Après avoir passé plus de 7 ans en résidence surveillée, la célèbre dissidente birmane été libérée le 13 novembre 2010. Elle est sortie de sa maison à Rangoun devant des milliers de partisans en liesse. Désormais, de lourds défis l'attendent. Cette icône de l'opposition, Nobel de la paix, réussira-t-elle à faire son retour en politique ?
« Aung San Suu Kyi, c'est la clé de la réconciliation nationale », assure Khin Zin Minn, porte-parole de la communauté birmane en France. « C'est la seule qui puisse prendre en main les problèmes ethniques avec les Karen, les Wa et les autres. Tout le monde attend sa libération », confie dans un mail Phoe Thaw Dar, journaliste birman francophone. A 65 ans, la « dame de Rangoun », même si elle n'a été libre qu'une seule année depuis dix ans, bénéficie toujours d'une immense popularité et continue d'incarner l'idéal démocratique birman. Prix Nobel de la Paix et surtout fille du héros de l'indépendance - qui voulait « unir dans la diversité » - elle est « porteuse dans son sang du destin de son pays », n'hésite pas à écrire Renaud Egreteau, auteur de Histoire de la Birmanie contemporaine (Fayard).
Son père le général Aung san.
TENSIONS ETHNIQUES C'est l'une des seules figures à être respectée par l'ensemble des peuples qui constituent la Birmanie moderne, bien qu'elle appartienne, comme les généraux au pouvoir, au groupe dominant des barma. Un atout politique énorme dans un pays où les tensions ethniques ne cessent de s'accentuer comme l'ont rappelé les affrontements qui ont éclaté entre des rebelles karen et l'armée régulière dans la ville frontalière Myawaddy, au lendemain des élections législatives du 7 novembre (poussant plus de 20 000 civils birmans à se réfugier en Thaïlande). En Birmanie, nombres de groupes ethniques, qui sont en général installés dans les zones frontalières du pays, n'ont pas réussi à pacifier leurs relations avec les militaires au pouvoir. Des cessez-le-feu ont été signés voilà quelques années mais la situation s'est dégradée depuis que la junte cherche à intégrer des forces communes - composées de soldats de l'armée et d'hommes issus des groupes rebelles - sur les territoires des minorités afin de surveiller les frontières. C'est donc dans ce cadre-ci qu'Aung San Suu Kyi, si elle retrouve une liberté de mouvement et de parole, a indéniablement une carte à jouer. Une carte de médiation et de rééquilibrage du pays. Toutefois, la junte, forte de 350 000 à 400 000 hommes, n'est pas « prête à trouver une solution pacifique », affirme Maung Zarni de la London School of Economics. C'est donc plus une guerre que la paix qui se prépare dans les zones reculées du pays.
Au cours d'un meeting en 1991 devant sa résidence surveillée
ISOLÉE Par ailleurs, au sein même de l'opposition birmane, Aung San Suu Kyi semble aujourd'hui isolée. Depuis la victoire, jamais reconnue, de son partie (LND) aux élections libres de 1990, le paysage social et politique birman a fortement évolué. « Il lui faut désormais reprendre contact avec l'ensemble des forces d'opposition du pays qui sont bien plus diverses et multiples que dans les années 1990, lorsque son propre parti représentait quasiment la seule opposition démocratique », explique Renaud Egreteau. Derrière une certaine unité de façade, l'opposition civile birmane s'avère bien plus divisée qu'elle ne paraît. Nouvelles générations brimées au sein de la LND, leaders ethniques, communautés des bonze politisés, intellectuels et journalistes... Tous luttent pour la démocratisation de la Birmanie, mais beaucoup s'éloignent des idées et stratégies d'Aung San Suu Kyi. D'ailleurs le boycott des élections lancé par la Dame de Rangoun n'a pas été suivi par tous les partis pro-démocratiques birmans puisque certains ont décidé de présenter des candidats. C'est donc à Aung San Suu Kyi de « s'adapter à ce nouveau paysage en consultant, négociant, marchandant alliances et stratégies politiques, ou au contraire, de choisir de radicaliser son combat en poursuivant son opposition frontale au régime comme elle l'a toujours fait, sans tenir compte de l'évolution de la société birmane au cours des années 2000, conclut Renaud Egreteau. Un pari risqué, de surcroit très certainement peu payant à terme, mais en phase avec la posture morale qui a construit son mythe démocratique.»
