Au Venezuela, la séance inaugurale de la très controversée Assemblée constituante a eu lieu vendredi 4 août 2017 en présence de quelque 545 membres, malgré les critiques internationales et le rejet de l'opposition, ce qui laisse présager de nouvelles violences.
Une déclaration, une bénédiction et une session, toutes très controversées, ont marqué les premiers pas vendredi de l'Assemblée constituante organisée par le pouvoir vénézuélien et son président Nicolas Maduro. Ce dernier devait normalement assister aux prestations de serment en début de session mais il était absent vendredi.
"Nous inaugurons l'Assemblée nationale constituante du peuple vénézuélien rebelle", a déclaré en début de séance le doyen des constituants, Fernando Soto, devant ses collègues élus. Un prêtre a ensuite béni l'assistance, après un bref sermon.
La "tigresse" à la tête de la Constituante
Surnommée
"la tigresse" par le président Nicolas Maduro pour sa défense passionnée de la
"révolution bolivarienne", l'ancienne-cheffe de la diplomatie vénézuélienne, Delcy Rodriguez, a été élue présidente de la Constituante.
"Je promets de défendre la patrie de toute agression ou menace", a déclaré cette avocate de 48 ans, tout de rouge vêtue, un drapeau vénézuélien et un exemplaire de la Constitution à la main.
Les membres de la nouvelle assemblée -- parmi lesquels l'épouse et le fils de M. Maduro-- , élus dans le sang le 30 juillet, sont arrivés peu après 16H00 GMT au siège du Parlement, en arborant des portraits géants du défunt président Hugo Chavez (dont M. Maduro est l'héritier politique) et de Simon Bolivar (héros de l'indépendance du Venezuela). Pendant ce temps, les partisans de M. Maduro étaient réunis à l'extérieur, casquettes rouges sur la tête et agitant des drapeaux vénézuéliens.
L'opposition a aussi défilé, conduisant à des affrontements entre manifestants et force de l'ordre. Le cortège composé de centaines de personnes a été dispersé à coups de gaz lacrymogènes et n'a pu atteindre le centre de la capitale où est situé le Parlement.
"Nous n'allons pas céder", a affirmé sur Twitter la coalition de l'opposition Table de l'unité démocratique (MUD).
Une Assemblée aux pouvoirs illimités
La nouvelle Assemblée constituante se situe au-dessus de tous les pouvoirs, y compris ceux du chef de l'Etat. Elle aura pour mission de réécrire la Constitution du Venezuela de 1999, promulguée par Hugo Chavez, président de 1999 à 2013. Ancienne ministre des Affaires étrangères et toute nouvelle présidente de la Constituante, Delcy Rodriguez a annoncé que l'Assemblée débuterait ses travaux samedi, en dépit des critiques internationales et du rejet de l'opposition.
Dotés de pouvoirs illimités durant un temps indéfini, situés au-dessus de tous les pouvoirs, y compris du président, les constituants sont pour la plupart issus de la société civile et appartiennent tous au camp présidentiel, l'opposition ayant boycotté le scrutin.
Ils siègent dans le
"salon elliptique", à quelques dizaines de mètres de l'hémicycle dans lequel se réunissent les députés élus fin 2015 et majoritairement issus de l'opposition, ce qui fait craindre des tensions au sein du bâtiment.
"Ce qui est envisagé, c'est la coexistence (...) Ce qui ne peut pas arriver c'est que les pouvoirs constitués méconnaissent les décisions de l'Assemblée constituante (...) Déjà en 1999, les deux (assemblées) avaient continué à travailler dans le même bâtiment", a expliqué Delcy Rodriguez dans un entretien exclusif à l'AFP, quelques jours avant son élection. La Constituante a la faculté de dissoudre le Parlement.
L'opposition contre la Constituante
L'élection dimanche de la Constituante a été entachée par des violences qui ont fait dix morts, alors que déjà plus de 120 personnes ont été tuées en quatre mois de manifestations contre le gouvernement.
Quant aux dirigeants de l'opposition vénézuélienne, ils subissent une forte pression exercée par le pouvoir. L'opposant Antonio Ledezma, maire de Caracas, a été, selon son épouse, ramené chez lui tôt vendredi pour être de nouveau placé en résidence surveillée après avoir été emprisonné durant trois jours. Un autre chef de l'opposition, Leopoldo Lopez, qui se trouvait également en résidence surveillée et avait été arrêté en même temps que M. Ledezma, restait détenu.
