Aux États-Unis, "les migrants sont confrontés à des infractions systématiques de leurs droits"

Depuis son retour à la Maison Blanche en janvier 2025, Donald Trump mène la charge contre les immigrés dans le pays. Criminalisation des migrants, révocation du statut légal de plus de 500 000 immigrés ou encore suspension des visas aux étudiants étrangers. Entretien avec Charlotte Recoquillon, chercheuse rattachée à l'Institut Français de géopolitique et journaliste spécialiste des États-Unis.

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Des manifestations contre les expulsions massives d'immigrés sont organisées aux États-Unis, comme ici à Los Angeles, vendredi 6 juin 2025.

AP Photo / Damian Dovarganes
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Depuis vendredi 6 juin 2025, la situation est tendue à Los Angeles après des affrontements entre forces de l'ordre et manifestants. En cause ? La politique migratoire de Donald Trump. Depuis son retour au pouvoir, le président américain ne cesse de pointer du doigt les immigrés dans le pays. 

Entretien avec Charlotte Recoquillon, chercheuse rattachée à l'Institut Français de géopolitique et journaliste spécialiste des États-Unis.

TV5Monde : Donald Trump a déployé la garde nationale à Los Angeles face à des manifestations contre les expulsions d'immigrés. Il n'exclut pas d'envoyer d'autres hommes ailleurs dans le pays, qu'est-ce que ça dit de la politique migratoire du président américain ? 

Charlotte Recoquillon : Donald Trump a un véritable projet politique anti-immigration et mène des campagnes d'arrestations agressives. Il n’y a pas qu’à Los Angeles mais aussi dans plusieurs autres grandes villes, comme à New York. 

Dès le tout premier jour de son mandat, il a signé un décret pour, je cite, "protéger le peuple américain contre l'invasion migratoire". Depuis, il ne cesse de traiter les migrants de terroristes, de menace, de danger. Il se sert de tous les stéréotypes qui peuvent être véhiculés habituellement. Cette politique migratoire est un projet qui est partagé par le camp conservateur et l'extrême droite également. 

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TV5 Monde : Avez-vous le sentiment qu'un pas de plus a été franchi dans la déshumanisation des personnes immigrées et leur traitement ? 

Charlotte Recoquillon : En effet, il y a une criminalisation et une gestion pénale de l'immigration qui ne va pas de soi. On voit bien que les migrants sont confrontés à des moyens militaires et policiers ainsi qu'à des arrestations arbitraires et des infractions systématiques de leurs droits. Il y a un franchissement ligne après ligne de tous les principes humains. 

Quand des personnes migrantes sont arrêtées alors qu'elles se rendent à une convocation de l'administration, c'est très injuste. La maire démocrate de Los Angeles Karen Bache, a pris position pour dire que c'était inadmissible et cruel, et qu'elle était furieuse du traitement de ses administrés. Mais le même jour, elle a approuvé le budget de la ville qui prévoit le recrutement de 240 nouveaux policiers du LAPD, qui est déjà un département de police financé à deux milliards de dollars par an. Il y a une petite incohérence, du côté des démocrates, entre les politiques mises en place et ce qui est fait en termes de positionnement. 

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TV5 Monde : Dans l'imaginaire des Américains, le fait d'envoyer la garde nationale contre des manifestants pose-t-il problème ? 

Il me semble que la garde nationale n'a pas été mobilisée par le président des États-Unis depuis les révoltes de 1992, après l'acquittement des policiers qui ont tabassé l’activiste Rotney King. Il y a donc un écho intéressant à cet endroit-là. Cette région la Californie, avec Los Angeles et Oakland, est un lieu traditionnel de l'activisme politique en Amérique. 

Je pense que les imaginaires des Américains sont assez fragmentés. Pour certains, les manifestations sont mouvements d'émancipation. Pour d'autres, ce sont seulement des violences urbaines, des actes de vandalisme et ce n'est pas comme ça qu'il faut manifester.

