Fil d'Ariane
C'est une décision soudaine, aux conséquences profondes : l'arrêt brutal de la dérogation — en cours depuis 2010 — dont bénéficiait la Grèce via la BCE. Le principe était simple : en échange de plans de refinancements assortis de conditions souvent dures, la BCE acceptait des titres de dettes de l'Etat grec mal notés (inférieurs à BBB-). Ces plans de refinancement permettaient aux banques helléniques de se financer en "cash", en échange de leurs titres. Désormais, avec l'annulation de la dérogation, la majorité des titres possédés par les banques grecques étant inférieur à la note BBB-, leur financement s'avère… quasi impossible.
Les annonces du nouveau Premier ministre Alexis Tsipras et de son ministre des Finances, Yanis Varoufakis, semblent avoir été à l'origine de la "fermeture" du robinet par la Banque centrale européenne. Pourquoi, et comment, la BCE, une institution indépendante — et avant tout garante du taux d'inflation — peut-elle assécher les banques d'un pays de la zone euro qui ne voudrait plus suivre "ses" politiques économiques ?
Si des solutions existent pour empêcher un défaut bancaire généralisé en Grèce, grâce à des plans d'urgence, ceux-ci restent toujours conditionnés au bon vouloir de la BCE — qui réévalue tous les 15 jours leur prolongation. La BCE s'est donc placée au cœur de la négociation du gouvernement d'Alexis Tsipras avec ses partenaires européens pour une sortie de l'austérité en Grèce. Cette dérogation, rappelle Philippe Waechter, directeur de recherche économique chez Natixis, a été mise en œuvre il y a 4 ans par la BCE, la même qui la retire aujourd'hui : "C'était une décision de la BCE en 2010, et aujourd'hui, le conseil des gouverneurs [de la BCE] a voté et a obtenu une majorité, ténue je crois savoir, pour écarter cette exception qui était accordée à la Grèce."
Il n'y aura pas de conflits avec nos partenaires européens.
Alexis Tsipras
Le premier Ministre grec, dès le soir de son élection, a fait des déclarations très enflammées, il est vrai. Qui n'ont pas dû plaire aux dirigeants de la BCE. Florilège : "La troïka appartient au passé", "Le peuple grec a mis fin par son vote, au mémorandum" (le protocole d'accord signé avec les créanciers en 2012, ndlr) ou encore "Notre victoire est celle des nations européennes qui luttent contre l'austérité".
Si le nouveau chef du gouvernement grec a clairement établi qu'il ne voulait plus être sous perfusion des "aides conditionnées" de la troïka (BCE, Commission et FMI), il n'a pas pour autant encore défini les détails de son plan de relance anti-austérité. D'où le petit tour d'Europe de Tsipras et Varoufrakis pour discuter avec leurs "partenaires" et établir de nouvelles règles et stratégies afin de parvenir à financer leur nouvelle politique, et ce en accord avec une autre déclaration post-électorale du même Tsipras : "Nous allons coopérer avec nos partenaires pour trouver une solution qui soit bénéfique pour tous. Il n'y aura pas de conflits avec nos partenaires européens".
C'est donc pour cela que ce qui est vu comme un "coup de jarnac" de la BCE en Grèce est difficilement compréhensible. A moins que les dirigeants de cette institution n'aient décidé de façon binaire et par avance de ce que le gouvernement grec mené par Syriza doit faire : plier sous les demandes de la troïka ou… sortir de l'euro ? La dimension politique de cette décision est reconnue par le chercheur Philippe Waechter : "Il y a probablement une dimension politique, et c'est pour ça qu'hier la BCE a augmenté le plafond de l'assistance ELA pour que les banques grecques ne puissent pas être pénalisées. Avec ces montants, les banques grecques ne sont pas en difficulté, mais c'est provisoire, et on ne fait que reporter la question au 28 février…"
Le plus embarrassant dans cette affaire de robinet à liquidités fermé par la BCE sans crier gare, est que le gouvernement grec n'a pas un éventail de solutions très important pour empêcher un assèchement complet de son système bancaire. Alexis Tsipras, s'il avait jusque-là tenu ses distance vis-à-vis de Moscou, vient d'ailleurs de nouer — visiblement suite aux décision de la BCE — une nouvelle amitié avec le chef du Kremlin. Un communiqué des services du premier ministre grec, daté d'hier jeudi 5 février, le souligne sans ambiguïté :
Le président russe et le Premier ministre ont souligné la nécessité d'améliorer de façon notable la coopération entre la Grèce et la Russie, des pays qui ont de profondes attaches historiques, notamment dans les secteurs de l'économie, de l'énergie, du tourisme, de la culture et du transport.
Vladimir Poutine vient aussi d'inviter Alexis Tsipras à se rendre à Moscou le 9 mai prochain pour les célébrations du 70ème anniversaire de la capitulation de l'Allemagne nazie. Avec un prêt de 5 milliards d'euros de la Russie à la Grèce à la clef ? Si ce prêt voyait le jour, ce serait un véritable camouflet politique qui créerait un séisme dans l'Union. Un séisme qui pourrait mener à une sortie de la Grèce de l'euro, voire de l'UE, comme l'envisagent les économistes de l'OFCE, Catherine Mathieu et Henri Sterdyniak sur le blog de l'organisation ? : "L’Europe ne peut demander au nouveau gouvernement grec de maintenir un programme d’austérité sans perspective, de renoncer à son programme électoral pour mettre en œuvre la politique négociée par le gouvernement précédent qui a échoué. Un refus de compromis conduirait au pire : une épreuve de force, le blocage financier de la Grèce, sa sortie de la zone euro et peut-être de l’UE. Les peuples auraient, à juste titre, le sentiment que l’Europe est un carcan, que les votes démocratiques ne comptent pas."
Les semaines à venir semblent donc déterminantes pour le futur économique de la Grèce. Avec ou sans l'euro ?