Avec la crise des réfugiés, l'Allemagne fait face à un défi historique. Le pays accueille le plus grand nombre de réfugiés en Europe. Originaire du Kurdistan syrien, la famille Kerro, s'est installée à Berlin il y a un an. Rencontre.
Alors que la sonnette retentit, des cris et rires d'enfants résonnent. Dans un appartement du quartier cossu de Charlottenburg à Berlin, Mohammad et Roni, 7 et 6 ans, cherchent une cachette pour piéger leur invitée. Ils courent vers les lits superposés qui occupent un coin du salon modestement aménagé. Ils sont arrivés à Berlin il y a un an, fuyant la guerre avec leurs parents. La famille est originaire de Qamishli, ville située dans la partie kurde de la Syrie. Celle qu'ils attendent avec tant d'impatience, c'est Maren. Cette Allemande de 48 ans est devenue la meilleure amie des parents, comme des enfants.
C'est en écoutant la radio un jour de mai que Maren Borchers entend parler de Jihane et Ali Kerro, les parents des petits Mohammad et Roni. Sélectionnés par le gouvernement allemand avec 5 000 autres réfugiés Syriens accueillis entre 2013 et 2014, ils vivent depuis un an dans un foyer pour réfugiés au nord de Berlin. La mère de famille explique qu'elle aimerait nouer des liens avec des Allemands, pour améliorer ses connaissances linguistiques. Maren a alors un déclic :
«Cela faisait des mois que je me demandais comment aider les réfugiés, on entend leurs malheurs tous les jours dans les médias, mais on ne fait rien, on y pense plus et on reprend le cours de sa vie. Mais son témoignage m'a touchée, alors j'ai pris contact avec la famille.»Une lumière dans la nuit
En leur rendant visite, elle découvre les conditions de vie dans un foyer de réfugiés : «
Les chambres étaient surpeuplées, l'ambiance chaotique, et les gens de différentes cultures ne s'entendaient pas toujours» témoigne-t-elle. Jihane acquiesce :
«A notre arrivée, on étaient contents d'avoir un toit sur la tête, mais la vie là-bas n'était pas normale. On a fait de multiples recherches de logements qui n'ont pas abouti, on a fini par penser qu'on ne trouverait jamais notre propre logement. Maren a été comme une lumière dans la nuit, le tournant qu'il nous a fallu pour sentir que notre vie ici commençait enfin. Ca faisait huit mois qu'on vivait dans un entre-deux, on n'était plus en Syrie, mais pas vraiment en Allemagne non plus.» Après leur rencontre, Maren prend les choses en main et convainc une amie qui loue un appartement de leur faire un prix. L'accord est conclu, 700 euros par mois pour un deux-pièces dans lequel la famille emménage rapidement. Le loyer est pris en charge par le bureau d'aide sociale, qui paie également les frais de scolarité des enfants et fournit à la famille 1000 euros par mois pour les dépenses quotidiennes.
Un soutien quotidien
Les enfants sont toujours cachés sous le lit et Maren, à peine entrée dans l'appartement, commente déjà la dernière acquisition du couple : une télévision.
«Super, vous allez pouvoir voir des émissions en allemand, on pourra regarder Tatort (Sur le lieu du crime - série télévisée criminelle populaire, ndlr) ensemble !» Tous les meubles ont été donnés par des amis de Maren. Au fil du temps, l'Allemande qui travaille comme attachée de presse pour des groupes de musique classique, est devenue le soutien quotidien du couple. Certains jours, elle passe juste pour prendre un thé, d'autres jours elle les accompagne dans les tâches administratives. C'est elle qui a inscrit les enfants à l'école du quartier pour la rentrée. Aujourd'hui, un nouveau défi l'attend : trouver une veilleuse. Mais pas n'importe laquelle :
«En Syrie, tout le monde a une petite lumière au-dessus de la porte. Ici, on ne trouve que des modèles qui se branchent directement dans les prises,» commente Ali, le père de famille.
