Au Maroc comme en Tunisie, les partis islamistes n'ont plus la cote

Lors des élections législatives de mercredi 8 septembre, le Parti de la Justice et du Développement (PJD), qui était au pouvoir depuis dix ans a subi une sévère déroute : alors qu’il comptait 125 députés dans l’assemblée sortante, il n’en comptera plus que 12. Comment expliquer cette chute libre ? Cette situation est-elle similaire à celle de la Tunisie, un autre pays du Maghreb où les islamistes ont longtemps été au pouvoir ? Éléments de réponses.

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Parti de la justice et du développement
Le Parti de la justice et du développement (le 3e logo sur la photo), jusqu'ici au pouvoir au Maroc, vient de connaître un important revers lors des élections législatives du 8 septembre. 
Abdeljalil Bounhar / AP
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De 125 députés lors des élections législatives de 2016 à 12 à celles de ce mercredi 8 septembre 2021, c’est une véritable déroute que vient de subir le Parti de la justice et du développement (PJD), un parti politique islamiste marocain. Dix ans plus tôt, il était arrivé au pouvoir en grande pompe : après les élections législatives de 2011 qui a signé leur arrivée au pouvoir, ils avaient remporté 107 siège dans la foulée du printemps arabe. Comment expliquer cette importante chute de popularité ?

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Cette décision royale qui divisera le parti

2017 consitute un tournant pour les islamistes du PJD. Cette année-là, le roi  Mohammed VI décide de nommer Saad Dine El Otmani, jusqu’ici numéro 2 du parti, premier ministre à la place d’Abdelilah Benkiram. Ce dernier “était une personnalité très populaire et populiste, qui faisait d’une certaine façon concurrence au roi”, explique Anca Muntenanu, chercheuse spécialiste des partis islamistes Ennahdha (Tunisie) et PDJ (Maroc). “Beaucoup de partisans de Benkiram n’étaient pas d’accord avec la décision royale”, ce qui fait que le parti a été scindé en deux.

Peut-être que c'était la date de péremption des islamistes.

Anca Munteanu, chercheuse spécialiste du PJD et d'Ennahdha

Saad Dine El Otmani, alors devenu premier ministre, est une personnalité différente de son prédécesseur : “il est assez silencieux, moins populaire parmi les Marocains, et cela a également affaibli le parti”, précise la chercheuse. Elle considère également que la crise sanitaire a contribué à la baisse de popularité du PJD.

Mais ce n’est pas la première fois qu’un parti politique au pouvoir connait une baisse de popularité importante. “C’est assez fréquent au Maroc de voir des partis politiques intégrés au pouvoir le quitter de manière totalement divisée et détériorée”, explique Anca Munteanu. “Peut-être que c’était la date de péremption des islamistes.

PJD et Ennahdha, des partis frères ? 

Officiellement, le PJD est un parti autonome, qui a promis une rupture avec les autres partis islamistes des pays arabes au moment où il a prêté allégeance à la monarchie. Mais il entretient des relations amicales avec d’autres partis islamistes, notamment Ennahdha en Tunisie. La trajectoire de ce parti islamiste a connu un déclin au fil des élections législatives : de 89 députés sur 2017 en 2011, il n'ont gagné que 69 sièges en 2014, puis 54 en 2019. 

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PJD comme Ennahdha ont des idéologies similaires : contre l'égalité entre les femmes et les hommes dans l’héritage, favorables à la polygamie, contre l’avortement… “On voit très bien que ce sont des partis qui restent conservateurs et qui adhèrent à la loi islamique, ce qui est pertinent avec leur référentiel”, conclut Anca Munteanu.

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Et comme le PJD au Maroc, Ennahdha a perdu en popularité à cause de divisions. “En Tunisie, la crise politique liée à la décision du président Kaïs Saied de geler l’activité du parlement a beaucoup influencé Ennahdha, qui a perdu en popularité”, détaille la chercheuse.  Par ailleurs, “beaucoup de cadres ont quitté le parti depuis 2011”, ce qui a contribué à créer des divisions et Anca Munteanu estime que “cette division interne avoir beaucoup d'impact sur le discours politique et la popularité du parti.

Des trajectoires politiques parallè

Pour Anca Munteanu, le déclin politique de ces deux partis “est quelque chose d'assez classique pour un parti qui intègre le pouvoir à un moment donné.” Cela faisait dix ans qu’ils étaient au pouvoir dans leurs pays respectifs, “c’était un résultat ou un effet du printemps arabe”, ce qui fait qu’ils suscitaient énormément d’espoir au moment de leur élection. Depuis, ils se sont intégrés au paysage politique, “ils sont devenus des partis du système ce qui a fait que petit à petit, ils sont devenus moins populaires."

C’est peut-être le moment pour eux de connaître une expérience dans l’opposition.

Anca Munteanu, spécialiste du PJD et d'Ennahdha

Il faut aussi se rendre compte que ces partis ont gagné les élections en 2011 parce qu’ils étaient unis et nombreux”, poursuit-elle. Or, ils se retrouvent actuellement divisés et affaiblis. Par exemple en Tunisie, le parti islamiste Al Karama a récupéré le discours d’Ennahdha. Au Maroc également, les soutiens historiques du PJD "ont potentiellement arrêté de voter pour eux et s’orientent vers d’autres forces politiques."

Comment sont les deux partis actuellement ? “ils sont divisés en tant que membres et discours”, résume Anca Munteanu, avant de conclure : “Ces partis ont fait leur expérience au pouvoir, c’est peut-être le moment pour eux de connaître une expérience dans l’opposition.”