Le journaliste et scénariste de BD Christophe Dabitch publie un nouvel album avec 13 dessinateurs, qui racontent autant d’histoires de lutte pour les droits de l’Homme dans le monde. Publié en collaboration avec Amnesty international, Etre là met en lumière les combats des militants et autres anonymes, mais aussi des chercheurs qui travaillent dans l'ombre. Rencontre.
Au travers des 13 reportages écrits par Christophe Dabitch et mis en images par autant de dessinateurs, un tour du monde s’offre aux yeux des lecteurs. Familles de disparus en Argentine, migrants en Grèce, prisonniers dans les couloirs de la mort au Japon, demandeurs de droits d’asile ou roms en France, activistes sur Internet, avocat ingouche… Tous ont un combat commun : le respect des droits humains. Le journaliste et scénariste de bande dessinée, Christophe Dabitch est parti à leur rencontre pour mieux comprendre leurs luttes, les obstacles à surmonter, les pressions subies et les conséquences sur leurs vies et leurs proches.
Entretien avec Christophe Dabitch
07.11.2014Propos recueillis par Léa BaronQuelle relation entreteniez-vous avec Amnesty avant la réalisation de cet album ? Avant, je portais sur
Amnesty un regard un peu distant, car je n’étais ni membre, ni bénévole. Mais je connaissais leurs combats, leurs présences sur un certain nombre d’actions. C’est une organisation que je trouvais vraiment intéressante parce qu’elle s’appuie sur le droit essentiellement, soit le droit existant, soit le droit à naître. Dans leur manière d’en parler, ils n’étaient pas dans l’appel à la charité ou la compassion, un discours qui peut devenir un peu victimaire. Mais je percevais chez eux un discours de raison, de principes, de droit et de sensibilisation que je trouvais intéressant. Je savais que, dans un certain nombre de situations, s’ils n’avaient pas été là, beaucoup de gens seraient soit en prison, soit exécutés. Et j’ai découvert en les côtoyant, en discutant avec les chercheurs, l’ampleur de leur tache, la diversité des causes dont ils s’occupent, la multiplicité des lieux où ils agissent.
Comment la collaboration avec Amnesty s’est-elle déroulée ? Mais quand mon éditeur m’a demandé si j’avais une idée de reportage dessiné autour des questions de droit, ça a été très clair dès le début. J’avais posé comme première condition de ne pas travailler sur des papiers, des dossiers, mais d’aller sur place, ensuite de travailler en tant qu’auteur. Ce n’est pas un livre de commande d’Amnesty, mais il est fait avec Amnesty international. Je voulais pouvoir décider de tout : les sujets abordés, les dessinateurs et les manières de raconter. Amnesty a joué le jeu. Selon leurs spécialisations par pays ou par thématiques, un certain nombre de chercheurs m’ont aidé dans ma préparation documentaire. J’ai découvert la manière de travailler de ceux qui sont à l’origine des rapports. J’ai rencontré des gens extrêmement intéressants intellectuellement, ainsi que dans leur démarche morale et leur quête de vérification. Quand ils avancent quelque chose dans un rapport, cela a beaucoup de conséquences. C’est pour ça qu’il y a dans l’album quelques entretiens avec eux, qui oeuvrent plutôt dans l’ombre. Je voulais ainsi montrer quel était leur travail.
Etait-ce important aussi pour vous de mettre en lumière des héros ordinaires ? Si on parle du Cambodge et de ces femmes de Boeung Kak (qui se battent pour rester au bord d’un lac maintenant asséché, ndlr), Amnesty est intervenu à un moment donné pour leur donner la parole, les appuyer. Mais il y a aussi des petites organisations locales qui ont été très importantes pour la formation de ces femmes, pour leur aide concrète afin de mener leurs combats. Et puis, il y a les femmes elles-mêmes. Ce sont elles qui ont mené les actions, pris les décisions. Je voulais vraiment discuter avec ces personnes-là, en essayant de montrer la complexité de ce que cela veut dire de s’engager parce qu’on y est obligé. Les gens sont dans une situation où, s’ils ne veulent pas être balayés, il leur faut réagir. Ces femmes et d’autres risquent concrètement de perdre leur famille, leur travail… Et c’est une situation compliquée, parce que le gouvernement fait tout pour diviser le groupe ; il donne de l’argent à certains, en menace d’autres. C'est un travail de sape quotidien qui est fait contre la cohésion de groupe. Il y a une parole militante, une héroïsation dont je me méfie un petit peu. Donc je voulais rendre davantage compte de la complexité humaine derrière tout cet engagement, et qui rend les militants encore plus admirables.