Une amitié naissante
L'aide de Maren ne se limite pas au côté pratique. Petit à petit, une forte amitié s'est tissée. La famille syrienne a rencontré son mari, ses amis, et tous se retrouvent régulièrement. Aujourd'hui, Jihan et Ali ont invité leur «nouvelle famille», comme ils nomment Maren et son mari, à déguster un plat kurde à base d'aubergine et de viande. La semaine dernière, les Syriens ont goûté pour la première fois à la traditionnelle salade de pommes de terre. Ces moments de partage sont l'occasion pour les deux couples d'en apprendre plus sur leurs cultures respectives. Des échanges qui trouvent parfois leurs limites. Maren s'est rendue cet été en vacances à Jérusalem d'où elle a rapporté des t-shirts à l'effigie de la ville pour le couple syrien. Elle ne comprend pas qu'ils ne les portent pas. Quand Ali lui explique qu'Israël est un sujet politique sensible en Syrie, elle rétorque :
«Mais vous pourriez quand même les mettre, au moins pour une photo, pour l'envoyer à votre famille en guise de clin d'oeil !»Les enfants oublient l'arabe
Le sujet de la conversation est vite détourné, et les amis se remémorent la journée de la veille dans une conversation entrecoupée d'éclats de rire : tous sont allés faire une promenade à cheval, une première pour la famille syrienne. Un souvenir fort, surtout pour les deux garçons, qui ont immédiatement partagé leurs émotions avec leurs nouveaux amis du quartier. Selon leur parents, l'intégration s'est faite sans difficulté. Dès les premières semaines en Allemagne, ils ont été acceptés dans une école, d'abord quelques heures par jour dans une classe d'intégration, puis à temps plein. Quand ils jouent à deux, les petits s'interpellent en allemand. A la maison, leurs parents parlent surtout kurde. Mohammad et Roni ont presque oublié l'arabe, qu'ils parlaient pourtant à l'école en Syrie.
Mal du pays
«Les enfants parlent tout le temps de leur vie là-bas ou de notre maison» précise Ali.
«On avait une grande maison!» se souvient le plus grand. A l'évocation de ces souvenirs de Qamishli, les yeux de Jihane s'embrument.
«On est partis car Daech avançait dans la région. Il ne se passe pas un jour sans qu'on pense au reste de la famille qui est toujours sur place.» En larmes, Jihane confie qu'à elle aussi, la vie en Syrie lui manque.
«Là-bas, on avait une vie formidable. On avait du travail, une maison, notre famille et nos amis. On ne manquait de rien. Oh, et j'avais aussi une voiture, c'était pratique, car je n'aime pas prendre le métro.» Pour cette jeune trentenaire musulmane pratiquante, prendre les transports en commun à Berlin est une épreuve.
«La première fois que j'ai pris le métro seule, une femme m'a crié dessus en me disant que c'était une honte de porter un voile.»Aider, à son tour, les nouveaux venus
Malgré quelques petites remarques négatives, Jihane loue l'accueil de ses voisins, toujours prêts à l'aider. Elle se dit chanceuse :
«Depuis quelques semaines, les réfugiés arrivent massivement, certains dorment dans la rue. Quand je vois les efforts et le temps que ça nous a pris avant d'avoir notre propre logement, alors qu'on était arrivés légalement sur le territoire, je m'inquiète pour eux et crains qu'ils ne restent longtemps dans la rue.» Certains jours après l'école elle se rend dans des foyers de réfugiés et met à profit sa maîtrise de quatre langues pour servir d'interprète :
«Nous avons traversé les mêmes épreuves, alors je discute avec eux. Il suffit parfois d'un mot, d'une main tendue, pour aller mieux comme lorsque l'on a rencontré Maren.»
Espoirs
Soulagés de pouvoir reprendre une vie normale maintenant qu'ils ont leur propre logement, le couple se prépare au prochain défi qui les attend : les examens en allemand. Après un an dans un pays dont ils ne connaissaient pas la langue, ils suivent déjà des cours avancés, du niveau B2 selon le système de référencement européen. Une fois ce certificat validé, Ali s'inscrira dans une classe thématique pour acquérir du vocabulaire technique. Médecin dans un laboratoire à Qamishli, il espère que ses diplômes syriens seront reconnus et qu'il pourra reprendre son travail. Mais la recherche d'un emploi n'est pas sa seule visée
«Je veux aussi pouvoir parler politique avec mes nouveaux amis. Les mots me manquent en allemand quand j'essaie de parler de la guerre ou du Kurdistan.» ajoute-t-il.
Le déjeuner touche à sa fin et après un plat copieux Ali et Jihane disposent des pâtisseries, des fruits et du thé sur la table. Pour que la multitude de plats tienne, il faut empiler les assiettes . Ali raconte à Maren qu'en Syrie, les repas se prennent par terre, confortablement installés sur des coussins dans une vaste pièce. En gage de leur amitié, mais aussi de ses espoirs à peine dissimulés pour le futur , il conclut ce repas par cette invitation :
«Maren, tu testeras ce genre de repas quand tout sera terminé et que tu nous rendras visite à Qamishli.»