Fil d'Ariane
Le 4 juillet prochain, le Royaume-Uni connaîtra la composition de son Parlement et son nouveau Premier ministre. Mais contrairement à la France, également en campagne pour les élections législatives, les sondages donnent le parti travailliste de centre gauche et son chef de file Keir Starmer largement favoris de ce scrutin. Explications
Le Premier ministre britannique Rishi Sunak et le chef de l'opposition travailliste Keir Starmer, à gauche, participent à un débat sur la BBC, à Nottingham, en Angleterre, le 26 juin 2024. Les deux hommes chefs de file des partis conservateur et travailliste s'affronteront lors des élections législatives anticipées prévues le 4 juillet 2024. Elles prévoient la chute du parti conservateur au profit du Labour.
Dissolution du Parlement le 30 mai dernier par le Premier ministre conservateur Rishi Sunak, élections législatives anticipées prévues au 4 juillet 2024, impopularité du parti au pouvoir... À première vue, la période politique de nos voisins britanniques ressemble étrangement à celle que traverse la France, avec son Assemblée nationale dissoute et ses élections législatives précipitées, sur décision du président de la République Emmanuel Macron.
(Re)voir : Royaume-Uni : Rishi Sunak convoque des élections anticipées
À un détail près : la vague qui pourrait bel et bien submerger l'hexagone lors des prochaines élections législatives les 30 juin et 7 juillet est d’extrême-droite, avec le parti du Rassemblement national donné en tête des intentions de vote.
Au Royaume-Uni, c'est le Labour Party, le parti travailliste, qui est crédité de 40% d'intentions de vote. Le parti de Keir Starmer obtiendrait une majorité de sièges à la Chambre des communes.
Les Britanniques préféreraient donc la gauche pour se consoler d'un gouvernement conservateur à qui ils ont accordé leur confiance pendant près de 14 ans. Pourtant les griefs sont - presque - les mêmes ici qu’ailleurs.
Élections législatives au Royaume-Uni : quel fonctionnement ?
La carte électoral au Royaume-Uni est divisée en 650 circonscriptions. Les électeurs de chaque circonscription élisent un député. Ce dernier siège à la Chambre des communes.
Les élections législatives fonctionnent selon un mode de scrutin majoritaire uninominal à un tour. Le candidat arrivé en tête au tour unique de sa circonscription devient député. Le leader du parti qui a obtenu la majorité absolue à la Chambre des Communes (326 sièges sur 650) est nommé par le roi Premier ministre.
S’il n’y a pas de majorité, le parti arrivé en tête doit faire une alliance avec une ou plusieurs autres formations politiques et proposer un gouvernement de coalition au roi.
Ce système peut avoir pour effet d’accentuer la tendance bipartisane du paysage politique britannique.
« Pour les Français et les Britanniques, les enjeux sont très semblables. On repère le même pessimisme, les mêmes inquiétudes sur l’immigration, la même perte de confiance dans le gouvernement et la même sensation de dérive… À mon avis cela représente un problème assez fondamental dans tous les pays démocratiques occidentaux d’Europe », observe l’ancien député conservateur et Attorney général (ministre de la Justice ) dans le gouvernement Cameron, Dominic Grieve.
Les habitants du Royaume-Uni ont connu une crise de leur pouvoir d'achat, bien plus grave qu'en France. L'Inflation a atteint un record de 11% en octobre 2022. Les prix de l’énergie ont été multipliés par 3, passant de 1.600euros à 3.600 par an. Le gouvernement a refusé d'augmenter les salaires au sein des services publics. Acte rarissime, le corps médical et les infirmières se sont mis en grève. Pendant les quatorze années au pouvoir des conservateurs, le niveau de vie a baissé au Royaume-Uni et le mécontentement grandit.
(Re)voir Royaume-Uni : que révèlent ces grèves ?
Dans l’ouvrage The Conservative Effect 2010-2024. 14 Wasted Years ?, le célèbre historien politique Anthony Seldon mène une analyse dans laquelle il dresse un bilan catastrophique de ces « 14 années de perdues » :
« (…) Il est difficile de considérer les années qui ont suivi 2010 autrement que comme décevantes. En 2024, la position de la Grande-Bretagne dans le monde est moins bonne, l'union est moins forte, le pays est moins égalitaire, la population est moins bien protégée, la croissance est plus faible, les perspectives sont mauvaises, les services publics sont moins performants et largement non réformés(…). »
Des internes en médecine sur un piquet de grève devant l'hôpital St Thomas à Westminster, Londres, le lundi 13 mars 2023. Des milliers d'internes en médecine se sont mis en grève pendant trois jours. Le mouvement fait suite aux grèves des derniers mois des infirmières et du personnel ambulancier.
Cette dégradation des services et des infrastructures publiques, le journaliste Tristan de Bourbon-Parme, correspondant au Royaume-Uni et auteur de l’ouvrage Boris Johnson, un Européen contrarié, l’a observée, notamment à la campagne.
