Barrage détruit en Ukraine : quelles graves conséquences pour les civils et l’environnement ?

La destruction du barrage de Kakhovka, situé dans la partie toujours occupée par la Russie de la région de Kherson, au sud de l’Ukraine, a provoqué ce mardi 6 juin des inondations dans les zones alentour. Les deux pays s’accusent mutuellement de cette destruction qui pourrait provoquer une catastrophe humanitaire et écologique. La situation de la centrale nucléaire de Zaporijjia, située à 150 kilomètres en amont, est également source d’inquiétudes. 

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Les habitants sont évacués d'un quartier inondé à Kherson

Les habitants sont évacués d'un quartier inondé à Kherson, en Ukraine, le mercredi 7 juin 2023, après la destruction du barrage de Kakhovka.

© AP Photo/Roman Hrytsyna
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Dans la nuit du lundi 5 au mardi 6 juin, le barrage de la centrale hydroélectrique de Kakhovka, située dans le sud de l’Ukraine, a été détruit en partie par une explosion. Depuis plusieurs mois, ce barrage qui se trouve dans la région de Kherson, partiellement occupée par la Russie, était présentée par les Ukrainiens comme une cible potentielle des Russes.

Le film des événements

La destruction du barrage de Kakhovka a entraîné le déversement de torrents d’eau dans le Dniepr, ainsi que des inondations massives de plusieurs villes et villages, dont Kherson qui fut la première localité tombée aux mains des Russes en mars 2002, avant sa reprise par l’armée ukrainienne en novembre de la même année. Désormais, l’on craint une catastrophe humanitaire et écologique. L’évacuation des habitants a commencé, et la compagnie de chemins de fer ukrainienne dit avoir augmenté la fréquence de ses trains pour aider au départ des civils. 

Le barrage endommagé de Kakhovka près de Kherson

Cette image réalisée à partir d'une vidéo fournie par le bureau présidentiel ukrainien, montre le barrage endommagé de Kakhovka, près de Kherson, en Ukraine, le mardi 6 juin 2023.

© Ukraine's Presidential Office via AP

Selon le président ukrainien Volodymyr Zelensky, cité par nos confrères de l’AFP, c’est ce mardi, à 2h50 du matin (23h50 GMT), que la structure du barrage de Kakhovka s’est désintégrée. La présidence ukrainienne indiquait dès mardi que la Russie « a fait sauter » le barrage dans l’optique d’inonder la région et freiner ainsi l’offensive ukrainienne en préparation. Construit dans les années 1950 sur le fleuve Dniepr, le barrage de Kakhovka, qui est situé à 150 km de la centrale nucléaire de Zaporijjia, est une des plus grandes infrastructures de ce type en Ukraine. Depuis l’automne dernier, l’Ukraine contrôle la rive droite du Dniepr, tandis que la Russie occupe la rive gauche. Dès ce mardi, Igor Syrota, le patron de l’opérateur ukrainien Ukrhydroenergo, a assuré que la centrale hydroélectrique « est complètement détruite ».

L’Ukraine et la Russie continuent de s’accuser mutuellement. « La principale conclusion est que l’explosion était intentionnelle, mais l’ennemi a agi de manière chaotique, et ses propres équipements ont aussi coulé », a déclaré le président Volodymyr Zelensky à l’issue d’une réunion avec son état-major. Une version des faits confortée par Igor Syrota, le patron de l’opérateur ukrainien Ukrhydroenergo, qui affirme que ses services « sont plus que certains qu’il y a eu une explosion à l’intérieur de la centrale, en particulier dans la salle des machines […] La centrale est fissurée en deux. » Du côté de la Russie et des autorités installées dans les territoires ukrainiens occupés, on accuse Kiev de « sabotage délibéré » avec de « multiples frappes » sur la zone. Convaincu que l’un des objectifs d’une telle action est de priver d’eau la Crimée, Dmitri Peskov, le porte-parole du Kremlin, affirme que « toute la responsabilité repose sur le régime de Kiev. » La Maison Blanche a indiqué « ne pas avoir de conclusion définitive sur ce qui s’est passé ». Et pour les Occidentaux, il est beaucoup trop tôt pour déterminer les circonstances exactes de la destruction du barrage.

