Bangladesh : la Première ministre fuit la capitale, l'armée forme "un gouvernement de transition"

Les manifestants antigouvernementaux prévoient de marcher en masse lundi sur Dacca, la capitale du Bangladesh, au lendemain d'une journée sanglante au cours de laquelle des affrontements ont fait au moins 94 morts à travers le pays.

Image
bangladesh

Des hommes passent en courant devant un centre commercial incendié par des manifestants lors d'un rassemblement contre la Première ministre Sheikh Hasina et son gouvernement, demandant justice pour les victimes tuées lors des récents affrontements meurtriers dans tout le pays, à Dacca, au Bangladesh, le 4 août 2024. 

AP Photo/Rajib Dhar
Partager3 minutes de lecture

"Le temps est venu de la manifestation finale", lançait, dimanche 4 août Asif Mahmud, un des leaders du mouvement étudiant à l'origine de la contestation, en appelant à marcher sur la capitale. 

Le temps lui a donné raison : ce lundi 5 août, la Première Ministre Sheikh Hasina, dont les manifestants demandent le départ depuis des semaines, a fui Dacca, quelques heures avant que les protestataires n'envahissent son palais. 

Dans une adresse à la nation diffusée par la télévision d'État, le chef de l'armée, le général Waker-Uz-Zaman, a déclaré que Sheikh Hasina avait démissionné et qu'il allait former un gouvernement intérimaire. 

"Le pays a beaucoup souffert, l'économie a été touchée, de nombreuses personnes ont été tuées, il est temps de mettre fin à la violence", a-t-il déroulé. "Si la situation s'améliore, il n'y a pas lieu de recourir à l'état d'urgence", a-t-il ajouté tout en promettant que les nouvelles autorités "poursuivraient tous les meurtres" commis au tout au long des semaines de manifestations meurtrières. 

"Maintenant, la tâche des étudiants est de rester calmes et de nous aider", a-t-il conclu. 

Tweet URL

Au moins 300 personnes ont été tuées depuis le début des manifestations en juillet, selon un bilan de l'AFP à partir de données de la police, de responsable et de sources hospitalières. Un vaste dispositif de sécurité a été déployé à Dacca, où les rues conduisant au bureau de la Première ministre Sheikh Hasina ont été barricadées par la police et l'armée avec du fil barbelé. 

Dans le pays, un couvre-feu est entré en vigueur dimanche soir. La connexion à l'internet mobile a été strictement limitée. Les 3 500 usines ont fermé.

Tweet URL

Manifestations meurtrières

Dimanche, de nouveaux heurts entre opposants à Sheikh  Hasina, forces de l'ordre et partisans du parti au pouvoir ont fait au moins 94 morts dans tout le pays. C'est le bilan le plus lourd en une seule journée depuis le début des manifestations antigouvernementales il y a un mois. Dans ce pays musulman de 170 millions d'habitants, les étudiants contestent, sur fond de chômage aigu des diplômés, les faveurs dont bénéficient les proches du pouvoir pour devenir fonctionnaires. 

(Re)voir → Bangladesh : le pays s'enfonce dans le chaos

Parmi les morts figurent au moins 14 policiers, selon le porte-parole de la police, Kamrul Ahsan. Les camps rivaux se sont affrontés à coups de bâton et de couteau et les forces de l'ordre ont tiré à balles réelles. Un commissariat à Enayetpour (nord-est) a été pris d'assaut et 11 policiers tués, selon la police.

Tout Dacca s'est transformé "en champ de bataille" et une foule de plusieurs milliers de manifestants a mis le feu à des voitures et des motos près d'un hôpital, selon une autre source policière. Des manifestants ont été vus en train d'escalader une statue du père de Sheikh Hasina, le fondateur du Bangladesh Sheikh Mujibur Rahman, tentant de la démolir à coup de marteaux.

bangladesh 2

Un véhicule brûle dans l'enceinte de l'hôpital de l'université médicale Bangabandhu Sheikh Mujib, incendié par des manifestants, lors d'un rassemblement contre la Première ministre Sheikh Hasina à Dacca, au Bangladesh, le  4 août 2024. 

AP Photo/Rajib Dhar

À Dacca, des coups de feu et détonations répétées ont été entendus après la tombée de la nuit alors que des manifestants bravaient le couvre-feu.

"La violence choquante au Bangladesh doit cesser", a exhorté dimanche soir le Haut-commissaire des Nations unies aux droits de l'homme, inquiet pour la journée de lundi alors "que le mouvement de jeunesse du parti au pouvoir se mobilise contre les protestataires".

Plus tôt dans la journée, des milliers de Bangladais s'étaient rassemblés sur une place de Dacca pour exiger la démission de Mme Hasina. Ils répondaient à l'appel du collectif étudiant Students Against Discrimination (Étudiants contre les discriminations) qui avait exhorté la veille à la désobéissance civile.

L'armée, "aux côtés du peuple" 

Ces affrontements comptent parmi les plus meurtriers depuis l'arrivée au pouvoir il y a 15 ans de Sheikh Hasina. Pour rétablir l'ordre, son gouvernement a notamment coupé l'accès à internet, fermé écoles et universités, imposé un couvre-feu et déployé l'armée.

bangladesh 3

Des militaires montent la garde devant un grand portrait découpé de la Première ministre Sheikh Hasina pendant la journée de deuil national, décrétée par le gouvernement du Bangladesh en mémoire des victimes des récents affrontements meurtriers dans tout le pays, à Dacca, au Bangladesh, le 30 juillet 2024. 

AP Photo/Rajib Dhar

D'anciens officiers militaires ont depuis apporté leur soutien aux contestataires. Dans une prise de position hautement symbolique contre la Première ministre, un ancien chef de l'armée, le général Ikbal Karim Bhuiyan, et plusieurs autres ex-officiers supérieurs ont appelé au retrait des troupes de la rue, en soulignant que les gens n'avaient "plus peur de sacrifier leur vie".

(Re)voir → Manifestations au Bangladesh : le couvre-feu instauré et l'armée déployée

Dans plusieurs cas, des soldats et des policiers ne sont d'ailleurs pas intervenus contre les protestataires, contrairement au mois dernier. "Ceux qui sont responsables d'avoir poussé les habitants de ce pays dans un état de misère aussi extrême devront être traduits en justice", a aussi estimé M. Bhuiyan.

Samedi le général Waker-uz-Zaman, avait lui affirmé dans un communiqué que les militaires se tiendraient "toujours aux côtés du peuple".

"Vivre librement" 

Le pays compte de nombreux diplômés au chômage, et les étudiants exigent l'abolition d'un système de discrimination positive qui réserve un quota d'emplois publics aux familles des vétérans de l'indépendance.

Partiellement aboli en 2018, ce système a été restauré en juin par la justice, mettant le feu aux poudres, avant un nouveau retournement fin juillet de la Cour suprême.

bangladesh 4

Des personnes participent à une marche de protestation contre la Première ministre Sheikh Hasina et son gouvernement pour demander justice pour les victimes tuées lors des récents affrontements meurtriers dans tout le pays, à Dacca, au Bangladesh, le 3 août 2024. 


 

AP Photo/Rajib Dhar

La crise sociale s'est muée en crise politique à partir du 16 juillet, quand la répression a fait ses premiers morts, les manifestants réclamant alors la démission de Mme Hasina. 

"Il ne s'agit plus seulement de quotas d'emplois", explique Sakhawat, une jeune manifestante rencontrée à Dacca, où elle réalisait un graff sur un mur qualifiant Sheikh Hasina de "tueuse". "Nous voulons que les futures générations puissent vivre librement", dit-elle.