« Ces choses sont très visibles dans les ruralités et autour des grandes villes. J’étais dans la campagne hier et les gens se plaignaient d’une chose en particulier, le nombre trop faible de bus. Cela empêche de se déplacer, d’avoir un travail… »
Mais c’est vraiment à la fin de l’année 2021 que la rupture se fait entre le parti conservateur et l’électorat. Elle est déclenchée par les révélations du « Partygate ». Des cadres du gouvernement conservateur de Boris Johnson organisent des fêtes entre mai 2020 et avril 2021, en plein confinement pour cause d’épidémie de Covid-19. Les Britanniques eux-mêmes soumis à de sévères restrictions ne le lui pardonneront pas.
(Re) voir Royaume-Uni : le coup de grâce pour Boris Johnson ?
Celle qui prend sa suite, la Première ministre Lizz Truss, s’illustre ensuite avec son agressif « mini-budget », basé sur l’emprunt et la baisse d’impôts pour les plus aisés. L’annonce, trois semaines après sa prise de fonction, provoque un tollé dans les milieux financiers. Arrivée au 10 Downing Street le 5 septembre 2022, Lizz Truss finit par démissionner le 20 octobre, poussée en ce sens par le parti conservateur dont l’image de sérieux économique vient de sérieusement s’effriter.
C’est la fin du gouvernement conservateur.
Dominic Grieve, ancien député conservateur, Attorney général dans le gouvernement Cameron
Enfin, le Brexit voté par référendum en 2016 fracture le parti bleu en luttes et divisions internes.
Le référendum est promis en 2013 par le Premier ministre conservateur David Cameron, dans une période d’austérité liée à la crise financière et alors que l'aile droite du parti commence à regarder de travers l’Union européenne. Trois ans plus tard, le Premier ministre tient sa promesse, pensant pouvoir convaincre les citoyens de voter « contre » une sortie de l’Union européenne.
Mais le scénario ne se déroule pas du tout comme il l’avait prévu. Le oui l’emporte. Des politiciens modérés et brillants quittent le parti. Et depuis les efforts du Premier ministre Rishi Sunak pour lui redonner du sérieux ne suffisent pas.
(Re)lire Brexit : à la veille du référendum, ultimes efforts pour convaincre les indécis
Parmi ceux qui ont pris la porte, figure Dominic Grieve. L’ancien député et ministre de la Justice porte aujourd’hui un discours sans concession sur l’état de son ancien parti. « C’est la fin du gouvernement conservateur. Leur impopularité est telle qu’ils ne pourront pas rester au pouvoir. Ils sont en chute libre. »
Même son de cloche pour le journaliste correspondant Tristan de Bourbon-Parme.
« Les Britanniques aujourd’hui détestent les conservateurs. Il n’y a pas aujourd’hui un conservateur qui pense qu’il va gagner l’élection. J’étais cette semaine à une réunion organisée par un candidat tory. À la fin de la réunion, il s’est adressé à toutes les personnes présentes dans la salle en disant : « Je ne vais pas vous mentir, le Labour va gagner l’élection. Mais ce qu’il faut maintenant, c’est se mobiliser pour avoir une opposition forte, car le gouvernement ne pourra pas fonctionner sans. » L’heure est vraiment à sauver les meubles, maintenant je ne pense pas non plus que l’électorat permettra au Labour de faire un véritable raz-de-marée.»
C’est plus un rejet du gouvernement qu’un retour de la gauche.
Tristan de Bourbon-Parme, journaliste correspondant
Avec la tenue d’élections législatives anticipées, le Premier ministre conservateur Rishi Sunak, largué dans les sondages, tente un coup de Poker risqué. « Rishi Sunak est aussi impopulaire qu’Emmanuel Macron. C’est un pari, mais il n’avait pas trop le choix. Il avait deux options, soit organiser les élections maintenant, soit en octobre ou en novembre, ce qui aurait signifié plus d’arrivées de migrants durant l’été, une économie qui ne se serait pas améliorée… .»
Le parti conservateur est aujourd'hui crédité à 20% d'intentions de vote, 20 points derrière les travaillistes.
Le Premier ministre britannique Rishi Sunak lors d'un discours pour les élections législatives à Édimbourg, en Écosse, le lundi 24 juin 2024.
Pour autant, le revirement vers la gauche attendu de l’électorat ne serait pas dû à ce qu’a à offrir le Labour.
« C’est plus un rejet du gouvernement qu’un retour de la gauche. Les conservateurs ont été au pouvoir depuis 14 ans. Avant eux, il y avait le Labour. Mais les gens ne sont plus trop sûrs des politiques du Labour, ils ont pour beaucoup oubliés les avancées économiques et sociales qui ont été faites notamment entre 2007 et 2010. Le Labour a une image erronée d’irresponsabilité économique car lorsqu’ils ont quitté le pouvoir, la crise financière venait de frapper durement le pays. », raconte Tristan de Bourbon-Parme.
La gauche se centrise. Tout ce qu’elle propose au mieux c’est un retour sur les reculs réalisés par le gouvernement conservateur depuis 2010.
