Fil d'Ariane
Les évêques de Belgique ont renouvelé leurs excuses et la demande d'une enquête indépendante après de nouveaux témoignages qui ont fait ressurgir cette semaine le scandale des enfants arrachés à leur mère. Retour sur l'affaire.
Images d'illustration de la cathédrale de Mechelen en Flandre en 2010. Des communautés religieuses sont accusées d'avoir "vendu" des enfants à des parents ce que nie la conférence épiscopale de Belgique.
"Pour les parents dont l'enfant a été adopté, il y a toujours une question centrale : où se trouve notre enfant ? J'aurais voulu leur dire que je me porte bien et que j'ai trouvé un foyer chaleureux."
En larmes la députée Yngvild Ingels du NVA, le principal parti flamand de droite, s'adresse ce 13 décembre à la Chambre, le parlement fédéral belge. Yngvild Ingels est née sous X dans couvent à Dunkerque en France, officiellement le premier janvier 1979. Les soeurs du couvent lui avaient attribué le nom d'Emmanuelle Claude.
Après sa naissance, elle a été vendue selon elle par l'intermédiaire d'une assistance sociale de l'association catholique Caritas à une famille belge flamande pour quelques 6500 francs belges ( environ 161 euros). “Ce n’était pas une grosse somme, mais c’est quand même étrange de voir un tel chiffre. C’est ce que je valais. Un montant que les nonnes ont apparemment calculé via un pourcentage du salaire brut de mes parents (adoptifs)”, confie Yngvild Ingels dans une interview donné au site d'information belge francophone 7 sur 7.
"La première chose que mes parents ont entendue quand ils m’ont prise dans leurs bras le 5 janvier 1979, c’est qu’ils ne devaient pas trop s’attacher à moi, car ma mère biologique avait encore six mois pour me réclamer. Ceux à l’origine de mon adoption, Caritas et les nonnes, savaient donc très bien qui étaient mes parents biologiques. Ils ont simplement veillé à ce qu’on ne puisse jamais rien retrouver", précise la députée dans le média francophone.
L'histoire de l'adoption de la députée n'est pas un cas isolé en Belgique. Selon le média flamand Het Laatste Nieuws (HLN) jusqu'à 30.000 enfants auraient ainsi été retirés à leur mère en Belgique, entre 1945 et les années 1980 via des communautés religieuses catholiques.
La députée Yngvild Ingels a rendu public son acte civil de naissance. Elle est née dans un couvent en France.
Ce scandale avait déjà fait les gros titres en Belgique en 2014-2015, lors d'une série d'auditions devant le parlement régional flamand. Il était alors question seulement de quelques milliers d'adoptions forcées pendant les décennies de l'après-guerre.
La députée Yngvild Ingels.
Les estimations sont aujourd'hui de l'ordre de 30 000 personnes et ce chiffre pourrait encore monter selon la députée Yngvild Ingels. "Il existe encore des personnes qui ne savent même pas qu’elles ont été adoptées. Si mes parents (adoptifs, NDLR) ne me l’avaient pas dit quand j’avais sept ans, je ne l’aurais jamais su non plus", estime la députée pour le site d'information 7 sur 7.
Dans son podcast "Kinderenvan de Kerk", "les enfants de l'Eglise" , le média publie de nouveaux témoignages de femmes contraintes d'abandonner leur bébé à la naissance, et d'anciens enfants adoptés, parfois toujours à la recherche de leurs origines, affirmant avoir été "vendus" par l’Église à leur famille d'adoption.
La pratique concernait la plupart du temps des jeunes femmes non mariées, parfois victimes de viol ou d'inceste, dont les parents voulaient cacher la grossesse. Ces derniers se mettaient en contact avec des ordres religieux eux-mêmes en lien avec des familles en attente d'adoption.
Dans l'un des témoignages recueillis par HLN, une sexagénaire raconte qu'en 1982, alors enceinte à l'âge de 23 ans, des religieuses pour lesquelles elle travaillait l'ont elles-mêmes emmenée à l'hôpital pour l'accouchement.
Ce jour-là, au moment de donner naissance à son bébé, elle a aussi subi sous anesthésie "une stérilisation forcée". Et n'a jamais pu voir sa petite fille, "vendue" à d'autres parents pour plusieurs dizaines de milliers de francs belges, quelques centaines d'euros.
Tommy Scholtès, porte-parole de la Conférence des évêques de Belgique.
L'Eglise catholique belge en 2014-2015 lors des auditions au parlement flamand avait présenté une première fois des excuses pour les enfants arachés à leur mère.
"On veut répéter les excuses présentées en 2015 et qu'enfin soit mise en oeuvre une enquête externe pour déterminer les responsabilités réelles", a déclaré vendredi 15 décembre à l'AFP le porte-parole de la conférence épiscopale, Tommy Scholtès.
Mais la conférence épiscopale belge nie toute forme de transaction financière dans ces adoptions forcées présumées. Elle parle plutôt de soutien financier aux communautés religieuses de la part des familles qui choisissaient d'adoper.
"Parler d'enfants achetés, nous n'acceptons pas l'expression", estime le porte-parole des évêques, Tommy Scholtès. "Les familles en attente d'adoption remerciaient les religieuses quand elles recevaient l'enfant (...), elles contribuaient financièrement au fonctionnement des communautés religieuses".
L'Eglise catholique belge refuse toute accusation de manque de transparence. Selon Tommy Scholtès, les évêques avaient déjà exprimé en 2015 leur souhait qu'une enquête soit menée par les services de l'enfance en Flandre (l'administration "Kind en Gezin"), sur la base des archives des communautés religieuses accueillant de futures mères. "La demande est restée lettre morte", déplore en effet le porte-parole.
Le réveil de cette affaire intervient au moment où l'Eglsie catholique belge a été touchée par des scandale de pédophilie. En 2012, suite à un scandale de pédophilie touchant un prélat, l'Eglise catholique belge avait mis en place ce qu'elle appelle des "points de contact", destinée à receuillir la parole des victimes.
Ces lieux conçus pour signaler des abus ont permis d'enregistrer une cinquantaine de nouvelles plaintes entre juillet 2022 et juin 2023, ouvrant droit à des compensations financières allant de 2.500 à 25.000 euros selon la gravité des faits. Sept ont été transmis à la justice. Une commission d'enquête parlementaire sur les crimes sexuels au sein de l'Eglise catholique a été mise en place en novembre dernier.
Que demandent aujourd'hui les victimes de ces adoptions forcées ? La députée Yngvild Ingels aimerait connaître l'identité de ses parents biologiques. Cela passerait ainsi par une ouverture des archives de l'Eglise ou par la mise en place d'investigations via la mise en place d'une nouvelle commission d'enquête parlementaire avec des auditions.
Le pape François envisage un voyage en Belgique en septembre 2024 pour prendre part aux célébrations des 600 ans de la très réputée université catholique de Louvain, selon la la conférence des évêques de Belgique.
Les autorités politiques espèrent que ces deux affaires, celle des crimes sexueles et des adoptions, soient évoquées par le pape François.