Attentats du 13 novembre 2015 : les enjeux du procès

Six ans après les attentats terroristes du 13 novembre 2015, la justice française replonge mercredi 8 septembre 2021 et pendant près de neuf mois dans l'horreur d'un carnage à Paris et en région parisienne qui fit 130 morts et plus de 350 blessés.
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bataclan commémoration
Une plaque commémorative et des fleurs devant l'entrée du Bataclan, lors de la cérémonie marquant le troisième anniversaire, en 2018, des attentats du 13 novembre à Paris.
(Benoit Tessier/Pool via AP)
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Des "kamikazes" au Stade de France à Saint-Denis, près de Paris, des terrasses de bars et la salle de spectacle du Bataclan, mitraillées dans la capitale : la France, déjà secouée par les attentats au mois de janvier précédent contre le journal satirique Charlie Hebdo et un magasin Hyper Cacher, a connu le soir du 13 novembre 2015, ses plus sanglantes attaques depuis la Seconde Guerre mondiale.

Sous sécurité maximale, la cour d'assises spéciale de Paris, compétente pour statuer sur les crimes commis en matière de terrorisme, va juger 20 accusés, dont Salah Abdeslam, seul survivant des commandos téléguidés par le groupe Etat islamique (EI).

Un procès hors norme, un défi inédit

Ce procès, hors norme par le nombre de parties civiles (près de 1.800), sa charge émotionnelle et sa durée, a nécessité deux ans de préparation et la construction d'une salle d'audience spéciale au sein du palais de justice de la capitale. Des associations de victimes, comme  "Life for Paris", mais aussi "13onze15 Fraternité-Vérité" font partie des parties civiles présentes à ce procès.

S'il est essentiel que tous les acteurs de ce procès puissent s'exprimer, les victimes ayant besoin que leur douleur soit entendue, il ne faut pas perdre de vue que c'est avant tout le procès des accusés, qui devront être jugés à la hauteur de leur implication respective.
Léa Dordilly, une des avocates de la défense

Tenir un procès de cette ampleur jusqu'à son terme - prévu le 25 mai 2022 - constitue un défi inédit pour l'institution judiciaire, particulièrement en temps de pandémie et de menace terroriste toujours élevée.

Seule une partie - environ 300 - des proches de victimes et rescapés des attaques témoignera, entre fin septembre et fin octobre. 

"S'il est essentiel que tous les acteurs de ce procès puissent s'exprimer, les victimes ayant besoin que leur douleur soit entendue, il ne faut pas perdre de vue que c'est avant tout le procès des accusés, qui devront être jugés à la hauteur de leur implication respective et au regard de leur parcours et personnalité propres", déclarait une avocate de la défense, Léa Dordilly.

(Re)voir Attentats du 13 novembre : comment vivre avec le syndrome de stress post-traumatique ?
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Quatre années d'investigations ont permis de reconstituer une grande partie de la logistique des attentats, du parcours à travers l'Europe des membres des commandos, revenus de Syrie par la route des migrants, à leurs planques louées en Belgique et près de Paris.

L'enquête a mis au jour une cellule djihadiste bien plus importante derrière ces attaques, celle qui a également frappé l'aéroport et le métro de Bruxelles le 22 mars 2016, faisant 32 morts. 

En l'absence du donneur d'ordres, le vétéran du djihad Oussama Atar, et d'autres hauts gradés de l'EI dont les frères Fabien et Jean-Michel Clain, présumés morts et jugés par défaut, tous les regards seront tournés vers Salah Abdeslam et Mohamed Abrini, "l'homme au chapeau" des attentats de Bruxelles. 

La cour, qui ne les interrogera pas avant 2022, arrivera-t-elle à lever les dernières zones d'ombre, à commencer par le rôle exact joué par Salah Abdeslam, 31 ans ? 

Ce dernier est resté mutique pendant l'instruction et les parties civiles se préparent déjà à un mur de silence. 

Quel rôle a joué Salah Adbeslam, l'unique survivant des commandos terroristes ?  

Salah Abdeslam est l'unique survivant des commandos des attentats du 13 novembre 2015 en France. C'est vers lui que tous les regards se tourneront au procès des attentats qui s'ouvre ce 8 septembre à Paris. Abdeslam est un ancien petit délinquant et gros fêtard devenu djihadiste sur le tard.

Dans la soirée du 13 novembre, il dépose trois "kamikazes" au Stade de France. Avant cela, il avait fait des allers-retours en Europe pour aller chercher les commandos de jihadistes, acheté du matériel pour les explosifs, loué des planques et les voitures du "convoi de la mort" - son expression - qui prendra la route pour Paris. 

Sa mission exacte reste une énigme. Il n'en a parlé qu'une fois, juste après son arrestation, à une magisgtrate belge, avouant : "Je voulais me faire exploser au Stade de France", "j'ai fait marche arrière". Depuis cinq ans, il oppose aux juges français un silence obstiné.

(Re)voir Vidéo - procès de Salah Abdeslam : le silence et la défiance
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Récit : Pascale Veysset, montage : Audrey Demart

Les enquêteurs estiment plutôt qu'il n'a pas réussi. En effet, les expertises ont montré que sa ceinture explosive était défectueuse. Dans une lettre exhumée pendant l'enquête qui lui est attribuée, il écrira: "j'aurais voulu être parmi les martyrs (...) J'aimerais juste pour l'avenir être mieux équipé", assurant être prêt à "finir le travail".