GANDHISME À LA BIRMANE En fait, Aung San Suu Kyi n'a jamais réussi ou tenté d'adopter une position de politicienne qui sait faire d'habiles compromis pour construire un programme politique. Adepte de la non-violence, elle incarne plus volontiers un gandhisme à la birmane ou un Martin Luther King à l'asiatique. Le machiavélisme politique n'a jamais été sa tasse de thé mais semble pourtant indispensable quand on ambitionne de révolutionner le régime d'un pays. Il faut dire que, malgré son lourd héritage, elle n'a jamais été préparée à assumer un destin politique. Ce n'est qu'à l'âge de 43 ans, après avoir vécu plus de 20 ans à l'étranger, qu'elle est revenue dans son pays en 1988. Plus jeune, dans les années 60, quand elle a vécu à New Delhi avec sa mère, envoyée comme ambassadrice, elle fréquentait l'élite intellectuelle et politique indienne mais ne s'est jamais engagée pour une cause. Elle connaissait même les deux fils de la célèbre Indira Gandhi, fille de Nehru, mais ne s'est pas « pour autant liée d'amitié avec eux », indique Renaud Egreteau. De même, étudiante à Oxford, elle ne s'est investie dans aucun syndicat étudiant contrairement à Benazir Bhutto de huit ans sa cadette qui fut, avant de devenir Premier ministre au Pakistan, la virulente présidente de l'Union des étudiants d'Oxford de 1973 à 1976. Et une fois mariée à un Britannique, Aung San Suu Kyi s'est installée en Angleterre où elle a élevé en bonne mère de famille ses deux enfants. C'est le 30 mars 1988 que sa vie a basculé. Apprenant que sa mère avait été frappée d'une crise cardiaque, elle décide de s'envoler pour Rangoun qui se trouve alors en pleine agitation estudiantine. Et c'est le 26 août de la même année que le peuple birman la découvre, lorsqu'elle accepte de prononcer son premier discours public. La séduction est immédiate. La légende se met en marche. Aung San Suu Kyi décide alors de se vouer au combat pour la démocratie.
Dates clé d'Aung San Suu Kyi
19 juin 1945 – Naissance 19 juillet 1947 - Mort de son père 1972 - Mariage 1988 - Retour en Birmanie 6 août 1988 - Premier discours 27 septembre 1988 - Création de la Ligue nationale démocratique, parti d'opposition 20 juillet 1989 - Première assignation à résidence. 27 mai 1990 - Victoire électorale de la LND. Juillet 1995 - Libération mais refuse de quitter la Birmanie 1999 - Décès de son mari. Septembre 2000 - En maison d'arrêt pendant 2 ans Juin 2003 - En prison puis assignée à résidence 22 septembre 2007 - Révolte safran Aout 2009 - Assignation à résidence prolongée de 18 mois après la visite imprévue d'un américain parvenue à la nage jusqu'à chez elle.
Ses principales récompenses
1990 : Prix Sakharov pour la liberté de pensée (Parlement européen) 1991 : Prix Nobel de la paix 1992 : Prix international Simon Bolivar (UNESCO) 1993 : Prix international des droits de l'homme Victor Jara (Etats-Unis) 1995 : Prix Gandhi (Canada) 2005 : Prix Olof Palme
Résultats des élections législatives
Sans surprise, le parti créé de toutes pièces par la junte pour les élections, non libres, du 7 novembre est arrivé en tête. Pro-junte : Parti de la solidarité et du développement : 187 sièges sur 291 Parti de l'unité nationale : 7 sièges Opposition Parti démocratiques des nationalités Shans : 9 sièges Force démocratique nationale 8 sièges
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A lire
Histoire de la Birmanie contemporaine, le pays des prétoriens, Renaud Egreteau, 2010, Fayard.