Comme en Argentine, avec la petite association qui dispose des carreaux de mémoire (pour toutes les personnes enlevées, disparues, ndlr). C’est une initiative très modeste. Amnesty n’a rien à voir dans cette affaire, sauf que l’ONG a eu le Prix Nobel en 1977 en lien avec son travail sur l’Argentine. Il y a donc un lien indirect, mais j’avais entendu parler de l’initiative elle-même par quelqu’un. Cela m’a vraiment touché. C’est action très modeste, qui se fait petit à petit, par les familles. Mais j’ai trouvé que cela en disait long sur la mémoire de ce pays, sur le corps de disparus. C’est un type d’action particulier, peu connu.
Cela m’intéressait d’être dans le décalage, comme en Grèce, où plus personne n’allait parce qu’il y a eu une grosse actualité médiatique au moment d’un important flot de migrants. Après, la clôture a été bâtie et la pression policière s'est renforcée. Des gens ont été rejetés violemment. De fait, une grande majorité des migrants passent maintenant par ailleurs. De manière assez mécanique, il y a moins de médias qui viennent là. Cela m’intéressait donc de revenir plus tard pour voir, avec du recul, ce qu’il s’y était passé, et ce qu’il s’y passe maintenant.
Sur le sujet de la cyber-surveillance, on est en plein dans l’actualité. Beaucoup de choses sont dites là-dessus. Il fallait trouver une manière de traiter le sujet, et j'ai choisi une fiction car cela me semblait la meilleure approche pour parler d’une partie de cet univers, ce qui s’y dit, ce qui s’y passe.
Chaque histoire brosse un tableau sombre des droits de l’Homme dans le monde. Mais quel espoir ou note d’optimisme en tirez-vous après toutes ces rencontres ? Je regrette de ne pas l’avoir assez exprimé en préface, mais j’ai beaucoup ri avec les gens que j’ai rencontrés, que ce soit en Grèce, au Cambodge ou à Grigny avec les roms. La rencontre sur le terrain de l’humour allège aussi la question des problèmes. On n’est pas juste là pour recueillir la parole de la souffrance, de la dureté, mais on est dans la vie. Les gens que j’ai rencontrés sont dans un combat, dans une expression. C’est extrêmement dur et il faut qu’ils se battent. Mais ils sont dans une forme de vie.
Cela veut dire, que le combat des droits de l’Homme n’est pas vain ? C’est titanesque. Il y a sans arrêt des gens qui veulent en exploiter, en écraser d’autres. Il y a des situations de guerre et de pauvreté. C’est un constat mondial. Le combat est permanent de la part des organisations et des gens. Mais il n’est pas vain. Ce qui serait désespérant, c’est qu’il n’y ait rien, que personne ne se batte et que tout le monde accepte son lot. Le fait qu’il y ait tout ces gens qui se mobilisent, qui combattent, pour moi c’est un signe d’espoir. Et c’est là où des organisations comme Amnesty sont importantes parce qu’elles relaient la parole de ces personnes, elle les soutient, leur apporte une visibilité beaucoup plus grande.
Christophe Dabitch participera samedi 8 novembre à une rencontre avec les lecteurs lors d’un apéro géopolitique au
Forum des images à Paris dans le cadre du festival «
Un état du monde…et du cinéma » qui se déroule jusqu’au dimanche 16 novembre. Une exposition des planches de l’album Etre là s’ouvre également au Forum des images pendant la durée du festival.