Pour les juges d'instruction, Salah Abdeslam a pris le métro pour y commettre un attentat mais sa ceinture explosive, défectueuse, n'a pas fonctionné.

Après la soirée sanglante du 13 novembre, Abdeslam fuit en Belgique, dans la commune de Molenbeek, à Bruxelles, où il sera arrêté quelques mois plus tard.

Le "grand mystère" de la présence d'Abdelhamid Abaaoud

L'autre "grand mystère" du dossier, selon un de ses connaisseurs, tourne autour d'Abdelhamid Abaaoud, le "chef opérationnel" des commandos tué lors de l'assaut du Raid à Saint-Denis le 18 novembre, et ami d'enfance de Salah Abdeslam. 
 

L'apparition d'Abaaoud, sur les caméras de vidéosurveillance d'une station de métro de l'est parisien, baskets orange aux pieds et accompagné d'un complice, après avoir mitraillé les terrasses, estomaque les enquêteurs. 

La "neutralisation" de cet homme - surnommé "Abou Omar" en Syrie, où il avait rejoint les rangs de l'EI début 2013 - était pourtant "une priorité urgente" de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) depuis septembre 2015. Il s'était fait connaître en paradant sur une vidéo où il tractait des cadavres de "mécréants" en Syrie. 

Alors que les services de renseignement le croyaient en Syrie, il regagne l'Europe en se mêlant au flux des réfugiés et arrive en Belgique le 6 août 2015. Qu'a-t-il fait jusqu'au 12 novembre, lorsqu'il prend place dans une des trois voitures des commandos qui quitte Charleroi (Belgique) pour un appartement à Bobigny ? 

Mohammed Abrini, "l'homme au chapeau" de Bruxelles

Voisin d'Abaaoud à Molenbeek, Mohamed Abrini a également basculé de la délinquance à l’islamisme radical, en 2014. Il lui est reproché d'avoir accompagné en région parisienne les commandos djihadistes, véhiculant notamment son ami Salah Abdeslam. Cet homme de 36 ans est aussi accusé d'avoir participé au financement de l'opération en récupérant de l'argent en juillet 2015 à Birmingham (Angleterre), après un séjour en Syrie.

Présenté comme l'un des logisticiens du 13 novembre, qui a laissé son ADN dans plusieurs planques, il a simplement concédé avoir récupéré la somme de 3.000 livres (3.500 euros) à Birmingham, d’après une audition de fin avril 2016. Il dit avoir agi sur instruction d'Abdelhamid Abaaoud, le coordinateur présumé.

Il continue de jouer un rôle actif dans une cellule franco-belge, après le 13 novembre, notamment lors des attentats du 22 mars 2016, à Bruxelles (32 morts), revendiqués eux aussi par le groupe Etat islamique (EI). Ce matin-là, il accompagne les "kamikazes" à l'aéroport de Zaventem. L'image de "l'homme au chapeau" poussant un chariot à bagages chargé d'explosifs a fait le tour du monde. Mais, il renonce in extremis à passer à l'action et s'enfuit à pied.
 

11 suspects dans le box des accusés, six absents

Six des accusés seront absents lors de ce procès, et seront donc jugés par défaut. Cinq d'entre eux sont présumés morts : le donneur d'ordres et vétéran du djihad Oussama Atar, Ahmad Alkhald, les deux frères Fabien et Jean-Michel Clain, Ahmed Dahmani et Obeida Aref Dibo.

Les autres accusés dans le box seront : 
 
  • Hamza Attou : il avait accompagné Mohammed Amri pour aller chercher Salah Abdeslam de Paris. 
  • Yassine Atar, soupçonné d'avoir détenu une clé de la planque bruxelloise où s'est réfugié Salah Abdeslam après les attentats.
  • Sofien Ayari, interpellé à Bruxelles en même temps que Salah Abdeslam en mars 2016 (son ADN a été retrouvé dans plusieurs planques ayant servi à la préparation des attentats du 13 Novembre).
  • Osama Krayem, de nationalité suédoise, compagnon de cavale de Salah Abdeslam à Bruxelles après les attentats du 13 Novembre.
  • Mohamed Bakkali, considéré de son côté comme un des logisticiens du commando, accusé d'avoir loué des voitures en vue des attentats. Il est détenu en France depuis 2018.
  • Abdellah Chouaa, soupçonné d'avoir apporté un soutien logistique à la cellule ayant préparé les attentats.
  • Ali El Haddad Asufi était en contact régulier avec les membres de la cellule jihadiste franco-belge. Il est accusé d'avoir participé à la fourniture d'armes. 
  • Adel Haddadi, 34 ans, Algérien, et Muhammad Usman, 28 ans, Pakistanais, ont été interpellés en décembre 2015 dans un foyer pour migrants en Autriche. Ils ont quitté la Syrie et rejoint l'Europe par la route des migrants avec deux kamikazes du Stade de France. Ils sont soupçonnés d'avoir voulu commettre un attentat en France. 
  • Farid Kharkhach est accusé d'avoir fourni des faux papiers à la cellule.
  • Proche du frère de Salah Abdeslam, Ali Oulkadi est soupçonné de l'avoir aidé à se cacher à son arrivée à Bruxelles le 14 novembre, mais a toujours nié avoir été au courant du projet terroriste de la cellule.