Barcelone : les Catalans manifestent contre la détention d'indépendantistes
Six mois après les premières incarcérations de figures de l'indépendantisme catalan, des manifestants ont défilé par milliers dimanche à Barcelone pour protester contre l'emprisonnement de neuf sécessionnistes accusés de "rébellion" et réclamer l'ouverture d'un dialogue politique.
"Liberté pour les prisonniers politiques", criaient des milliers de manifestants massés sur l'avenue Paralel, en soutien aux dirigeants indépendantistes placés en détention provisoire pour "sédition", "détournements de fonds" ou le délit contesté de "rébellion", passible de 30 ans de prison, et qui suppose qu'il y ait eu un "soulèvement violent".
"Comme ils ne peuvent pas décapiter l'indépendantisme - comme l'avait souhaité la vice-présidente du gouvernement espagnol, Soraya Saenz de Santamaria - ils essaient de le faire par la voie judiciaire", affirmait la manifestante Roser Urgelles, une institutrice de 59 ans. "Ils ont besoin de démontrer qu'il y a eu violence pour exécuter les peines qu'ils veulent, alors ils l'inventent mais nous continuerons à manifester pacifiquement", ajoutait-elle.
Comme elle, des milliers de manifestants portaient un ruban jaune par solidarité avec les indépendantistes détenus : un signe que le ministre de la Justice Rafael Catala a récemment jugé "insultant", "parce qu'il prétend qu'il y a des prisonniers politiques en Espagne alors que ce sont des politiques emprisonnés".
L'appel à manifester avait été lancé par une plateforme créée en mars dans la région du nord-est de l'Espagne pour "défendre les institutions catalanes" et "les droits et libertés fondamentales" des citoyens. Le fait que deux grands syndicats, Commissions ouvrières et UGT, en fassent partie, aux côtés des associations séparatistes ANC et Omnium, a provoqué de vives protestations parmi ceux de leurs membres qui n'ont jamais voulu de l'indépendance.
"Il y a eu des tensions (parmi les syndiqués) comme dans l'ensemble de la société catalane", a admis samedi 14 avril le secrétaire général de l'UGT en Catalogne, Camil Ros, interrogé par l'AFP. "Mais ce n'est pas une manifestation indépendantiste", a-t-il plaidé : "C'est le moment de jeter des ponts et le problème de la Catalogne ne doit pas se résoudre dans les tribunaux mais par le dialogue et la politique".
Dans la région très partagée sur la question de l'indépendance, cette mobilisation a lieu dix jours après la remise en liberté de l'ancien président indépendantiste catalan Carles Puigdemont en Allemagne, où un tribunal a considéré que les charges pour "rébellion" n'étaient pas étayées.
Cependant, des magistrats espagnols ont transmis jeudi 12 avril à leurs homologues allemands des éléments afin d'accréditer l'existence "de violences justifiant la rébellion" selon Madrid, dans l'espoir d'obtenir la remise de Carles Puigdemont à l'Espagne pour cette accusation. L'ancien président de la Catalogne est également accusé de détournement de fonds publics, en lien avec l'organisation du référendum d'autodétermination interdit du 1er octobre.
"Fabriquer plus d'indépendantistes"
Depuis le 16 octobre, les anciens présidents d'associations indépendantistes Jordi Sanchez et Jordi Cuixart sont en détention provisoire. Incarcérés avant la vaine proclamation d'une "République catalane" le 27 octobre dernier, ils sont considérés comme des membres du noyau dur ayant piloté la marche frustrée vers l'indépendance.
"Ce qui me rend triste, c'est l'accusation de violence, qui n'a jamais existée", répondait dès décembre Jordi Sanchez sur Twitter. Élu député catalan alors qu'il était détenu, il a été proposé par deux fois comme candidat à la présidence régionale mais le juge a rejeté ses demandes de sortie de prison.
Le retraité Juan José Cabrero, ancien transporteur de 74 ans, fait partie des deux millions de personnes, soit 47,5% des électeurs catalans, ayant redonné aux sécessionnistes une majorité en sièges au parlement régional en décembre. À Madrid, "ils nous traitent comme des terroristes", assure ce manifestant, désolé qu'on puisse comparer l'indépendantisme catalan à l'organisation armée basque ETA, à laquelle sont attribuées plus de 800 morts.
"Ils accusent (les dirigeants indépendantistes ndlr) d'être violents, mais j'ai participé à toutes les manifestations et n'ai jamais vu une once de violence sauf celle de la police quand elle a réprimé le référendum", soutenait ce vieil homme, concluant, pessimiste: "Je ne crois pas que je pourrai voir la République catalane indépendante, nous n'avons le soutien de personne dans le monde, ils ne comprennent pas ce que peut être l'identité catalane".
Il reste cinq semaines aux indépendantistes pour investir un candidat à la présidence catalane, faute de quoi de nouvelles élections régionales seront organisées en juillet prochain.