Fil d'Ariane
Solisha, une jeune influenceuse péruvienne de 24 ans, salue d’abord ses 358'000 abonnés en quechua, puis en espagnol. Sur TikTok, elle documente par exemple, et dans le moindre détail, la récolte de pommes de terre avec sa famille.
Son aventure commence en 2019. L’étudiante en anthropologie lance d'abord sa page Facebook. Elle raconte: "Je prenais des cours de quechua, c’est une langue orale, donc je ne savais pas bien l’écrire. Comme devoirs, je postais des photos avec la légende en quechua et sa traduction. Et les gens ont commencé à commenter, à me demander de leur apprendre à parler le quechua."
Mon objectif, c’est de faire prendre conscience de l’importance de nos vêtements, notre langue, notre nourriture, notre médecine, afin de nous sentir fiers
Solisha, jeune influenceuse péruvienne et étudiante en anthropologie
Trois ans plus tard, les vidéos de Solisha à une fête de village, avec sa grand-mère en train de tisser ou encore avec d'autres communautés, font des dizaines de milliers de vues.
"Mon objectif, c’est de faire prendre conscience de l’importance de nos vêtements, notre langue, notre nourriture, notre médecine, afin de nous sentir fiers, raconte l'influenceuse. Je vois d’autres jeunes en ligne faire comme moi et sans honte ni peur montrer leur vie. Je rêvais depuis petite de voir enfin des gens comme nous représentés sur un écran. Ce n’est qu'à l’université que j’ai appris la valeur de notre culture."
La honte a longtemps accompagné les Péruviennes et Péruviens d’origine quechua. Victimes de discriminations, considérés comme arriérés, ils représentent aussi les trois quarts des victimes du conflit interne des années 80 et 90.
Aujourd'hui, près de 15% de la population parle quechua, contre 60% au début du vingtième siècle. L’exode rural en est la cause principale.
Et les préjugés perdurent quand Solisha se promène en ville avec sa jupe traditionnelle et son chapeau.
"Quand je porte la pollera, la jupe traditionnelle, en ville, on me traite différemment. On m’appelle 'señoracha', 'ma petite dame', c’est péjoratif. Quand je suis en pantalon, j’ai droit à du 'mademoiselle'. L’autre fois, j’étais en jupe, j’ai sorti mon portable. Une dame a dit: 'Elle a un portable elle?', comme si je ne pouvais pas en avoir un."
Si Solisha a appris le quechua avec ses parents, les jeunes des villes l’apprennent souvent avec leurs grands-parents.
Quand j’ai découvert la musique de Nina Simone, ça m’a inspirée pour faire de la musique qui reflète notre identité andine, et pour montrer aussi qu'il y a des solutions pour aider les communautés quechua à acquérir plus de droits
Solisha, jeune influenceuse péruvienne et étudiante en anthropologie
Les contenus en quechua sont de plus en plus nombreux, notamment en ligne, avec par exemple une professeure qui donne des cours de quechua sur TikTok. On retrouve aussi des doublages de films, des traductions de bandes dessinées, des romans, un programme de la télévision nationale lancé en 2016.
La langue s’invite aussi dans la musique. Renata Flores, 21 ans, finaliste d’un télé-crochet au Pérou, traduit et chante des tubes internationaux. Production léchée, costumes mêlant modernité et tradition, rythmes de trap. Dans ses titres, Renata Flores s’adresse au grand public en quechua.
"Je pense que la musique a beaucoup de pouvoir, explique la chanteuse. Quand j’ai découvert la musique de Nina Simone, ça m’a inspirée pour faire de la musique qui reflète notre identité andine, et pour montrer aussi qu'il y a des solutions pour aider les communautés quechua à acquérir plus de droits."
Cependant, certains spécialistes critiquent son niveau de langue jugé trop faible. Le dernier clip de Renata Flores a tout de même recueilli neuf millions de vues. Il parle d’identités plurielles au Pérou. Sous-titré en 21 langues autochtones, il a été financé par la marque de soda nationale, Inka Kola.
Mais pour Solisha, la tiktokeuse, il faut garder un oeil critique sur les contenus en quechua. "Je vois beaucoup de danses quechua sur TikTok. De la danse, de la danse… c’est bien, mais ça reste de la distraction. Il faut plus de contenus de valeur. Nous avons besoin de plus d’éducation aussi. Si je peux faire ces vidéos, c’est bien parce que j’ai fait des études. On doit donc être mieux éduqués pour que les réseaux sociaux nous soient vraiment profitables", avance la jeune femme.
Ces initiatives en ligne pourraient bien inspirer les locuteurs des 42 autres langues autochtones du Pérou. Plus de la moitié sont menacées d’extinctions.
Voir aussi : Au Pérou, les chamans font leurs prédictions pour 2023