Tristan de Bourbon-Parme, journaliste correspondant
Pour l'ancien ministre de la Justice Dominic Grieve, ce que proposent d’ailleurs conservateurs et travaillistes ne diffère pas de beaucoup. « Les débats de ces élections ont été sans contenus, il y a eu des sujets politiques en périphérie, nous avons parlé de scandales… Au fond, il y a très peu de différences entre la politique des deux partis. »
(Re)voir Royaume-Uni : le parti travailliste dévoile son programme
Parallèlement à la droitisation du parti conservateur ces dernières années, le parti travailliste a lui effectué un vrai virage vers le centre.
« La gauche se centrise. Tout ce qu’elle propose au mieux c’est un retour sur les reculs réalisés par le gouvernement conservateur depuis 2010 sur les retraites, les salaires, les droits du travail, de grève. Le Labour n’est pas très ambitieux économiquement », explique le journaliste.
Et la figure de son chef de file, Keir Starmer, 61 ans, est loin de celle de son prédécesseur, Jeremy Corbyn, vétéran de l’aile gauche du Labour. Keir Starmer, diplômé de droit de l'Université d'Oxford, a certes grandi dans un milieu modeste, avec une mère infirmière et un père ouvrier dans une usine. Mais il tient une ligne plus centriste que Jeremy Corbyn, à l'époque (2015-2020) bien plus à gauche au sein du Labour. Une position qui n'apporta toutefois pas de succès électoral majeur à l'ancien chef de file du parti.
Le chef du Parti travailliste Keir Starmer en pleine campagne à Southampton, en Angleterre, le lundi 17 juin 2024.
Preuve que ce qu’était le parti travailliste n’est plus, Jeremy Corbyn a décidé cette année de se présenter non pas aux côtés du parti travailliste, mais sous l’étiquette d’indépendant dans son fief d’Islington dans le nord de Londres, où il jouit depuis 1983 d’une grande popularité.
Jeremy Corbyn l'ancienne tête de file du parti travailliste, lors d'une manifestation en soutien aux Palestiniens, Londres, 17 février 2024.
Malgré la période d’austérité au Royaume-Uni, pas de virage massif vers l’extrême-droite. L’actif parti Reform UK dirigé par le clivant Nigel Farage est crédité d’environ 16% dans les sondages. En se positionnant devant les Tories comme la solution pour faire barrage à la gauche dans ces élections, il devrait tirer son épingle du jeu, sans pour autant remporter un nombre de sièges suffisant à la Chambre des communes.
Au Royaume-Uni, l’immigration n’a jamais été présentée comme un problème.
Tristan de Bourbon Parme, journaliste correspondant
« L’extrême droite de Farage n’est pas attrayante pour les Britanniques. Il n’est vraiment pas de tradition d’élire un gouvernement d’extrême droite. On a qu’à regarder les conversations qui ont lieu en ce moment et le fait qu’il y a des membres dans le parti de Farage qui parlent de « mitrailler les immigrants », pour voir qu’immédiatement la position de Reform UK dans les sondages d’opinion descend de 3 points », décrit Dominic Grieve.
Nigel Farage, chef du parti Reform UK, est filmé alors qu'il arrive à l'un des bureaux de son parti où il passera du temps avec ses partisans à Clacton-on-Sea, Essex, Angleterre, le vendredi 21 juin 2024.
Une extrême droite qui ne séduirait pas tant que ça, grâce à la retenue de la part des principaux partis dans leurs propos ? C’est ce que pense Tristan de Bourbon-Parme. Selon lui, un discours anti-étranger et anti-immigration a bien trouvé sa place au Royaume-Uni. Pour autant il n’a pas été promu et porté par les grands partis.
(Re)voir : Royaume-Uni : législatives, Nigel Farage s'élance dans la campagne
Pour le journaliste, Reform UK appartiendrait d’ailleurs plutôt à la droite dure qu’à l’extrême droite, le parti de Nigel Farage ne parlant pas de « préférence nationale ».
« C’est là la grande différence avec la France qui commence à parler en ces termes de l’immigration dès Chirac. Au Royaume-Uni, l’immigration n’a jamais été présentée comme un problème. Aujourd’hui, Nigel Farage dit que ce qu’il souhaite c’est que le travail aille aux Britanniques. Mais il n’y aucune question de race, de couleur de peau, de religion musulmane dans son discours, comme c’est le cas dans le discours du Rassemblement National en France aujourd’hui par exemple. »
L’idéologie de l’extrême droite n’a donc pas été banalisée au point de paraître acceptable et normale aux oreilles des Britanniques.
« Les politiciens ont été beaucoup plus mesurés et ont essayé dans la mesure du possible de ne pas mettre de l’huile sur le feu. La droite britannique est honnête vis-à-vis de ce qui est dans son ADN et elle n’a pas besoin de se cacher derrière un bouc émissaire pour justifier ses réformes. »
Pour l’ancien député Dominic Grieve, deux choix se posent aujourd’hui au parti conservateur contemplant l’abime : réaliser une sorte de pacte électoral et aller encore plus à droite, ou se diriger vers le centre et se rendre compte, enfin, que « le désastre qui arrive aux Tories est d’avoir "fait une politique de droite" » .