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Au Canada, Yoshua Bengio, l'apôtre de l'intelligence artificielle "prix Nobel" de l'informatique

Il est l’un des plus grands chercheurs en intelligence artificielle de la planète et vient de se faire décerner le prix Turing, le Nobel informatique. Yoshua Bengio a fait de Montréal l’une des capitales mondiales de l'intelligence artificielle. Son laboratoire Mila est en train de transformer un quartier de la métropole en petite Silicon Valley. Rencontre.

Le regard est doux, le sourire timide, et les traits sont tirés par un emploi du temps épuisant. Yoshua Bengio est un homme très demandé sur la planète. Il faut attendre des semaines avant de pouvoir le rencontrer pour une entrevue, minutée.

L’Institut québécois de l’intelligence artificielle, MILA, fondé en 1993, n’aurait probablement pas vu le jour sans Yoshua Bengio. C’est lui qui a décidé d’unir les forces des professeurs des universités de Montréal, de McGill, de Polytechnique et des HEC pour créer ce laboratoire et offrir aux étudiants de second cycle (maîtrise, doctorat et postdoctorat) un endroit pour poursuivre leurs études en intelligence artificielle à Montréal.

Yoshua est un universitaire dans l’âme. Des offres du privé et alléchantes, il en a reçu plusieurs, mais il les a toutes refusées pour rester dans le monde académique et fonder ce laboratoire situé dans un grand édifice du quartier Mile-End de Montréal. Il en est le directeur scientifique et le porte-parole.

« Quand on fait de la recherche, ce qui nous motive, c’est quelque chose de très intangible,  explique Yoshua Bengio, ce n’est pas un salaire, une réputation ou une reconnaissance, c’est quelque chose d'assez intérieur qui fait qu'on a envie d'être bien avec notre travail, on a envie que ce que l'on fait soit utilisé pour le bien dans la société. Je pourrais gagner beaucoup plus d'argent ailleurs, c'est scandaleux même ce qu'on peut offrir, mais je me sens mieux dans une université, j'ai l'impression de pouvoir apporter à un grand nombre ».

"C'est important qu'on ait ces discussions pour aller vers le meilleur et éviter le pire"

Yoshua Bengio, chercheur en intelligence artificielle

Mettre la science au service de la société, assurer le développement de ces nouvelles technologies au profit de l’humanité, voilà ce qui motive profondément Yoshua Bengio.

« Il y a un esprit, des valeurs, un intérêt à considérer la science non pas de manière abstraite, mais dans son impact sur la société. On prend nos responsabilités sur les développements qui sont en train de se faire, on veut faire partie du dialogue social autour de comment ces technologies très puissantes vont avoir un impact négatif ou positif dans la société et c'est important qu'on ait ces discussions collectives pour choisir le bon chemin, pour aller vers le meilleur et éviter le pire » précise le chercheur.  

Une Intelligence Artificielle éthique


Le laboratoire MILA a d’ailleurs une vocation éthique clairement assumée, avec le secteur « Intelligence Artificielle pour l’humanité ». C’est ce qui en fait un institut unique en son genre dans le monde, c’est aussi ce qui attire des étudiants de partout sur la planète à venir y travailler.

Quand on se promène dans les couloirs du labo, on se sent un peu comme à l’ONU : une soixantaine de nationalités y sont représentées. Mila exerce une forte attractivité auprès des étudiants étrangers, mais les places y sont limitées : sur mille demandes d’admissions envoyées annuellement, seulement entre 30 et 40 sont acceptées.
 

Mila offre aussi à ces étudiants des perspectives d’avenir intéressantes, car le laboratoire est associé avec des entreprises et des industries du secteur de l’intelligence artificielle.

C'est intéressant de pouvoir collaborer avec des laboratoires comme Facebook ou Samsung

Simon Lacoste-Julien, professeur de l’Université de Montréal

« Mila c'est un lieu de synergie à la fois à cause du maillage université-entreprises, mais aussi du maillage entre universités. On met les gens dans un même lieu, avec des starts-up, des laboratoires industriels pour créer une communauté où l'information circule et où l’on crée du talent » spécifie Yoshua Bengio.

La Silicon Valley de l'I.A.


La notion de collaboration et de partenariat fait partie de l’ADN de ce laboratoire qui a développé une expertise précise dans le domaine de l’apprentissage profond, une branche de l’intelligence artificielle. « Mila a la plus grande concentration de chercheurs universitaires dans ce domaine aujourd'hui et ça a attiré les grandes industries, les Google, Faceboook, Microsoft de ce monde sont venus s'installer autour de nous et l'industrie canadienne se développe également dans ce quartier », ajoute le chercheur.

Ce quartier montréalais prend donc des allures de « Silicon Valley » de l’intelligence artificielle.

Simon Lacoste-Julien, professeur de l’Université de Montréal, a cofondé Mila avec Yoshua Bengio : « Le fait d'être associé à Mila nous permet d'attirer les meilleurs étudiants au monde, ça donne aussi beaucoup de possibilités de collaborations avec d'autres professeurs qui travaillent sur des sujets connexes et c'est intéressant de pouvoir collaborer avec des laboratoires de recherche privés comme Facebook ou Samsung qui se sont installés ici », explique-t-il.

Montréal est comme un sanctuaire

Simon Lacoste-Julien, professeur de l’Université de Montréal

Le partage, la collaboration entre les universités et entre les entreprises font partie des valeurs intrinsèques de Mila ajoute l’enseignant : « C’est assez rare dans ce milieu et Montréal est comme un sanctuaire à ce sujet. Notre but ultime, c’est de faire avancer la science ».

Le succès de Mila est indéniable. Ses fondateurs ne veulent pas, par contre, que le laboratoire grossisse davantage : pas question d’accueillir en ses murs plusieurs milliers d’étudiants, l’idée est de rester une grande famille en préservant ces valeurs de partage, d’entraide, de transparence et d’éthique qui font partie de l’ADN du labo.

Accueillir plus de femmes fait aussi partie des objectifs de développement de Mila, car pour l’instant, elles sont à peine 15% dans les murs du labo.

Mila a aussi un défi de financement à long terme : le labo dispose de plus de 120 millions de dollars pour les cinq prochaines années, dont 80% proviennent de subventions du gouvernement québécois et canadien. Mais il faudra assurer ce financement par la suite.

Ceci dit, l’intelligence artificielle est un secteur d’avenir : entre 2016 et 2018, plus de 1 milliard de dollars ont été investis dans ce domaine dans la grande région de Montréal. Et celui qui représente la métropole québécoise, celui qui incarne ce secteur sur la scène internationale, c’est Yoshua Bengio.