Simple oubli ou fatigue face à un régime autocratique ? Impossible selon Khadija Ismayilova. "Cela a été fait exprès et c’est le gouvernement azéri qui leur a demandé de le faire," affirme la journaliste azérie, avant de noter que le chef de DEG Elmar Brok s’est déjà rendu en Azerbaïdjan sur l’invitation d’Ilham Aliev. Le régime azéri a effectivement l’habitude d’inviter les responsables étrangers, qu’il reçoit en général en grande pompe, avec force caviar et cadeaux… Mais le fond de l’affaire se trouve peut-être au large d’Azerbaïdjan, dans la mer Caspienne. Certains parlementaires européens n’hésitent pas à rappeler les contrats d’extraction et de transports gaziers en cours avec l’Azerbaïdjan. Des contrats si juteux pour l’Union européenne qu’il semble utile soigner son discours sur Bakou. Le 28 juin dernier, l’Azerbaïdjan a signé un
contrat majeur de gazoduc, appelé TAP (Trans Adriatic Pipeline) avec trois géant pétroliers européens dont le Britannique BP, le Français Total et l’Allemand E.ON Ruhrgas. Avec ce deal gazier, l’Azerbaïdjan se voit ouvrir les portes du marché européen, tandis que les pays de l’Union européenne auront un accès direct au gaz de la mer Caspienne. Après des années de négociations et de propositions de projets de tracés, le gaz extrait de l’immense
gisement de Shah Deniz sera finalement acheminé via la Grèce,l’Albanie et l’Italie. Autant dire que les enjeux sont immenses. Dès 2018, l'Europe commencera à importer du gaz naturel azéri, ce qui lui permettra de
limiter sa dépendance au gaz russe. "Il s’agit d’un succès conjoint pour l’Europe et d'une étape importante dans le renforcement de la sécurité énergétique de l’Union", s’est félicité le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso. Et le contrat de la TAP n’est pas le seul. Ne serait-ce qu’en France, Total et GDFSUEZ travaillent étroitement avec Bakou sur l’extraction du gaz des gisements azéris. En 2011, Total a découvert un immense gisement de pétrole en mer Caspienne, à Absheron, au large de l’Azerbaïdjan, gisement qu’il exploite depuis 2008. Le 10 septembre dernier, GDFSUEZ a annoncé avoir signé avec un contrat long terme portant sur la fourniture de gaz naturel issu de la 2ème phase d’exploitation du champ géant de Shah Deniz. Seulement ces contrats gaziers risquent aussi d’être une épine dans le pied de l’Union européenne, du moins en matière de défense de la démocratie et des droits de l’Homme. Selon Rachel Denber, directrice adjointe Europe-Asie centrale de l’ONG Human Rights Watch, pour le moment, l’Union européenne tient bon face au régime Aliev. La semaine dernière, la chef de la diplomatie de l’UE, Catherine Ashton s’est dite "préoccupée" par les "pressions" exercées en Azerbaïdjan contre l’opposition, la société civile et les médias indépendants. Même condamnation du côté de l’OSCE, qui a appelé Bakou à enquêter sur les exactions contre les journalistes. "Dans le cadre de ses relations avec l’Azerbaïdjan, l’Union européenne devra sans doute négocier une sorte d’échange, des conditions sur le respect des droits de l’Homme", souligne Rachel Denber. "Cela doit être une relation dans les deux sens." Une relation qui risque de s’avérer très complexe, avec un pays qui contrôlera en partie les robinets du gaz de l’Europe.