Symbole du réchauffement diplomatique entre Cuba et les Etats-Unis, c’est la première visite à l’île d’un président américain depuis 1928. Malgré l’enthousiasme entourant ce voyage « historique », les Cubains n’attendent pas le messie.
Si la poignée de main tant attendue entre le président cubain Raúl Castro et son homologue américain a déjà eu lieu
il y a un an au Sommet des Amériques, la venue de Barack Obama est «
un pas supplémentaire » vers la normalisation des rapports entre les deux pays, selon la Maison-Blanche. Parler de pas supplémentaire, c’est dire aux 2 millions de Cubains des Etats-Unis et aux 11 millions d’habitants de l’île que la normalisation est en marche. Qu’est-ce qui a vraiment changé depuis un an ?
Business son business
Depuis quinze mois, des entrepreneurs de tout le continent et d’ailleurs (François Hollande avait été
le premier président d’une grande puissance à se rendre dans le pays depuis l’annonce cubano-américaine) se ruent à Cuba afin de labourer le terrain. Une démarche facilitée par une poignée de gestes commerciaux de la part des Etats-Unis.
Au mois de février, les États-Unis ont autorisé l’implantation de la toute première usine américaine dans l’île. Il s’agit d’une entreprise de l'Alabama dirigée par un Cubano-américain. Environ un millier de petits tracteurs y seront assemblés chaque année. Cette production est destinée aux agriculteurs indépendants de l’île. Une goutte d’eau - le libre entreprenariat reste timide. Reste qu’il s’agit du tout premier investissement significatif depuis l’arrivée au pouvoir de Fidel Castro, en 1959. C’est alors qu'ont été nationalisés les milliers de dollars issus de la propriété privée et des entreprises américaines installées à Cuba.
Cette année, et pour la première fois en cinquante ans, s’effectueront les premiers vols commerciaux réguliers entre les deux pays jadis ennemis. Et selon de récentes prévision, les bateaux de croisière ne seront plus interdits sur les côtes cubaines.
D’ores et déjà, il est possible d’envoyer depuis les Etats-Unis de l’équipement de télécommunications favorisant la connectivité des Cubains résidant encore et toujours dans un désert numérique.
Mardi 15 mars 2016, à quelques jours de l’atterrissage de l’Air Force One, le département du Trésor américain a annoncé une nouvelle volée d’initiatives, sans doute plus concrètes pour la population.
Sont autorisés les séjours individuels et personnels des Cubains souhaitant se rendre chez l’oncle Sam sans avoir à présenter une invitation émise par un organisme officiel américain. Les habitants de l’île pourront effectuer des transactions en dollars. Les Cubains pourront aussi recevoir les sommes envoyées par leurs familles depuis les Etats-Unis. Une vraie bouffée d’air, car les économies latino-américaines comptent sur l’apport substantiel de leur diaspora.
Par ailleurs, quelques produits américains franchiront sans encombre la douane, et quelques articles cubains auront droit au même traitement. Un paquet de concessions qui favorisera sans aucun doute les sportifs et les artistes souhaitant s’installer aux Etats-Unis. Jusqu’ici, leur seule option était la «
désertion ». Tout cela est possible grâce aux entorses faites aux lois de l’embargo qui pèsent sur l’île depuis 1962, et désormais sur le réchauffement diplomatique.
Que de bonnes nouvelles ? «
Non, répond catégorique Jaime Suchlicki, directeur de l’
Institut d’études cubaines de l’Université de Miami.
Certes il y a une plus grande affluence de touristes depuis un an, beaucoup plus d’argent circule à Cuba. Mais au final, toutes ces mesures visent un secteur privé quasiment inexistant, car les entreprises n’ont pas la trésorerie pour investir. »
Jaime Suchlicki estime que la stratégie de Barack Obama est inefficace : «
Il pense que s’il s’assoit à la table de négociations avec ses ennemis, ils vont devenir ses amis. Autrement dit, s’il accorde quelques concessions, le régime politique changera. Mais il se trompe. Il y a quelques jours l’organe médiatique de l’Etat, Granma, réitérait que le gouvernement cubain n’allait pas transiger ».
L’éditorialiste de cette publication affirme que «
la visite du président des Etats-Unis sera un pas important dans le processus de normalisation des relations bilatérales ». Pourtant « vivre ensemble ne revient pas à renier nos idéaux, notre socialisme, notre histoire, notre culture ». D'autant que, parallèlement, La Havane se rapproche de Moscou, qui lui a ouvert des lignes de crédit.
Le politologue affirme que le gouvernement cubain est plus intéressé par la pérennité que par le changement. «
En ce moment, Raúl Castro est en train de choisir son successeur. Le septième congrès du parti communiste se tiendra sous peu. C’est alors qu’on verra López Callejas, l’ex-mari de sa fille prendre du galon », croit-il savoir. Dans ce contexte, «
Obama vient profiter du soleil et essaye de laisser sa marque dans l’histoire des relations internationales », conclut pessimiste Jaime Suchlicki.
Une analyse que partage Jose Azel, auteur d'un ouvrage intitulé "L’héritage du castrisme et les défis de la transition pour Cuba" (
Mañana in Cuba: The Legacy of Castroism and Transitional Challenges for Cuba). «
Je ne comprends pas pourquoi Obama fait toutes ces concessions sans ne rien obtenir en contrepartie. A mon avis, il essaye d’emboîter le pas à Nixon quand il a rétabli les relations avec la Chine dans les années 1970. Mais Cuba n’est pas la Chine. »
Et la répression ? RAS
Raúl Castro a-t-il été attentif à ces critiques ? La Maison-Blanche a-t-elle obtenu un geste de la part du gouvernement ? La Havane vient de libérer quatre dissidents incarcérés, en « cadeau » au président américain, communique l’opposition illégale cubaine. Ils ont immédiatement quitté l’île pour rejoindre les Etats-Unis.
C’est évidemment l’épineux sujet des droits de l’Homme qui sera scruté à la loupe pendant ce séjour. La libération de quelques opposants ne semble pas apaiser les craintes de nombreuses organisations nationales et internationales. «
Est-ce que Barack Obama sera capable d’adresser un discours ferme, clair simple et en espagnol à tout le peuple cubain sur les graves violations des droits fondamentaux ? »,
se demande José Miguel Vivanco, directeur de Humans rights watch en Amérique latine.
Ce dernier note que la situation des droits de l’Homme n'évolue pas. Pis, les violations s’intensifient quand un événement de cette ampleur se produit, note Vivanco.
Ce que regrette amèrement Berta Soler, qui dirige l’emblématique association
Las Damas de Blanco. «
Plus de 40.000 Cubains ont quitté le pays au cours des dix derniers mois »,
a-t-elle dit à l’envoyée spéciale de RFI.
«
Une dizaine de membres de notre organisation a été arrêtée. Tous les activistes craignent de ne subir le même sort. Les autorités veulent nous rendre invisibles pour que les journalistes pensent que nous ne sommes pas nombreux », ajoute-t-elle.
Entre janvier et février au moins 2500 personnes ont été arrêtées pour raisons politiques. Comme Berta Soler, des milliers de Cubains pensent que la visite du président américain ne contribuera en rien à améliorer leur situation.