Mais c'est une question qui me rappelle les soulèvements à Ferguson dans le Missouri. Les habitants ont protesté pour demander l'inculpation et des poursuites contre le policier qui a tué Michael Brown. Au début, c'est un évènement qui n'avait aucun écho dans le pays jusqu'au moment où le gouverneur de l'État a fait intervenir la garde nationale. Il y avait ces images absolument stupéfiantes de véhicules blindés, d'armes de guerre, dans les rues de Saint-Louis et de Ferguson face à des manifestants qui avaient juste des pancartes, c'est ça qui a choqué. Et cette réponse policière a commencé à faire émerger un mouvement, qui perdure toujours, et qui consiste à dire qu'il y a un problème de proportion dans la réponse apportée. 

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TV5 Monde : Finalement, à qui profite ce durcissement de la politique migratoire et la criminalisation des immigrés ? 

Charlotte Recoquillon : Il faut prendre en compte le fait que cette politique migratoire est mise en œuvre avec l'aide d'un secteur privé et du complexe carcéro-militaire. D'énormes contrats qui valent des milliards de dollars sont signés avec des entreprises comme Blackwater (ndlr, une société militaire privée) ou encore Palantir. Pour cette dernière, c'est une société qui développe des technologies d'intelligence artificielle, des logiciels et des bases de données qui recencent toutes les informations sur les migrants : lieu de travail, nombre d'enfants, leur âge, leurs réseaux sociaux, mais aussi toutes les données gouvernementales et privées de bases de données. Ces élements permettent ensuite de surveiller et réprimer les migrants. 

Aujourd'hui, il y a un système de création de prisons privées et le déploiement de centres de rétention. Les secteur aériens et de transports bénéficient des rapatriements de migrants, tout comme les secteurs de la sécurité, de la police ou encore de l'armement et tous les services de sous-traitance qui apportent des repas aux migrants... Au-délà de l'enjeu politique, il y en a aussi un économique.

TV5 Monde : Est-ce que des mouvements de protestation émergent parmi la population américaine ? 

Charlotte Recoquillon : Il n'y a pas tellement l'apparition de nouveaux mouvements mais une résurgence d’un mouvement social de protection des minorités, de justice sociale et raciale. Beaucoup de gens trouvent que la politique menée par Trump n'est pas normale et même dangereuse. 

Il y a des États où les migrants sont très présents et font parties des communautés locales. Et il y a plein de gens qui en ont besoin, qui travaillent avec eux, dont se sont les voisins. Même parmi les Républicains. Et il y a plein d'entrepreneurs dont la main d'œuvre est constituée de de personnes migrantes avec ou sans statut.

Un des phénomènes nouveaux avec cette administration Trump, c'est la répression des personnes en situation régulière qui sont expulsées avant d'avoir eu le temps de contacter un avocat et de fournir la preuve de leur résidence.

C'est peut être anecdotique, mais des gens disent que des rues d'habitude très dynamiques, très actives, ressemblent aujourd'hui à des rues fantômes parce que les vendeurs de rue n’y viennent plus. Les travailleurs journaliers ne se présentent pas non plus par peur d'être arrêtés.

TV5 Monde : Est-ce que vous pensez que ces déportations d'immigrés peuvent avoir une incidence sur le secteur économique américain ? 

Charlotte Recoquillon : Je ne pense pas. La mise en œuvre massive de la déportation ne va pas être si facile à faire que ça. Je ne crois pas que les immigrés vont massivement disparaître des États-Unis économiquement, mais il y a sûrement des secteurs qui vont souffrir de ça. 

Économiquement, le problème se situe plutôt chez tous les gens qui ont perdu leur travail à cause des licenciements massifs du Doge (Département de l'efficacité gouvernementale). Il y a vraiment des gens qui se situent dans la classe moyenne et qui ont basculé dans d'énormes difficultés financières.