Au total, l'opposition estime que le pouvoir détient 600 "prisonniers politiques". Vendredi, le gouvernement panaméen a annoncé avoir accordé l'asile politique à deux magistrats de la Cour suprême parallèle formée par les opposants à Nicolas Maduro, qui se disent "menacés" et "persécutés".
La Constituante est rejetée par 72% des Vénézuéliens, d'après l'institut de sondages Datanalisis. Selon les autorités, plus de 8 millions d'électeurs --41,5% du corps électoral-- ont participé à son élection mais SmartMatic, l'entreprise britannique chargée des opérations de vote, a estimé ce chiffre
"manipulé" et surévalué d'au moins un million de votants.
Le parquet assiégé par l'armée?
Samedi, la procureure générale du Venezuela Luisa Ortega, devenue un des principaux adversaires du président Nicolas Maduro, a affirmé que l'armée assiégeait le siège du Parquet à Caracas.
"Je rejette le siège du ministère public. Je dénonce cet acte arbitraire devant la communauté nationale et internationale", a écrit Mme Ortega sur Twitter.
Tollé international : le Venezuela, Etat paria ?
L'organisation de la Constituante a suscité un tollé international dont une condamnation inhabituellement ferme du Vatican. Vendredi, le Saint-Siège a estimé que l'inauguration de la Constituante devait être
"évitée ou suspendue" pour favoriser
"la réconciliation et la paix", tout en invitant
"les forces de sécurité à s'abstenir de l'usage excessif et disproportionné de la force".
Une quarantaine d'Etats ont condamné cette Constituante. M. Maduro a été qualifié de
"dictateur" par Washington qui a renforcé ses sanctions. A Genève, un groupe de cinq experts de l'ONU a appelé vendredi le gouvernement vénézuélien à mettre un terme aux détentions systématiques de manifestants et à cesser de traduire les civils devant des tribunaux militaires.
Ce samedi 5 août 2017, les ministres des Affaires étrangères de quatre des cinq pays membres du Mercosur --Brésil, Argentine, Uruguay et Paraguay-- se réunissent à partir de 11H00 locales (14H00 GMT) à Sao Paulo pour se pencher sur la crise politique au Venezuela. Ils envisagent la suspension
"pour rupture de l'ordre démocratique" de ce pays déjà mis à l'écart du marché commun sud-américain depuis décembre, pour des raisons commerciales.
Dans la pratique, cette suspension n'impliquerait pas une exclusion de ce bloc commercial régional, mais aurait un impact largement supérieur aux autres sanctions prises auparavant.
"Il s'agirait d'un coup très dur pour la stature internationale du gouvernement de Nicolas Maduro. Le Venezuela risque de devenir un paria en Amérique latine", a expliqué à l'AFP Mauricio Santoro, professeur de relations internationales à l'Université d'État de Rio de Janeiro (UERJ).
Maduro table sur sa Constituante
Cible d'une contestation l'accusant de vouloir étendre ses pouvoirs et prolonger son mandat qui s'achève en 2019, M. Maduro entend, grâce à cette Constituante,
"perfectionner" l'économie et inscrire ses programmes sociaux dans la Constitution.
"Nous avons la Constituante et avec la Constituante nous parviendrons à la vérité et à la justice", a commenté vendredi le président Maduro au cours d'une cérémonie militaire, à laquelle assistait Mme Rodriguez et de nombreux membres de l'état-major du pays, une armée qui soutient Nicolas Maduro.
Confronté à une inflation vertigineuse (projection de 720% pour 2017 selon le FMI), le pouvoir impose depuis 2003 un strict contrôle des prix qui pèse sur la rentabilité des entreprises locales, lesquelles accusent le gouvernement de provoquer ainsi des pénuries. La devise vénézuélienne, elle, continue de effondrer, perdant jeudi plus de 17% de sa valeur face au dollar, ce qui prive encore davantage de Vénézuéliens d'accès à la nourriture et aux médicaments déjà rares.
Mais Caracas reste ferme.
"Pour la communauté internationale (...) le message est clair, très clair: nous, les Vénézuéliens, résoudrons notre conflit, notre crise, sans aucune sorte d'interférence étrangère, sans aucune sorte de mandat impérial", a prévenu la présidente de la Constituante vendredi lors de son discours d'investiture.