enquêteurs.
La "neutralisation" de cet homme - surnommé "Abou Omar" en Syrie, où il avait rejoint les rangs de l'EI début 2013 - était pourtant "une priorité urgente" de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) depuis septembre 2015. Il s'était fait connaître en paradant sur une vidéo où il tractait des cadavres de "mécréants" en Syrie.
Alors que les services de renseignement le croyaient en Syrie, il regagne l'Europe en se mêlant au flux des réfugiés et arrive en Belgique le 6 août 2015. Qu'a-t-il fait jusqu'au 12 novembre, lorsqu'il prend place dans une des trois voitures des commandos qui quitte Charleroi (Belgique) pour un appartement à Bobigny ?
Voisin d'Abaaoud à Molenbeek, Mohamed Abrini a également basculé de la délinquance à l’islamisme radical, en 2014. Il lui est reproché d'avoir accompagné en région parisienne les commandos djihadistes, véhiculant notamment son ami Salah Abdeslam. Cet homme de 36 ans est aussi accusé d'avoir participé au financement de l'opération en récupérant de l'argent en juillet 2015 à Birmingham (Angleterre), après un séjour en Syrie.
Présenté comme l'un des logisticiens du 13 novembre, qui a laissé son ADN dans plusieurs planques, il a simplement concédé avoir récupéré la somme de 3.000 livres (3.500 euros) à Birmingham, d’après une audition de fin avril 2016. Il dit avoir agi sur instruction d'Abdelhamid Abaaoud, le coordinateur présumé.
Il continue de jouer un rôle actif dans une cellule franco-belge, après le 13 novembre, notamment lors des attentats du 22 mars 2016, à Bruxelles (32 morts), revendiqués eux aussi par le groupe Etat islamique (EI). Ce matin-là, il accompagne les "kamikazes" à l'aéroport de Zaventem. L'image de "l'homme au chapeau" poussant un chariot à bagages chargé d'explosifs a fait le tour du monde. Mais, il renonce in extremis à passer à l'action et s'enfuit à pied.