Fil d'Ariane
Le rapport publié cette semaine par le Centre canadien sur les dépendances et l’usage de substances a été commandé par Santé Canada et il s’appuie sur plus de 150 études scientifiques récentes sur les méfaits de l’alcool sur la santé. Ainsi, selon cet organisme, si on boit moins de deux verres d’alcool par semaine – on parle d’un verre de bière 341 ml, un verre de vin à 142 ml et un verre de spiritueux à 42 ml -, les risques sur notre santé sont faibles, ils sont modérés si on boit entre trois de six verres par semaine mais ils deviennent élevés avec sept verres et plus. Les risques pour la santé, ce sont le développement de cancers, de maladies cardio-vasculaires, AVC et autres maladies graves qui peuvent être mortelles.
L'Organisation mondiale de la santé a publié au début janvier une recherche dans laquelle elle indique clairement qu'il n'y a aucune consommation d'alcool qui soit sécuritaire pour la santé.
Catherine Paradis, directrice associée intérimaire de la recherche du Centre canadien sur les dépendances et l’usage de substances.
Les dernières recommandations de cet organisme, émises en novembre 2011, étaient beaucoup plus généreuses : on parlait alors de quinze verres maximum par semaine pour les hommes et de dix pour les femmes. Une sacrée différence, qui s’explique, lit-on dans le rapport, par l’évolution de la science : « La science évolue et les recommandations sur la consommation d'alcool doivent changer. La recherche nous apprend qu'il n'y a pas de quantités ni de sortes d'alcool bonnes pour la santé ». La directrice associée intérimaire de la recherche de l’organisme, Catherine Paradis, se réfère à l’OMS : « L'Organisation mondiale de la santé a publié au début janvier une recherche dans laquelle elle indique clairement qu'il n'y a aucune consommation d'alcool qui soit sécuritaire pour la santé ».
Bref, si le slogan disait jusqu’ici qu’en matière d’alcool, la modération a bien meilleur goût, le nouveau slogan prône maintenant carrément l’abstinence ou presque : l’alcool, c’est mauvais pour la santé, et il faut éviter d’en boire, point final. Le Centre des dépendances suggère la mise en place d’un système d’étiquetage sur les bouteilles d’alcool pour indiquer au consommateur à quoi ressemble un verre standard du dit alcool.
You have a right to know. pic.twitter.com/mpka3hLsHy
— Alexander Caudarella (@acaudarella) January 18, 2023
Si d’un côté on applaudit à deux mains ces nouvelles recommandations, de l’autre, on se demande si elles ne sont pas un peu extrêmes, voire abusives. L’Association pour la santé publique du Québec, par exemple, se range dans le premier camp, faisant valoir qu’elles sont similaires à ce qui est conseillé dans d’autres pays comme l’Australie et le Royaume-Uni : « Si la science nous dit qu'on doit aller là, c'est ce qu'il faut faire. Comme consommateurs, on doit être au courant de ces risques et prendre des décisions éclairées » a déclaré Marianne Dessureault, avocate et porte-parole en matière d’alcool de cette Association, en entrevue à la radio de Radio-Canada.
Réal Morin, médecin spécialiste en santé publique et en médecine préventive à l’Institut national de la Santé publique du Québec abonde dans ce sens : « Le premier message devrait être le suivant : on ne boit pas pour sa santé et il n’y a aucune consommation qui est bonne pour sa santé ».
L’organisme québécois Educ’alcool, responsable des campagnes de publicité sur la consommation d’alcool justement, dit qu’il va actualiser ses recommandations lui aussi, qui sont pour l’instant de 2 verres par jour jusqu’à un maximum de 10 verres par semaine pour les femmes, 3 verres par jour et maximum de 15 par semaine pour les hommes.
Un cardiologue québécois introduit toutefois une nuance importante : Martin Juneau, qui est aussi directeur de la prévention à l’Institut de
cardiologie de Montréal, a rappelé, en entrevue sur le Réseau de l’Information de Radio-Canada que les études sur la consommation modérée de vin pour protéger des maladies cardiovasculaires sont toujours pertinentes : « En maladies cardiovasculaires, en particulier, nous, on persiste à voir la littérature comme démontrant bien que l’alcool en petite quantité protège contre l’infarctus du myocarde, donc de la crise cardiaque, qui est une des causes les plus importantes de mortalité prématurée ». Le cardiologue croit que « cela va un peu loin de dire un ou deux verres par semaine… je pense qu’il y a un biais, un peu d’extrême, qui vient de l’ouest canadien, de l’OMS, de ces chercheurs qui voudraient qu’on ne consomme pas d’alcool du tout ». Martin Juneau fait remarquer que chez nos voisins américains, le National Institute for Alcoolism continue de recommander un verre d’alcool maximum par jour pour les femmes et deux pour les hommes.
Mais le cardiologue souligne qu’au Québec, on banalise la consommation d’alcool et qu’en général, on boit trop, il le dit d’ailleurs souvent à ses patients, il y a une différence entre prendre un verre par jour et boire une bouteille tous les soirs avec notre compagnon. Le spécialiste croit qu’il faut individualiser les risques et que c’est à chacun de décider de sa consommation en fonction de sa condition médicale, du passif familial médical. Une femme, par exemple, qui a des cas de cancers du sein dans sa famille, ou un homme avec un historique de cancers digestifs, devraient en effet limiter leur consommation d’alcool au maximum. « Il faut individualiser le risque » conclut le cardiologue.
Le Centre canadien sur les dépendances et l’usage de substances va maintenant soumettre ses recommandations à Santé Canada, qui promet de les examiner attentivement. Le ministère canadien remercie l’organisme pour son travail de mise à jour des recherches scientifiques sur les risques associés à la consommation d’alcool. Le rapport révèle que 18 000 personnes sont mortes à cause de l’alcool en 2017 au Canada et que la consommation d’alcool coûte plus de 16 milliards et demi de dollars à la société, bien plus que celles du tabac, des opioïdes et du cannabis.
On dit souvent que l’alcool est une drogue en vente libre et qu’elle fait des ravages dans nos sociétés, ce qui ne fait pas l’ombre d’un doute. Mais faut-il pour autant tomber dans l’extrême en prônant cette abstinence ? Peut-on encore continuer à savourer un bon verre de vin de temps en temps sans pour autant culpabiliser et s’inquiéter pour sa santé ? Comme toujours en matière de recommandations sur des questions qui touchent à notre santé, c’est effectivement à chacun de faire ses choix, à décider de ce qui est le meilleur pour lui, à faire un calcul coûts-bénéfices en fonction de son passif et son historique médical et à se prendre en charge en toute connaissance de cause…