Les conséquences humanitaires et environnementales

Le président ukrainien Volodymyr Zelensky accuse la Russie d’être « coupable d’un écocide brutal ». Selon lui, « il s’agit de la plus grande catastrophe environnementale causée par l’homme en Europe depuis des décennies. » Le Parlement européen a récemment défini la notion d’écocide comme toute « infraction pénale environnementale causant des dommages graves et étendus, ou durables, ou irréversibles, à la qualité de l’air, du sol ou de l’eau, ou à la biodiversité, aux services et fonctions des écosystèmes, aux animaux ou aux plantes. » Dès mardi, le procureur général ukrainien Andriï Kostine, a annoncé des évacuations massives, tout en précisant que « plus de 40 000 personnes risquent d’être en zones inondées. » La destruction du barrage de Kakhovka, utilisé pour l’irrigation et la fourniture d’eau potable dans la partie méridionale de l’Ukraine, déjà l’une des plus sèches du pays, constitue également un risque majeur pour l’alimentation en eau de millions de personnes.

L’ONG ukrainienne Ecoaction estime que le déversement des 18 milliards de tonnes d’eau que retenait le barrage dans le Dniepr, quatrième fleuve le plus long d’Europe, entraînera une grave perturbation de ses écosystèmes jusqu’aux zones côtières de la mer Noire. Les animaux domestiques ou en captivité sont également en danger, souligne pour sa part le Fonds international pour la protection des animaux (IFAW). La végétation ne sera pas épargnée, notamment celle en amont du barrage qui, précise l’ONG Ecoaction, « mourra à cause du drainage, tandis que les zones situées en aval seront inondées, y compris les complexes steppiques et forestiers qui ne sont pas adaptés à la submersion, ce qui entraînera leur engorgement et leur destruction. »

Une pollution massive résultant du déversement des ordures, produits agrochimiques et autres matières dangereuses, ainsi que de l’inondation et de la désactivation des systèmes de traitement des eaux usées et des systèmes d’égouts, est également à prévoir. D’après les autorités ukrainiennes, 150 tonnes d’huile de moteur se seraient déversées mardi dans le Dniepr, « avec le risque que 300 tonnes supplémentaires s’infiltrent. » Ce qui représente bien entendu une menace majeure pour la faune et la flore.

Des secouristes ukrainiens en formation

Des secouristes ukrainiens portant des combinaisons de radioprotection, assistent à une formation à Zaporizhzhia, en Ukraine, le mercredi 7 juin 2023.

© AP Photo/Andriy Andriyenko

La destruction du barrage de Kakhovka, dont l’eau est utilisée pour refroidir le combustible et éviter un accident, fragilise à nouveau la centrale nucléaire de Zaporijjia, toujours occupée par l’armée russe. « Le refroidissement de la centrale est actuellement assuré par de l’eau pompée dans des bassins situés sur le site, conçus à cet effet. Il n’y a pas de risque à court terme pour la centrale », a précisé ce mercredi l’IRSN, l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire français.

D'autre part, l'AIEA a déclaré jeudi soir que la centrale continue à pomper de l'eau de la retenue du barrage de Kakhovka pour refroidir le combustible. Selon l'agence onusienne, l'opération de pompage devrait " pouvoir se poursuivre même si le niveau descendait au-dessous du seuil de 12,7 mètres".

L'opérateur ukrainien du barrage détruit mardi avait auparavant estimé que l'eau ne permettait plus d'assurer le refroidissement des réacteurs. 

L’ONU a déjà mis en garde contre de possibles conséquences « graves » pour de centaines de milliers de civils et l’écosystème de la région. Son Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA), a précisé que de l’aide était en cours d’envoi pour plus de 16 000 personnes.