Fil d'Ariane
Plusieurs associations professionnelles dont Le Syndicat des Auteurs de bande dessinée, «Les Etats généraux de la BD» et la Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse ont appelé à un mouvement de grève vendredi 31 janvier. Rappelons qu'en 2014, réunis en collectif, les auteurs des «Etats Généraux de la bande dessinée» ont déjà alerté sur leur rémunération. Un mouvement qui s'est amplifié sur les réseaux sociaux avec les mots dièse #payetonauteur, #payetaculture et #auteursencolère.
Le rapport Racine a le mérite de faire le constat de la fragilisation de la situation économique et sociale de ceux qu'il définit comme des «artistes-auteurs» (soit toutes les professions artistiques, dessinateur, auteur, plasticien, designer, sculpteur...) Il pointe aussi l’érosion de leurs revenus.
Emmanuelle Teyras développe : «Il faudrait que le public puisse comprendre ce qu’un auteur gagne sur un livre. Le système du livre n’est pas du tout connu. Le système de la BD non plus, c’est normal. Il faut comprendre qu’on gagne 30 centimes par livre vendu. Alors quand il s’agit d’auteurs plus connus qui ont 10, 12% [sur les ventes de leurs oeuvres] et dont les albums sont vendus 20 euros c’est déjà mieux parce que ça fait 2 euros par livre. Mais ce n’est pas énorme. »
A la fin, il ne reste donc pas grand-chose. Sur un livre vendu 10€, dont elle partage les droits d’auteur avec sa co-autrice, elle ne touchera en définitive que 30 centimes par exemplaire vendu !
Janik Coat, illustratrice, partage la même expérience. Elle occupe une place à part dans le secteur du livre de jeunesse, celle consacrée aux très jeunes enfants de 0 à 5 ans. Entre la conception et la sortie de son dernier opus «Baisers polaires», pour lequel elle a reçu un à-valoir [avance sur les ventes] de 4000 euros, il s'est passé un an et demi.
Tout le temps consacré à concevoir et dessiner n'est évidemment pas rémunéré «On peut parfois passer une journée sur un dessin qui nous sera très peu payé, finalement on aura touché 3 euros de l'heure », s'exclame avec humour Emmanuelle Teyras.
Janik Coat dit qu'elle «préfère se faire plumer et être libre !»
Elle est traduite dans le monde entier. Depuis trois ans, elle vit bien grâce à l’à-valoir et aux droits qu’elle touche de son éditeur américain. Ça lui laisse le temps de travailler sur ses livres artistiques publiés en France.
« Il faut trouver des combines » explique-t-elle. Elle a arrêté le graphisme et intervient beaucoup en milieu scolaire où elle présente ses œuvres à l'invitation des professeurs des écoles. Mais la source principale de ses revenus vient de ses droits d’auteur.
Francine Bouchet, fondatrice et directrice de la maison d'édition suisse La Joie de Lire, dresse un tableau plus nuancé de la situation. Cette éditrice publie des livres illustrés depuis 1987. Pour elle, la question « mérite des prises de positions qui ne sont pas simplement celle des pauvres illustrateurs d'un côté et des méchants éditeurs de l'autre ! Il y a parfois des caricatures qui m’agacent un peu. » Avant toute chose «Il faut revenir à la réalité du prix», explique l'éditrice.
Le prix moyen du livre de jeunesse est inférieur au prix moyen de la littérature : « Le livre illustré ne pourra pas aller au-delà d'un certain seuil sinon il ne se vendra pas», affirme-t-elle. Francine Bouchet est très réaliste : «C’est difficile d’expliquer aux gens la valeur des choses parce que ce n’est pas leur problème. Ils ont leur porte-monnaie et si en traversant la frontière ils payent 10% moins cher, on ne va pas les en empêcher.»
«La plupart des illustrateurs, comme des écrivains, ont un travail à côté» dit-elle.
C'est un autre des constats faits par le rapport Racine : l'absence de rémunération du travail de l'auteur. Les rapporteurs rappellent que la question fut posée par Jean Zay, ministre de l'Éducation nationale et des Beaux Arts de 1936 à 1939. Cet avocat, ministre du Front populaire, assassiné par la milice en 1944, estimait que «l'auteur ne doit plus désormais être considéré comme un propriétaire, mais bien comme un travailleur, auquel la société reconnaît des modalités de rémunération exceptionnelles, en raison de la qualité spéciale des créations issues de son labeur». C'est lui qui décida de rattacher les artistes au régime général de la Sécurité sociale.
Virginie Challamel est agente artistique. Son rôle est de représenter les auteurs-artistes et de vendre leur travail. Voire, de les défendre car «les illustrateurs sont des gens hyper gentils. Ils se font complètement plumer ! » Elle propose à ses auteurs de travailler pour des marques car une campagne publicitaire permet de bien les rémunérer.
Margaux Motin a réalisé la campagne publicitaire pour une crème homéopathique bien connue des laboratoires Boiron. «L’image qu’elle a dessinée a fait qu’on a reconnu le produit. Nous vivons dans une société de l’image, les artistes y sont pour beaucoup, donc il n’y a pas de raison de ne pas les payer.» Aujourd’hui, explique Virginie Challamel, il y a une consommation d’images beaucoup plus importante qu’il y a 30 ans mais qui est beaucoup moins bien payée «parce que ça va plus vite.»
«Tout le monde peut écrire, tout le monde peut dessiner, mais attention ceux qui écrivent bien, dessinent, nous font vibrer, ne sont pas nombreux », affirme-t-elle avec force.