Fil d'Ariane
Il devait n’y passer que quelques mois. Il y est revenu pendant plus d’un an et demi. Mathieu Sapin s’est glissé dans les coulisses du palais présidentiel pour « répondre à une curiosité des Français à l’égard de ce lieu de pouvoir qu’est l’Elysée ». C’est ce qu’il explique à François Hollande dans son bureau (« là où se sont assis Barack Obama, Nelson Mandela… ») lors de leur première entrevue le 8 juillet 2013.
Six mois auparavant, l’auteur de BD faisait ses premières démarches pour « entrer » à l’Elysée. Mathieu Sapin avait déjà à son actif deux albums : les coulisses du quotidien Libération (Journal d'un journal, 2011, Delcourt) et celles de la campagne présidentielle de Hollande (Campagne présidentielle, 2012, Dargaud ).
Après de longues semaines d’attente, il décide d’envoyer un texto directement au président et finit par obtenir son accord pour croquer la vie du palais « le conseil des ministres, les visites de chefs d’Etat, je prends tout ce qu’on me donne… », raconte-t-il au président. Comme dans Campagne présidentielle, Mathieu Sapin se met en scène, facilitant l’identification du lecteur, en position de néophyte de la politique, de l’Elysée. Rapidement, il nous prévient, et prévient aussi le président qu’il rencontre : « Mon truc c’est vraiment l’observation. Je me mets dans un coin, j’observe et je décris ce que je vois ». Mais, cette fois, il ira un petit peu plus loin au fil des pages. Il va suivre la vie trépidante du « Château » jusqu’en juin 2014 et revient après les attentats de Charlie Hebdo en janvier dernier.
Dès la couverture de ce nouvel album intitulé Le Château, Mathieu Sapin se dessine tout petit, comme écrasé par ce palais si imposant par son histoire, ce qu’il représente et l’activité qui l’anime.
En près de 130 pages, il lève le rideau sur ce théâtre où se joue à un rythme soutenu la politique nationale du pays, et qui offre à ses visiteurs l’excellence de la France. Comme dans une pièce, Mathieu Sapin nous présente, dés le début, les acteurs principaux de son histoire : conseiller de presse, directrice de cabinet, directrice de sécurité… Beaucoup d’entre eux auront quitté le palais avant la fin de l’album.
L’auteur s’attache à dessiner les détails des rouages de cette grande machine, tout en restant en retrait : « Je voulais me faire oublier, raconte Mathieu Sapin. C’est pour ça que je mettais un costard, pour que l’on me remarque le moins possible. » Rapidement, il devient un habitué des lieux où il se rend « en moyenne une fois par semaine » pendant l’année de ce BD reportage inédit. « Comme c’est addictif, il y a toujours une bonne raison d'y aller, ajoute-t-il. Comme c’est l’actualité qui dicte le programme, il s'y passe toujours des choses complètement inattendues, presque comiques. J'ai assisté à plein d’événements qui ne sont pas dans le bouquin parce que je n’avais pas la place. Quand je vois qu’Arnold Schwarzenegger est reçu à l’Elysée dans le cadre d’un programme écologique, j’y vais parce que c’est aussi l’occasion de le voir ». Reporter mais aussi premier spectateur de ce ballet élyséen.
Mathieu Sapin raconte donc le quotidien de l’Elysée, du plus matériel au plus prestigieux : le service de sécurité, les cuisines, la cave à vin, le service des fleurs, la logistique, les réceptions (des joueurs de basket à la reine d’Angleterre), jusqu’aux voyages d’Etat en Azerbaïdjan, Arménie et Géorgie.
Il déambule dans le palais sans avoir jamais rencontré d’interdits : « J’avais seulement l’obligation d’informer le directeur de la communication (Christian Gravel, ndlr) qui a changé entre temps de tous les sujets que je voulais traiter. » Il n’était pas non plus tenu de faire relire son album par l’Elysée, une fois fini. Par habitude et pour être sûr de ses informations : « Je l’ai fait relire à quelqu’un de confiance qui était au service de presse de l’Elysée et qui connaissait bien les rouages de la maison pour faire une relecture technique », raconte-t-il.
Mais libre à lui de se rendre aux événements et dans les services qui l’intéressent au sein de l’Elysée. Mathieu Sapin saisit le lieux et les instants avec son appareil photo : « On ne m’a jamais dit : ‘tu n’as pas le droit d’en prendre’. Même si je sais qu’après l’affaire Buisson, il y avait beaucoup de stress là-dessus. Je prends des photos mais qui restent privées car je ne les montre pas. Elles restent en plus inexploitables car elles sont souvent floues et mal cadrées parce que je les prends très vite avec un tout petit appareil. Mais cela me permet quand même de recomposer mes dessins », comme le faste de la salle des fêtes, l’animation des cuisines, les alignements de bouteilles dans la cave à vin ou la salle du dojo.
C’est dans ce lieu d’entraînement du service de sécurité de l’Elysée que Mathieu Sapin garde le souvenir le plus inattendu : « La scène avec le colonel (qui commande 240 gendarmes affectés à l’Elysée, ndlr) qui me fait une démonstration de sabre japonais, j’étais sidéré. » Mais « à une échelle plus générale, ce qui m’a vraiment marqué, c’est que le lieu ne bouge pas et alors que les hommes, les équipes tournent. Les gens sont épuisés au bout d’un moment. Chaque fois que l’on voit ces nouvelles équipes arriver et vouloir faire les choses différemment, le protocole les rattrapent. »
En un an et demi, Mathieu Sapin a pu s’intéresser non seulement à l’intendance du palais présidentiel mais aussi un peu à la vie politique qui l’habite. Avec le remaniement du gouvernement en avril 2014 et les voyages d’Etat en Europe de l’Est, Mathieu Sapin a aussi pu saisir quelques coulisses du pouvoir. Certes, il n’est pas aux côtés de François Hollande dans ces moments-là mais il gravite autour avec un regard différent de celui de la presse. C’est en faisant intervenir la parole de ces journalistes qui suivent le président que l’auteur de BD aborde alors les questions de la « stature présidentielle » de François Hollande, de sa capacité à glisser « la bonne phrase », se saisir de l’actualité quand en déplacement dans le Caucase, la Russie annexe la Crimée. La scène politique et les médias surtout, ont besoin d’un spectacle constamment renouvelé.
Mathieu Sapin, qui n’a pas la prétention de proposer un décryptage des rouages politiques, nous plonge dans cette vie à la tête de l’Etat français, où gravitent journalistes mais surtout, dans l’ombre, des inconnus qui traversent les mandats présidentiels.
Au fil de ses pérégrinations dans le Château, Mathieu Sapin ne parviendra pas à briser les « secrets » du palais. Même pas les plats préférés de François Hollande…secret du cuisinier du président oblige ?