Fil d'Ariane
En France, le gouvernement soumet en ce mois de novembre 2020 une proposition de loi sur la “sécurité globale”. Elle comprend un article qui fait polémique limitant la diffusion d’images des forces de l’ordre en intervention. L’article 24 a pour objectif de “ne pas jeter en pâture les policiers et les gendarmes qui font un travail extrêmement difficile”, selon Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur.
Le 20 novembre 2020, l’Assemblée nationale adopte cette mesure. Elle prévoit de punir de 45 000 euros d’amende la diffusion d’images “du visage ou tout autre élément d'identification” d’un policier ou d’un gendarme pour porter “atteinte à [son] intégrité physique ou psychique". Pour défendre cette loi, les députés de la majorité ainsi que des syndicats de policiers mettent en avant le cyberharcèlement dont les hommes en uniformes ou leurs familles sont victimes.
La disposition est également vue comme une entrave à la liberté d’informer pour des journalistes et des défenseurs des droits de l'homme. Une trentaine de sociétés des journalistes - dont celle de TV5Monde - ont interpellé le gouvernement à ce sujet et réclament le retrait de l’article 24.
L’actualité est venue alimenter le débat avec l’évacuation de la place de la République à Paris, occupée par des réfugiés et le passage à tabac de Michel Zecler.
Les images de la place de la République évacuée le 23 novembre 2020 sans ménagement ont interpellé le ministre de l’Intérieur. Des journalistes ont notamment filmé des migrants expulsés manu militari de leurs tentes et un croche-pied fait à l’un d’eux. Une enquête a été ouverte au sein de l’inspection générale de la police (IGPN). Le rapport conclut à une utilisation “disproportionnée de la force” sur le migrant victime du croche-pied. La “police des polices” a jugé conforme un coup de pied donné à un manifestant. Il n’y a pas de manquement sur cette action qui visait à faire reculer les protestataires jugés agressifs. Et l’enquête est en cours sur de possibles coups donnés à un journaliste, Rémy Buisine.
Toujours à Paris, dans le 17 arrondissement, le tabassage d’un homme noir, Michel Zecler par des membres de la police a été filmé par les riverains mais aussi dans l’entrée de son studio d’enregistrement par une caméra. Le travail du média en ligne Loopsider a mené au déclenchement d’une enquête de l’IGPN et le ministre de l’Intérieur a affirmé qu’il demanderait la “révocation” des policiers impliqués.
[Intervention à Paris 17ème]
— Gérald DARMANIN (@GDarmanin) November 26, 2020
Je me félicite que l’IGPN ait été saisie par la justice dès mardi.
Je demande au préfet de police de suspendre à titre conservatoire les policiers concernés. Je souhaite que la procédure disciplinaire puisse être conduite dans les plus brefs délais.
La loi permet de filmer les forces de l’ordre sur la voie publique. Le citoyen ne peut pas être arrêté pour cette action. L’enregistrement est proscrit uniquement s’il met en danger le secret de l’enquête.
La diffusion des images est autorisée, sauf si elles concernent des corps d’interventions particuliers comme pour les hommes du RAID, l’unité d’élite de la police où les membres du groupement d’intervention de la gendarmerie nationale (GIGN).
En Belgique, les citoyens peuvent filmer la police lors de ses interventions et publier les éléments. Comme en France, le débat sur l’enregistrement et la diffusion d’images des forces de l’ordre revient régulièrement au gré des faits divers.
En juin 2020, le journaliste Jeremy Audouard filmait une intervention de police à Bruxelles lors d’une manifestation Black lives matter. L’interpellation “était assez musclée”, selon le journaliste qui travaille alors pour l’Agence France-presse (AFP). Il enregistre alors la séquence avec son mobile : “Ce policier s’est avancé vers moi et a commencé à me crier dessus. Ce que je n’ai pas apprécié, c’est qu’il m’a confisqué ma carte de presse et ma carte d’identité, qu’il a disparu dans la nature avec mes papiers, et que j’ai dû demander à des policiers où il était, pour retrouver mes papiers. Il me les a rendus et m’a dit 'Toi, très bientôt, attends-toi à avoir des surprises'. Ce genre de menace n’est jamais agréable… " explique Jeremy Audouard à nos confrères de la RTBF.
D’autres journalistes auraient été malmenés selon Jeremy Audouard. L’association des journalistes professionnels a alors lancé un appel et rappelé les droits des journalistes à filmer les policiers dans les lieux publics.
Nous appelons tous les journalistes ayant subi des intimidations ou violences à se manifester https://t.co/kMgW1wsvfG https://t.co/xi4HXp8wpO
— Association des Journalistes Professionnels (@ajpjournalistes) June 8, 2020
Au-delà du cas particulier des journalistes, le droit pour des citoyens de publier des images de policiers, identifiables a été réaffirmé en 2018. A l’occasion de l'exposition “Don't shoot me” - Ne me tirez pas dessus - des policiers se sont reconnus sur certains clichés et ont alors fait appel à la justice.
Tous ont été déboutés. Il n’y a donc pas besoin d’autorisation, ni de carte de presse pour filmer un policier en Belgique.
En Suisse, la question est également d'actualité après la diffusion d'images d'une arrestation musclée mi-novembre à Lausanne. La police a fait une descente dans une soirée interdite et ses méthodes musclées se retrouvent exposées sur les réseaux sociaux.
Le 19 novembre, le quotidien Le Temps pose donc la question "doit-on pouvoir filmer la police ?" et interroge -notamment - des représentants des forces de l'ordre. Vue de France, leur réponse peut surprendre. "Dans cette époque du tout à l’image, être filmé durant une intervention est aujourd’hui devenu une réalité", déclare le vice-président de la Fédération suisse des fonctionnaires de police (FSFP) qui, précise le journal "n’y voit pas de problème". Interrogé également, le chef de la police de Neuchâtel considère que "dès qu’un policier sort du poste et qu’il arrive dans l’espace public, il doit être conscient qu’il peut être filmé", évoquant simplement à ce sujet "de l’inconfort, voire de la nervosité".
Interrogé sur le débat français autour de l'article 24, ce même chef de la police de Neuchâtel répond que "de telles mesures ne font que creuser le fossé entre une population et sa police. Alors qu’au contraire il est nécessaire de bâtir une confiance entre les deux".
Au Canada également la question se pose, et la réponse est claire : les citoyens peuvent filmer une intervention de la police tant qu’ils ne mettent personne en danger.
A Toronto en 2017, Waseem Khan filme l’arrestation d’un homme non loin de l’université de Ryerson. L’individu a été tasé. Sur les images il se trouve au sol maintenu par plusieurs policiers. Waseem Khan continue de filmer la scène lorsqu’un policier lui intime l’ordre de reculer. Le citoyen explique ne pas "obstruer l’arrestation” avant qu’un peu plus tard deux agents viennent le menacer de saisir son mobile.
Un peu plus tard, le chef de la police de Toronto a fait son mea culpa : les policiers “n'ont pas l'autorité de saisir le téléphone. Cette approche est une mauvaise approche.” a concédé Mark Pugash.
La loi canadienne est donc limpide, le citoyen est dans son droit lorsqu’il filme une intervention de police dans les lieux publics.